1-Les dommages causés aux usagers d’installations sportives qui répondent à la qualification d’ouvrages publics obéissent à un régime de responsabilité particulièrement favorable à l’utilisateur qui se voit déchargé du fardeau de la preuve d’une faute. En effet, une présomption de défaut d’entretien normal de l’ouvrage est mise à la charge du maitre d’ouvrage qui doit la combattre pour s’exonérer de sa responsabilité.

2-On en trouve deux nouvelles applications avec l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux (21 février 2019) et le jugement prononcé par le tribunal administratif de Marseille (17 octobre 2019).

3-Dans la première espèce, un bambin est blessé par la bascule d’une cage de buts de football à laquelle il s’était suspendu. Dans la seconde, un enfant qui parcourait à vélo une piste d’athlétisme chute en heurtant la targette de fermeture d’un portillon d’accès à la piste. C’est dans ce contexte que des actions en réparation sont formées par les parents des deux victimes contre les collectivités locales concernées.

4-Le tribunal administratif de Marseille conclut au défaut d’entretien normal de l’installation. La cour administrative d’appel de Bordeaux considère, au contraire, que la preuve d’un entretien normal de l’équipement n’est pas rapportée.

 

La qualification d’ouvrage public

5-Le préalable à l’examen des conditions de mise en œuvre de la responsabilité desdites collectivités locales suppose que les installations en cause avaient la qualification d’ouvrage public. A cet égard, il est dit habituellement qu’est un ouvrage public tout bien immobilier provenant d’un travail et affecté à un but d’intérêt général.

6-A la différence d’une piste de ski[1] CE, n° 51249. 12 déc. 1986 no 51249 Rebora. ou d’une plage[2]CE 5 avr. 1974, n° 87140.  Commune de Palavas-les-Flots, Lebon 216. demeurées dans leur état naturel et dépourvues de tout aménagement, le portillon d’accès à une piste d’athlétisme, comme des cages de buts de football, sont le résultat d’un travail public, en l’occurrence d’une opération de fabrication et d’aménagement.

7-Toute installation fixée au sol présente un caractère immobilier, ce que ne sont pas les meubles, par nature, qui n’ont pas d’attache au sol[3]Comme un plongeoir flottant (CE 12 oct. 1973, n° 84798.  Commune de St Brévin-les-Pins, Rec. Conseil Etat p. 567) ; une bouée (CAA Nantes n° 02NT01756. 25 juin 2004, commune de La … Continue reading. Toutefois, lorsqu’ils font partie d’un ensemble, même sans faire corps avec le sol, ils acquièrent la qualification  d’ouvrage public qui est celle de l’immeuble dont ils sont un  accessoire nécessaire à son fonctionnement[4]Ont été ainsi  assimilés à des ouvrages publics, les montants d’une échelle d’accès au bassin d’une piscine (CE, 9 mars 1977, n° 01523, commune de Bretoncelles),  un chariot destiné … Continue reading. Un portillon d’accès à une piste d’athlétisme est donc immeuble par destination car inclus dans un ensemble – en l’occurrence un stade d’athlétisme – qui est un ouvrage public. Le Conseil d’Etat raisonne de la même manière pour les cages de but qui sont, elles aussi, indissociables d’un stade de football[5]CE, 15 févr. 1989, n° 48447, Dechaume; Rec. CE 1989, p. 975 ; RFDA 1990, p. 231, concl. Stirn ; 29 déc. 2004, n° 251537.. On  ne pratique pas ce sport sans cages de but !

8- Enfin, la troisième condition d’affectation à un intérêt général est également remplie dans les deux espèces, puisqu’aussi bien un terrain de football qu’un stade d’athlétisme sont destinés à la pratique d’activités physiques et sportives qui constituent selon l’article L 100-1 du code du sport un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration et de la vie sociale.

9-Aussi, la qualification d’ouvrage public n’était-elle pas discutée dans les deux espèces.  En revanche, le débat portait sur les conditions de mise en œuvre du régime de responsabilité de l’ouvrage public.

 

La présomption de défaut d’entretien normal

10-Ce régime dépend du rapport de la victime à l’ouvrage. S’il s’agit d’un tiers, c’est la responsabilité de plein droit qui s’applique[6]Skieur ayant heurté le poteau métallique d’un stade de slalom contigu à la piste. « Considérant que la victime se trouvant dans la situation d’un tiers par rapport à l’ouvrage … Continue reading, solution équitable car le tiers ne profite pas de l’ouvrage et ne fait qu’en subir les risques. A la différence du régime applicable à  l’usager, il ne s’agit pas d’une présomption de faute que  le maître d’ouvrage peut combattre mais d’une véritable présomption de responsabilité dont il ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère.

11-Si la victime s’est blessée en utilisant l’installation, le maître d’ouvrage est présumé responsable d’un défaut d’entretien de l’ouvrage[7]Sauf l’hypothèse où il s’agit d’un ouvrage « particulièrement » ou « exceptionnellement dangereux » qui est soumis à la responsabilité de plein droit. C’est le cas, par exemple, … Continue reading. Cette présomption de faute opère un renversement de la charge de la preuve, puisqu’elle dispense l’utilisateur d’avoir à établir une faute de l’exploitant. C’est à celui-ci, sur qui pèse le fardeau de la preuve, d’établir qu’il a normalement entretenu l’ouvrage. Le juge ne recherche pas si l’anomalie est constitutive d’une faute imputable au maitre de l’ouvrage, il la tient pour acquise jusqu’à ce que ce dernier rapporte la preuve que l’état de l’ouvrage ne résulte pas d’une faute de sa part. L’usager n’a donc qu’à démontrer la réalité de son préjudice et l’existence d’un lien de causalité direct entre l’ouvrage et le dommage, ce qui ne faisait guère de difficulté dans les deux espèces, puisque dans la première les blessures avaient été provoquées par la chute du but mobile et dans la seconde par le heurt de la tête de l’enfant avec la targette de fermeture du portillon.

Le cœur de la discussion avait donc pour objet l’entretien normal de l’installation comme moyen d’exonération du maître d’ouvrage. Celui-ci s’apprécie d’abord au regard de l’absence de vice de conception, de fabrication et d’installation. La question se posait précisément pour le but mobile conçu pour être transportable et donc utilisé sans fixation au sol. A cet égard l’article R. 322-21 du code du sport exclut l’obligation de fixation des équipements de taille réduite, spécifiquement conçus et adaptés aux capacités des jeunes enfants, ce que la commune n’avait pas manqué de faire valoir. Toutefois, l’instruction a révélé deux circonstances dont le tribunal va tirer parti pour établir que l’installation n’était pas normalement entretenue. D’une part, cet équipement habituellement fixé au sol, avait été l’objet la veille du jour de l’accident d’un acte de vandalisme dont les auteurs avaient brisé les fixations. D’autre part l’accès au terrain, destiné à l’accueil d’un très jeune public, n’avait pas été réglementé.

12-Deux logiques s’affrontaient. D’un côté, celle de la commune ayant pour elle la réglementation qui la dispensait d’arrimer l’installation au sol. De l’autre, celle du tribunal qui partait du constat que ses cages de but étaient habituellement fixées et utilisées en connaissance de cause. La position des juges rejoignait celle de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui, dans une espèce voisine, avait déjà affirmé que l’absence de réglementation imposant l’ancrage des buts au moment de l’accident n’était pas de nature à exonérer la commune de sa responsabilité[8] CAA Bordeaux n° 00BX00480, 13 mai 2004, commune de Bosmie-l’Aiguille.

13-C’est faire prévaloir la réalité du risque – en l’occurrence celui de basculement des cages mobiles –  sur l’application de la réglementation. Cette position se justifie d’autant plus ici que la commune avait pris des dispositions pour sécuriser l’installation en allant au-delà de ce qu’exigent les textes. L’ancrage des buts avait forcément pour but de prévenir le risque de basculement accru par l’affectation du terrain à un très jeune public par nature inconscient du danger. Aussi, dès la découverte de l’acte de vandalisme, une publicité appropriée s’imposait pour alerter les utilisateurs en droit de penser que la structure était toujours arrimée au sol, ce qu’elle était habituellement, comme l’observe le tribunal. Mieux, il eut fallut la condamner le temps de la réparation. Or aucune mesure n’a été prise en ce sens. C’est là une faute certaine, dès lors que la commune était avisée de la rupture des attaches par la voie de son agent municipal. Dans ces conditions, il n’était pas possible d’admettre, comme elle le soutenait, que l’enlèvement par ce dernier des éléments brisés potentiellement dangereux suffisait pour sécuriser l’installation.

14-A l’opposé, dans l’autre espèce, aucun vice de conception ou de fabrication du portillon n’a été établi. La cour de Bordeaux observe, de surcroît, que le fermoir était en position normale, situé du côté extérieur à la piste lorsque le portillon était fermé. Ce n’est que parce qu’il avait été malencontreusement laissé ouvert que la targette n’avait pu se trouver du côté de la piste.

 

Les moyens d’exonération tirés de la faute de la victime

15-Il ne restait, comme dernière ressource pour les deux maitres d’ouvrage,  que le moyen tiré d’une imprudence de la victime pour s’exonérer de leur responsabilité. Le juge administratif admet assez facilement l’exonération de responsabilité pour comportement fautif de la victime. Il fait preuve, à son égard, d’une particulière rigueur qui s’explique surtout par le souci d’économiser les deniers publics.  La faute la plus légère est retenue et si elle est grave, le juge n’hésite pas à accorder à la collectivité publique le bénéfice de l’exonération totale de responsabilité. Elle est habituellement la convergence d’une imprudence – souvent l’utilisation anormale d’une installation[9]Comme le fait de se suspendre à un but mobile (CAA Bordeaux n° 00BX00480, 13 mai 2004, commune de Bosmie-l’Aiguille. CE, n° 59440, 5 mars 1986, commune d’Aiguefonde), de se servir d’une … Continue reading – et d’une négligence  – le défaut de prise en compte du danger. Elle suppose que soit établie au préalable sa visibilité pour une personne normalement vigilante[10]Comme le  spectateur d’une course de taureaux tombé dans une cheminée, pour n’avoir « pas fait preuve de toute la prudence qu’exige la circulation à l’intérieur d’un monument antique … Continue reading, ce que relève la cour de Bordeaux pour le portillon. En revanche, le tribunal de Marseille ne donne aucune précision à ce sujet, mais on peut raisonnablement penser que la rupture des attaches du but mobile n’était pas apparente, d’autant que plus que l’agent municipal avait nettoyé les lieux des morceaux rompus qui auraient pu attirer l’attention des utilisateurs et les mettre en garde.

16-Enfin, la victime avait-elle eu le comportement approprié qu’exigeaient les circonstances et utilisé l’installation conformément à sa destination ? La cour de Bordeaux relève que l’enfant faisait du vélo, non pas sur une piste cyclable, mais sur la bande goudronnée bordant une piste d’athlétisme située dans l’enceinte d’un stade non-librement accessible au public. Sans doute le jugement d’un enfant de 9 ans n’est-il pas celui d’un adulte et on ne peut guère lui tenir rigueur d’un tel comportement, d’autant que rouler sur une bande goudronnée ne l’exposait pas particulièrement à un danger imminent. De même, un enfant de 6 ans qui se suspend à la barre d’une cage de but aux dimensions adaptées à son âge n’est pas conscient du danger. Qualifier d’imprudence leur comportement à cet âge serait excessif. En revanche, de telles activités ne peuvent se pratiquer que sous la surveillance d’adultes. Or, les juges observent que le jeune cycliste effectuait cette activité sans surveillance de ses parents. Là est l’imprudence susceptible de motiver une exonération de responsabilité, qui, si elle est totale en l’espèce s’explique par le fait que ce défaut de surveillance a été la cause déterminante du dommage[11]Comme le fait d’avoir laissé un bambin escalader un toboggan implanté sur  l’aire de jeux d’un jardin public. CAA Marseille, n° 97MA01004, 27 janv. 1998, commune du Cannet (exonération … Continue reading. Dans l’autre espèce, en revanche, l’enfant âgé de 6 ans était sous la surveillance de ses parents et de deux autres personnes. Par ailleurs, détail intéressant, les juges écartent le motif soutenu par le pourvoi d’une surveillance insuffisante. Ils relèvent, en effet, que les circonstances n’ont pas permis de déterminer si une vigilance accrue aurait pu empêcher la chute, ce qui peut laisser supposer que le geste de l’enfant a été imprévisible ou à tout le moins, que les parents n’ayant pas été mis en garde à la suite de la rupture de l’ancrage étaient en droit de penser que l’équipement était toujours sécurisé.

 

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

 

En savoir plus :

CAA BORDEAUX 21 FEV 2019

TA MARSEILLE 17 OCT 2019

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Jean-Pierre Vial

References

References
1 CE, n° 51249. 12 déc. 1986 no 51249 Rebora.
2 CE 5 avr. 1974, n° 87140.  Commune de Palavas-les-Flots, Lebon 216.
3 Comme un plongeoir flottant (CE 12 oct. 1973, n° 84798.  Commune de St Brévin-les-Pins, Rec. Conseil Etat p. 567) ; une bouée (CAA Nantes n° 02NT01756. 25 juin 2004, commune de La Tranche-sur-Mer) ; une installation de saut en hauteur « consistant en deux poteaux métalliques… posés sur le sol et entre lesquels pouvait être tendue une corde ou placée une latte de bois » (CE, 23 juin 1971, n° 77313, Cne Saint-Germain-Langot).
4 Ont été ainsi  assimilés à des ouvrages publics, les montants d’une échelle d’accès au bassin d’une piscine (CE, 9 mars 1977, n° 01523, commune de Bretoncelles),  un chariot destiné au transport d’agrès « nonobstant la circonstance qu’il puisse être déplacé » (CAA Lyon, 22 nov. 2001, n° 97LY00006. Ville de Lyon), un panneau de basket (CAA Paris n° 94PA01302, 23 nov. 1995. Région Ile-de-France), des matelas de mousse dans un gymnase (CAA Nancy, n° 89NC00753, 11 juin 1991. District urbain de Montbéliard).
5 CE, 15 févr. 1989, n° 48447, Dechaume; Rec. CE 1989, p. 975 ; RFDA 1990, p. 231, concl. Stirn ; 29 déc. 2004, n° 251537.
6 Skieur ayant heurté le poteau métallique d’un stade de slalom contigu à la piste. « Considérant que la victime se trouvant dans la situation d’un tiers par rapport à l’ouvrage public cause du dommage, la commune de Macot La Plagne est responsable, même en l’absence de faute de sa part, du dommage imputable à la présence de ce poteau » CE 24 mai 2000, n° 188002 188036.
7 Sauf l’hypothèse où il s’agit d’un ouvrage « particulièrement » ou « exceptionnellement dangereux » qui est soumis à la responsabilité de plein droit. C’est le cas, par exemple, du plaisancier  dont le mât du voilier est entré en contact avec les fils d’une ligne à moyenne tension dont Electricité de France est concessionnaire CE, n° 70750, 10 févr. 1988, commune d’Hyères.
8 CAA Bordeaux n° 00BX00480, 13 mai 2004, commune de Bosmie-l’Aiguille
9 Comme le fait de se suspendre à un but mobile (CAA Bordeaux n° 00BX00480, 13 mai 2004, commune de Bosmie-l’Aiguille. CE, n° 59440, 5 mars 1986, commune d’Aiguefonde), de se servir d’une jetée comme d’un plongeoir, (CAA Bordeaux n° 97BX01026  97BX01185, 27 mars 2000,  commune d’Hourtin).
10 Comme le  spectateur d’une course de taureaux tombé dans une cheminée, pour n’avoir « pas fait preuve de toute la prudence qu’exige la circulation à l’intérieur d’un monument antique comme des arènes ». CE 23 fév. 1968 n° 69991.
11 Comme le fait d’avoir laissé un bambin escalader un toboggan implanté sur  l’aire de jeux d’un jardin public. CAA Marseille, n° 97MA01004, 27 janv. 1998, commune du Cannet (exonération pour moitié). CAA Lyon, n° 95LY00296, 8 févr. 1996. Grisoni. Juris-Data n° 055480 (exonération pour moitié).





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