Le jugement rendu par le tribunal administratif de Bordeaux le 7 novembre 2018 ne manquera pas d’attirer l’attention des professionnels des activités aquatiques. En l’espèce, la responsabilité d’une commune gestionnaire d’une baignade municipale a été engagée moins pour le manquement au devoir de vigilance de ses maîtres nageurs, défaillance somme toute assez classique, que pour leur comportement inadapté une fois qu’ils ont été avisés de la disparition d’une  adolescente.

1-La surveillance des baignades n’a pas fini de faire couler de l’encre si on en juge par  la mine de jurisprudence civile, pénale et administrative qu’elle a suscitée (à titre d’exemple TC Châteauroux ; T.C. Marseille  ; T.C. Béziers ;TC. Angers ; TC. Cayenne. TC Amiens et CA Mamouzdou Mayotte ; TC Draguignan). On y trouve toute l’échelle des fautes, des plus bénignes aux plus lourdes, depuis un défaut momentané d’attention jusqu’au bavardage ininterrompu dos au bassin pendant de longues minutes ou l’arrêt complet de la surveillance pour aller boire un café. Si une note de jurisprudence n’a pas vocation à présenter une typologie des comportements fautifs, elle offre en revanche,  l’occasion d’en appréhender certaines formes moins habituelles, comme c’est le cas dans la présente espèce, de l’erreur d’appréciation du danger.

2-En l’occurrence, une jeune adolescente se noie à quelques mètres du bord d’une baignade municipale. Aucun des maîtres nageurs en charge de la surveillance n’a vu la malheureuse s’immerger. Alertés par les trois camarades de la jeune fille faisant état de sa disparition, ils ont fait une annonce au micro, puis ont intensifié leurs recherches et se sont mis finalement à l’eau jusqu’à la découverte du corps inanimé. Jugeant que le sauvetage de la malheureuse avait été tardif, les parents ont assigné en responsabilité la commune sur le fondement d’une faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police.

3-Rappelons, à l’instar du tribunal, que le maire dispose à la fois de pouvoirs de police générale définis à l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et de pouvoirs de police spéciale. La police générale a pour objet le maintien de l’ordre public qui se traduit par la prise de mesures comme celles  «  de prévenir, par des précautions convenables (…) les accidents ». Alors que celle-ci s’exerce dans un ressort géographique donné – la commune pour la police municipale – la police administrative spéciale s’exerce dans un cadre plus restreint défini par un texte qui en réglemente l’exercice. C’est le cas de la police des baignades dont l’article L. 2213-23 du CGCT décline les prérogatives et notamment celle de « pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ». En l’occurrence, les parents reprochent aux auxiliaires du maire de n’avoir pas correctement assuré cette mission. La décision est intéressante aussi bien par les constatations faites par les juges pour caractériser un manquement au devoir de vigilance que par la mise en évidence d’un comportement inapproprié  des professionnels.

I-Le manquement au devoir de vigilance

4-Rappelons  que l’exigence d’une faute lourde  pour toute défaillance dans les opérations de sauvetage de personnes et, s’agissant des baignades, pour manquement au devoir de surveillance, n’a plus cours. Une faute ordinaire suffit.

5-En l’espèce, l’organisation de la surveillance était irréprochable, compte-tenu du nombre de surveillants de bains présents, effectif largement suffisant à l’heure de la noyade du fait d’une affluence moyenne. En revanche, il est légitime de s’interroger sur les conditions dans lesquelles la surveillance s’est exercée. En effet, le tribunal relève qu’aucun des maîtres nageurs n’a « détecté d’anomalies sur le plan d’eau, ni remarqué les difficultés rencontrées par la jeune victime ». Il n’est pas improbable que la surveillance se soit relâchée en cette fin de journée et que cette baisse de vigilance s’explique par la lassitude éprouvée après de longues heures passées à mobiliser son attention.  Pourtant il  n’est nullement démontré que les maîtres nageurs «auraient été détournés de leur mission à l’heure de la noyade » comme l’ont constaté d’autres juridictions à propos de baignades où la surveillance était également assurée par plusieurs maîtres nageurs et qui en ont conclu à l’absence de faute susceptible d’engager la responsabilité de la commune[1]. Le présent jugement ne mentionne ni bavardages, ni  surveillance trop éloignée du bord de l’eau, ni absence ou positionnement inadapté des cinq maîtres nageurs. Il se contente d’indiquerque « les conditions de surveillance n’étaient pas particulièrement difficiles » à la fois en raison d’une  « affluence moyenne » à l’heure de l’accident, à la présence de  « cinq maîtres nageurs sauveteurs pour assurer la surveillance » et de « l’espace limité et rectiligne » de la baignade. Cette façon de caractériser une faute, par  simple déduction des conditions de surveillance de la baignade laissant  supposer un relâchement de la vigilance, aurait été sévère si le tribunal s’en était contenté pour retenir une faute du maire dans l’exercice de son pouvoir de police. Toutefois, le motif déterminant de la condamnation n’est pas un manque de vigilance mais  le comportement inapproprié des professionnels à l’instant où ils ont été avisés de la disparition de la victime.

II- Un comportement inadapté

6-Au lieu d’engager sur le champ des recherches dans l’eau, les maîtres nageurs commencent par faire une annonce au micro. Cette  « réaction inadaptée à la gravité de la situation » a été « à l’origine d’un retard dans les secours portés à la victime qui a prolongé l’immersion de celle-ci ». Les juges n’excluent pas, toutefois, l’existence d’un malentendu né du fait que les camarades de la noyée n’ont pas signalé « aux surveillants de baignade que leur amie était en difficulté dans l’eau et ne savait pas nager » et « par leur comportement calme n’ont pas manifesté une attitude susceptible d’alerter les surveillants ». Pour autant ils estiment que de telles circonstances « ne sauraient exonérer la responsabilité de la commune dès lors que les maîtres nageurs en professionnels avertis doivent être à même d’évaluer les risques ». Cette sévérité fait écho à un arrêt rendu par la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Chambéry où il avait été reproché à une enseignante, ayant perdu de vue un enfant lors d’une séance d’apprentissage de la natation en piscine, d’avoir entrepris de le chercher dans les toilettes au lieu de donner immédiatement l’alerte. En l’occurrence, si les juges avaient estimé que sa conscience professionnelle n’était pas en cause et que son comportement pouvait s’expliquer parce qu’elle n’avait pas voulu croire au pire, ils n’en avaient pas moins estimé que sa conduite n’avait pas « été conforme à celle que l’on pouvait attendre d’un professionnel responsable de jeunes enfants » [2]. Même méprise commise également par deux instituteurs qui, en recomptant les enfants à la sortie de l’eau, avaient découvert qu’il en manquait un. Au lieu d’alerter sur le champ les maitres nageurs ils avaient entrepris de le rechercher sur la plage et ce n’est qu’au bout de 10 minutes qu’ils s’étaient adressés à un surveillant de bains. Comme le mentionnent encore les juges « il lui fallait envisager le pire c’est-à-dire l’immersion de l’enfant »[3]. Même scénario rapporté par l’arrêt de la commune d’Osselle du 16 novembre 1995, dans lequel la cour administrative d’appel de Nancy reproche aux surveillants de bains de n’avoir  pas procédé à la fouille immédiate des bassins après que leur a été signalée la disparition d’un enfant, mais d’avoir d’abord orienté leurs recherches vers les abords terrestres dudit plan d’eau.

7-Le parallèle entre ces affaires est éclairant. Une erreur d’évaluation du danger, admissible pour un encadrement bénévole inexpérimenté, ne l’est plus de la part de professionnels diplômés. Faut-il leur rappeler qu’à chaque signalement d’une disparition la première réaction  est d’envisager le pire ! Pour autant, le manque de discernement des maîtres nageurs n’a pas été l’unique cause de la noyade qui s’explique également par l’imprudence de la victime.

III- La faute de la victime

8-Le tribunal relève, en effet, que la malheureuse, bien que ne sachant pas nager, s’est avancée dans le lac jusqu’à avoir de l’eau sous le menton et s’est amusée à mettre la tête sous l’eau sans disposer d’équipements de sécurité. Un tel comportement ne pourrait pas être reproché à un enfant en bas âge incapable de discerner le danger. En revanche, une adolescente, comme  l’était la victime âgée de 15 ans, ne pouvait ignorer les risques qu’elle prenait, d’autant qu’il ne pouvait lui avoir échappé que  « le drapeau vert indicatif d’une baignade autorisée exempte de dangers n’était pas hissé » et « que l’opacité de l’eau ne lui permettait pas d’en apprécier la profondeur ». Ces deux circonstances qui l’accablent auraient d’ailleurs pu tout aussi bien être relevées par les juges pour mettre en évidence le laisser aller des maîtres nageurs, alors qu’une vigilance particulière de leur part s’imposait.

9-Le tribunal relève encore qu’ils n’étaient pas informés qu’elle ne savait pas nager. Faut-il en déduire que tous les non-nageurs doivent en aviser les professionnels avant de se mettre à l’eau ? Ce n’est guère envisageable dans le cas de baignades très fréquentées où on voit mal comment des professionnels pourraient exercer une surveillance attentive sur plusieurs dizaines de baigneurs qui se seraient signalés comme non-nageurs. Ce qui est concevable dans le présent cas d’espèce où la fréquentation était moyenne ne peut raisonnablement être étendu à toutes les baignades.

10-L’imprudence de la victime est chèrement payée puisque, le tribunal ayant conclu à un partage de responsabilité, ses ayant droits perdent la moitié des indemnités auxquelles ils auraient pu prétendre pour l’indemnisation des frais d’obsèques et la réparation de leur préjudice moral.

 
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
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TA BORDEAUX 7 NOV 2018 NOYADE

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

TA BORDEAUX 7 NOV 2018 NOYADE

Notes:

[1]CAA Nancy, 20 févr. 2003, Consorts Jaouhari, Juris-Datan° 206612. TA Amiens, 31 janv. 1995. N° 93331. Département de l’Aisne. [2]CA Chambéry, 10 oct. 1991, n° 624191. [3]CA Amiens, 6 mai 1997, N°96/00927.

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