Voici trois décisions qui méritent l’attention. L’une (CA Bastia, 22 juin2016) fait l’amalgame entre responsabilité contractuelle et délictuelle et les deux autres (CA Poitiers 4 mai 2016 et CA Dijon 7 juin 2016) amorcent un mouvement de résistance contre la jurisprudence de la Cour de cassation qui a mis fin au refoulement de la responsabilité du fait des choses pour cause d’acceptation des risques.
1-Les collisions font partie du lot commun des épreuves automobiles et motocyclistes comme l’illustrent les trois espèces dont il est question ici. Dans la première, elle s’est produite entre un véhicule chargé d’ouvrir l’épreuve d’un rallye automobile avec un autre véhicule qui participait à l’épreuve précédente. Dans la seconde elle a eu lieu dans le cadre d’essais libres précédant le départ de l’épreuve. Dans la troisième, une motocycliste a été percutée par un motard à l’occasion d’un entraînement sur un circuit fermé.
2-Il est de droit constant que les organisateurs sportifs sont tenus par une obligation de moyen. Ainsi, l’organisateur d’un rallye automobile a le devoir de s’assurer que la voie de circulation est libre de tout encombrement avant de donner le départ. En l’occurrence cette obligation de sécurité « participe de l’obligation de prudence que l’on est en droit d’attendre de la part des organisateurs de manifestations sportives » comme le relève la cour d’appel de Bastia. Jusque là, rien à redire. En revanche, on ne peut la suivre lorsqu’elle en déduit que la responsabilité de l’organisateur est engagée au visa de l’article 1383 du code civil. En effet, ce texte s’applique aux rapports extracontractuels comme ceux existant entre les pilotes qu’aucun contrat ne lie. En revanche, l’organisateur et les concurrents ont conclu un contrat incluant une obligation de sécurité en faveur des pilotes. C’est donc en application de l’ancien article 1147 du code civil (aujourd’hui articles 1231 et s.) que la responsabilité de l’organisateur aurait dû être retenue puisque le dommage avait bien trait à l’inexécution de l’obligation de sécurité de l’organisateur et qu’il est survenu en cours d’exécution du contrat.
3-La compagnie d’assurances, appelée en garantie, affirmait que s’agissant d’un accident survenu entre véhicules non-compétiteurs, seule la loi du 5 juillet 1985 était applicable. Elle avait raison sur un point. L’exclusion de ce régime de réparation ne concerne que les accidents survenus en compétition ou à l’entrainement ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque le véhicule qui avait provoqué la collision ne participait pas à l’épreuve. Par ailleurs, celle-ci se disputait sur une route momentanément interdite à la circulation et non « sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive » cas dans lequel, la Cour de cassation a refusé la qualification d’accident de la circulation[1].
4- En revanche, on ne peut suivre l’assureur qui estimait que l’intimé ne pouvait prétendre à être indemnisé sur le fondement de cette loi au motif que sa faute avait été la cause exclusive du dommage. D’une part, la collision n’était pas uniquement imputable au véhicule ouvreur, mais également à la faute de l’organisateur qui ne s’était pas assuré que la voie était libre. D’autre part, en supposant que la faute du pilote ait été exclusive, elle n’était pas inexcusable au sens de l’article 3 alinéa 1 de la loi de 1985 et de l’interprétation particulièrement favorable aux victimes qu’en a fait la Cour de cassation[2].
Quoiqu’il en soit, la loi de 1985 qui s’applique aux rapports extracontractuels, ne pouvait trouver application en l’espèce puisque les relations entre l’organisateur et le conducteur du véhicule endommagé étaient contractuelles comme il a été dit précédemment.
5-La loi de 1985 n’avait, également, pas vocation, à s’appliquer aux deux autres espèces. Mais les motifs allégués par les deux cours d’appel pour l’écarter sont surprenants. La première (CA Poitiers), l’exclut parce que l’accident s’était produit au cours d’un entraînement. Veut-elle dire par là qu’elle en aurait admis l’application s’il avait eu lieu en compétition ? Un tel raisonnement ne pourrait aboutir dès lors que la Cour de cassation à, dès l’origine, exclut l’application de cette loi aux accidents de rallye automobile survenus aux pilotes disputant des spéciales[3]. La théorie de l’acceptation des risques a certainement inspiré cette jurisprudence puisque les tribunaux ont levé l’interdiction chaque fois que les victimes étaient des spectateurs[4]. En effet, si les concurrents acceptent le risque de collision qui est consubstantiel à la compétition, tel n’est pas le cas des spectateurs qui n’acceptent évidemment pas de prendre le risque d’être fauchés mais comptent sur l’organisateur pour les mettre à l’abri d’une telle mésaventure !
6-Les pilotes blessés n’avaient donc pas d’autre alternative que d’administrer la preuve d’une faute de l’auteur du dommage sur le fondement des anciens articles 1382 et 1383 du code civil (devenus les articles 1240 et 1241) puisque la voie de l’ancien article 1384 alinéa 1 (devenu l’article 1242) leur était fermée. L’arrêt du 4 novembre 2010, a levé cette interdiction en affirmant dans un attendu de principe « que la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ». Bien que cette décision ait été rendue à l’occasion d’un accident survenu à l’entraînement, la Cour de cassation en a fait, ensuite, application à ceux survenus en compétition[5]. Pourtant, la cour de Poitiers relève que « l’acceptation des risques par la victime ne peut jouer que pour les dommages survenus à l’occasion d’une compétition sportive et non pour une participation à un simple entraînement ». En somme, elle laisse entendre que l’acceptation des risques aurait pu être opposée au pilote accidenté, avec pour conséquence le refoulement de l’ancien article 1384 alinéa 1, si l’accident était survenu en compétition. Maintenir cette distinction est illusoire car pour améliorer leurs performances les pilotes doivent se mettre à l’entrainement dans les conditions de la compétition. Les risques qu’ils prennent sont semblables dans les deux cas.
7-L’arrêt rendu par la cour d’appel de Dijon est encore plus remarquable ! En effet, les juges observent que l’accident est survenu dans le cadre d’essais libres réalisés sur un circuit automobile et que s’agissant d’échauffements préalables à la course qui présentaient une dangerosité certaine, la victime avait accepté, en sa qualité de pilote, de courir les risques normalement liés à cette activité d’où il s’ensuivait l’inapplication de l’article 1384 alinéa 1.
8-Voici donc que resurgit l’acceptation des risques au motif de dangerosité d’un exercice. S’agissant d’un dommage matériel, on pense immédiatement à l’article L. 321-3-1 du code du sport qui refoule l’ancien article 1384 du code civil pour tout dommage de cette nature. Mais ce texte dont la portée est limitée aux dommages survenus à l’occasion « de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique » n’avait pas vocation à s’appliquer ici puisque l’accident s’était produit sur une voie publique temporairement fermée à la circulation et non sur un circuit automobile.
9-Faut-il voir dans ces deux décisions la formation d’un courant de résistance à l’arrêt du 4 novembre 2010 dont la généralité des dispositions ne laissait pourtant aucun doute sur son champ d’application ? Une doctrine autorisée a fort bien mis en évidence les inconvénients de cette décision susceptible de provoquer, par un effet boule de neige, l’abandon d’autres moyens de refoulement de la responsabilité sans faute comme la garde en commun et la loi du 5 juillet 1985. Elle crée, par ailleurs, une inégalité regrettable entre les sports qui se pratiquent à main nue (dont les pratiquants n’ont d’autre alternative que la responsabilité pour faute sur le fondement des nouveaux articles 1240 et 1241 du code civil pour obtenir réparation) et les autres sports. Pour réduire cette inégalité les tribunaux pourraient être tentés d’abaisser le seuil de la faute, ce qui aurait pour effet désastreux de fausser les compétitions en inhibant les concurrents car il n’y a pas de confrontation sans prise de risque. La cour d’appel de Dijon l’a d’ailleurs bien compris puisque après avoir écarté l’application de l’ancien article 1384 alinéa 1, elle rappelle « que le comportement d’un sportif, même s’il constitue un manquement technique, n’engage pas sa responsabilité dès lors que le jeu n’est pas dépourvu de certains risques et que le joueur n’a pas agi avec une maladresse caractérisée, une brutalité volontaire ou de façon déloyale ». En l’occurrence, ayant observé qu’aucune preuve n’a été rapportée d’un manquement du pilote au règlement fédéral et d’un comportement « intentionnellement intempestif ou anormal » de sa part, elle en déduit son absence de responsabilité.
10- En cédant à l’idéologie de la réparation la Cour de cassation a mis le vers dans le fruit. Voulant tempérer ses élans, le gouvernement a fait voter dans la précipitation la loi du 12 mars 2012 censée faire barrage à l’application de l’ancien article 1384 alinéa 1. Mais ses effets « pourraient bien s’avérer pire que le « mal » qu’elle prétend combattre » comme l’a justement relevé J.Mouly[6]. En effet, le nouvel article L. 321-3-1 du code du sport refoule l’ancien article 1384 alinéa 1 pour les seuls dommages matériels, laissant la voie libre à son application pour les dommages corporels. Un retour à la solution antérieure à l’arrêt de 2010, qui excluait la responsabilité du fait des choses sans considération de la nature du dommage, reviendrait à méconnaitre la loi ! Il n’existe donc guère d’autre alternative pour le législateur, s’il veut stopper l’hémorragie, que de remettre l’ouvrage sur le métier !
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
En savoir plus :
Documents joints:
ca-bastia ca-poitiers ca-dijon-7-juin-2016-responsabilite-civileNotes:
[1] Civ 2, 4 janvier 2006. Bull.civ II N° 1 p. 1. D 2006-10-12, n° 35, p. 2443-2445, obs J. MOULY.
[2] “Est inexcusable (…) la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». Cass. 2e civ, 3 juillet 2003, n°01-16405. Bull. civ. 2, 223 p. 186. Ainsi, n’est pas une faute inexcusable celle du piéton que son état d’ébriété à fait s’allonger sur la chaussée en un endroit où la visibilité était réduite du fait d'un éclairage très moyen. Cass. 2e civ, 23 janvier 2003, n° 01-02291 . Idem pour le sportif pratiquant de nuit le ski à roulettes sur une route départementale très fréquentée, sans porter de vêtements fluorescents. Cass. 2e civ, 22 janvier 1992, n° 90-19140. Bull.civ.2, n° 22 p. 11
[3] Cass. 2e civ, 28 février 1996. Bull. civ. II, no 37. 19 juin 2003. Pourvoi no 00-22.330 Bull.civ.II N° 197 p. 165
[4] Cass.2e civ, 16 juillet 1987,n° 86-91347 . Bull.Crim n° 294 p. 786; 10 février 1988,n°86-14708 ; 10 mars 1988,n° 87-11087 ;
[5] Cass. 2e civ, 2 juillet 2015, n° 14-19078.Bull.civ.2, n° 59 p. 32
[6] D. 2012 p. 1070