L’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 18 mai 2016 réaffirme le principe du relèvement de la faute dans les sports de contact. Il offre également l’occasion aux juges de rappeler que les brutalités ne peuvent se déduire de l’ampleur du dommage et que les sanctions fédérales ne lient pas le juge dans l’appréciation de la faute civile.
1-Un joueur de football se précipite sur son adversaire pour la conquête du ballon à l’instant où celui-ci s’en débarrasse. Sa course se termine dans les jambes du joueur lui causant une double fracture du tibia. Il prétend qu’en arrivant sur le ballon, il était en bout de course et avait peu de moyen de s’arrêter. La victime, au contraire, soutient que le tacle exécuté par son adversaire excédait les risques normaux du football. Les premiers juges rejettent sa demande. La cour de Rennes, sur appel de la victime, confirme le jugement considérant que les circonstances rapportées dans l’espèce ne sont pas suffisantes pour établir que l’intimé a agi avec une brutalité délibérée. En outre, ils relèvent que sa faute pénale ne peut être déduite ni de la seule gravité des blessures ni des sanctions prises par l’arbitre et par la commission de discipline fédérale.
2-Cet arrêt, qui met une nouvelle fois le tacle au devant de la scène judiciaire (notre commentaire du 26 septembre 2013) est dans la droite ligne de la jurisprudence qui subordonne la responsabilité des joueurs à l’existence d’une faute qualifiée. Il est acquis de longue date que les blessures provoquées par une erreur technique ou un contact entre joueurs de football à la conquête du ballon n’engagent pas la responsabilité de leurs auteurs. Le relèvement du seuil de la faute est une donnée constante du contentieux du sport de compétition dictée par la nécessité de ne pas fausser le jeu en inhibant les joueurs. Voilà pourquoi, la « faute de jeu » n’est pas considérée comme une faute civile. En revanche, lorsque le coup est porté avec brutalité ou déloyauté, que son auteur a agi délibérément avec l’intention de nuire ou qu’il a pris un risque anormal on parle alors d’une « faute contre le jeu » qui revêt les caractères de la faute civile. En l’occurrence, le débat portait sur la question de savoir si le tacle à retardement était ou non régulier. Il faut rappeler que ce geste dont la finalité est de déposséder l’adversaire du ballon est parfaitement admis à condition d’être pratiqué non pas « pied levé », ce que n’autorise pas le règlement mais « pied glissé » sans lever les talons comme le relève l’arrêt. La vitesse avec laquelle il est habituellement exécuté augmente le risque que son auteur « manque le ballon et touche le pied de l’adversaire en le blessant » comme l’observe la cour d’appel. La question a déjà été soulevée à plusieurs reprises devant les tribunaux (nos commentaires du 7 mars 2016 et du 29 juin 2015). La difficulté est de déterminer si le tacle a été commis par maladresse ou délibérément. Dans le premier cas il s’agit d’une « faute de jeu » qui n’a d’autre sanction qu’arbitrale ; dans le second, d’une « faute contre le jeu » susceptible d’engager la responsabilité civile et pénale de son auteur. Le juge doit donc rechercher si le joueur a porté consciemment son coup ou s’il a été induit en erreur par une feinte de corps de son adversaire, une accélération de sa course, un mouvement de protection de sa part ou encore l’état boueux du terrain[1]. Comme l’avait remarqué la cour d’appel de Paris, un tacle pratiqué avec retard mais sans brutalité manifeste ne constitue pas nécessairement un manquement à la règle du jeu, s’il est intervenu dans un temps très voisin de celui où la victime a frappé sur le ballon pour s’en déposséder, de sorte qu’eu égard au temps normal de réaction de l’auteur du dommage il ne saurait lui être reproché d’avoir continué son attaque du ballon[2]. De son côté, la cour de Poitiers observe qu’on ne peut déduire dans tous les cas que l’auteur d’un tacle pratiqué avec retard n’avait aucune chance de toucher le ballon. On peut aussi admettre à la lumière des circonstances de l’espèce qu’il a perdu une chance de le reprendre au profit de son équipe[3].
3-En l’espèce, le tacle serait intervenu dans un laps de temps extrêmement court, de quelques «millièmes de secondes» selon un témoin, après que le joueur blessé ait passé le ballon. Dans ces conditions, il n’était guère possible de savoir si son adversaire n’était plus en possession du ballon quand il a commencé sa glissade. Il est acquis, toutefois, que son geste a été effectué alors qu’il était en pleine course de sorte qu’emporté par son élan il est vraisemblable qu’il n’ait pas pu stopper son action. Aussi les juges écartent-ils l’hypothèse d’une brutalité délibérée. Mais ils ne s’en tiennent pas là et excluent d’autres circonstances qui auraient pu mettre en évidence une prise anormale de risque. C’est d’abord, la localisation de la blessure. Le fait que la fracture se situe au niveau du tibia et du péroné pourrait servir d’indice d’un tacle pratiqué « pied levé ». Pourtant, elle ne suffit pas à prouver que le joueur a visé les jambes de son adversaire et non le ballon. Motivation logique si on admet qu’emporté par son élan il n’est pas parvenu à éviter son adversaire. La même observation vaut pour l’ampleur du dommage. On ne peut déduire « la violence, la brutalité ou la déloyauté du geste» de la seule gravité de la blessure comme l’a rappelé à plusieurs reprises la Cour de cassation[4].
4-La cour d’appel refuse également de déduire la faute caractérisée de l’expulsion du terrain de l’auteur du coup et de la sanction prise par la commission disciplinaire du district. Cette dernière aurait été inspirée, selon eux, par le barème des sanctions de référence pour les comportements antisportifs qui prévoit une suspension minimum de douze matches pour des brutalités ou des coups occasionnant une ITT supérieure à huit jours. Il leur est d’autant plus facile de ne pas en tenir compte que le juge civil n’est pas lié par les décisions de l’arbitre et des commissions de discipline[5]. Il n’est pas tenu d’apprécier la faute en considération de la sanction prise par l’ordre juridique sportif. Cette position s’explique par l’absence d’identité entre faute sportive et faute civile. Ainsi, les fautes sportives ayant pour unique objet l’organisation du jeu et pour sanction un avantage accordé à l’équipe adverse ne sont pas des fautes civiles ou pénales[6]. En revanche, l’unité des fautes refait surface chaque fois que la règle de jeu a pour objet la protection physique des participants[7].
5-Le rapport mentionne l’existence « d’un tacle pied en avant ». Mais il n’indique pas s’il a été effectué « pied glissé » ce qui est conforme à la règle ou s’il a été exécuté « pied levé » en infraction à la règle. Ce manque de précision est regrettable car la violation de ce règlement ayant pour objet de protéger les joueurs contre le risque de graves blessures doit être considéré comme une « faute contre le jeu ». Aux yeux de l’arbitre, l’auteur du tacle est bien coupable d’une faute caractérisée puisqu’il a sorti son carton rouge signifiant l’expulsion du joueur du terrain. Mais, son compte rendu trop lapidaire n’aura pas permis aux juges de déterminer si sa décision a été dictée par la gravité de la blessure ou si elle a été inspirée par l’irrégularité du coup. En définitive, on pourra voir dans ce jugement une application de la théorie de l’acceptation des risques qui, si elle ne peut plus être opposée à la victime d’un dommage causé par une chose, a encore de beaux jours devant elle.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
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Notes:
[1] Qui « permet d’expliquer pourquoi le tacle qui visait le ballon a pu malencontreusement causer la blessure. » Rouen, 10 févr. 2003, Juris-Data n° 226981.
[2] Paris, 15 janv. 1991, RG n° 98-004625.
[3] Poitiers, 19 mai 2004. RG n° 02/ 0006. Juris-Data n° 244713.
[4] Civ, 2, 20 nov. 2014, pourvoi n°13-23759 . Civ, 2, 14 avr. 2016, pourvoi n° 15-16938 .
[5] Civ. 2, 10 juin 2004, pourvoi n° 02-18649. Bull.civ. II, n° 296 p. 250. RTD civ. 2005-01, n° 1, p. 137-139, obs. P. Jourdain
[6] Ainsi, en est-il du placage hors jeu dans le rugby à XIII. Agen, 12 avr. 1962, D. 1962 jurispr. p. 590. Gaz. Pal. 1962, p. 154.
[7] Ce que F. Buy qualifie de coïncidence normative. Note au JCP 2004, II, 10175.