La sécurité des personnes est l’une des finalités majeures de la police administrative que les autorités de police, dont les maires, ont en charge. Elle ne se limite pas à l’édiction de mesures destinées à neutraliser un danger mais également à en aviser les usagers. Aussi, le défaut de signalisation engage-t-il la responsabilité des communes dont l’inertie est toutefois atténuée par l’imprudence des victimes.

1-L’arrêt de rejet de la cour administrative d’appel de Bordeaux s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence administrative en matière de contentieux de la réparation des dommages causés par les défaillances des autorités de police. Il rappelle un élu local à ses devoirs en matière de sécurité des administrés en faisant application d’une jurisprudence constante qui impose aux communes de signaler les dangers excédant ceux contre lesquels les usagers doivent normalement se prémunir. S’il faut approuver sans réserve l’arrêt pour avoir, à l’instar des premiers juges retenu la responsabilité de la commune, sa décision de l’en exonérer, même partiellement, au motif d’une imprudence des victimes est plus discutable.

2-Voici les faits. Peu de temps après le passage d’une tempête tropicale, deux promeneuses, une mère et sa fille, décident de se rendre sur le site des vasques d’eau chaude de la rivière Bras-Rouge à la Réunion qui est répertorié comme un site pittoresque et digne d’intérêt par les principaux guides touristiques de l’ile. Ne connaissant pas les lieux, elles prennent des renseignements auprès de la Maison de la Montagne dont l’agent d’accueil leur indique que les sentiers ont été réouverts après le passage d’un cyclone et leur remet l’itinéraire à suivre. Alors qu’elles ont quitté le sentier pour rejoindre le site, elles sont victimes d’un éboulement des rives du cours d’eau. La fille est gravement blessée et la mère tuée sur le coup. L’enquête révèle que la dangerosité des lieux n’était pas signalée. Or le risque d’accident était avéré dès lors que ce site, réputé pittoresque et digne d’intérêt par les principaux guides touristiques de la Réunion, attire de nombreux randonneurs. De surcroît, le balisage était de nature à les induire en erreur. En effet, un promeneur est en droit de penser qu’un itinéraire balisé permettant l’accès à un site signalé dans les guides touristiques ne les expose pas à un risque imminent de mort ou de blessure grave. Enfin, la dangerosité de l’itinéraire avait été temporairement aggravée par le passage du cyclone Harry, si bien qu’un arrêté préfectoral en avait fermé l’accès. Il y avait donc une double raison pour le maire d’exercer son pouvoir de police : d’une part l’imminence du péril et d’autre part l’importante fréquentation des lieux. Sans doute avait-t-il fait afficher en mairie l’arrêté du préfet interdisant la randonnée sur la partie du sentier traversant la commune. Mais cette publication était insuffisante. C’est sur les lieux mêmes qu’il aurait fallu donner une information spécifique aux randonneurs sur les dangers du sentier menant aux vasques. Or à cette date, l’ONF avait mis fin à l’affichage de l’arrêté au point de départ du sentier GR R2 après avoir estimé que le parcours ne présentait plus de risques. Ce défaut d’information allait être fatal pour la commune. En effet, une abondante jurisprudence rappelle régulièrement aux élus et spécialement aux communes gestionnaires de baignades[1] ou de domaines skiables l’obligation de signalisation des dangers. Ce devoir ne se résume pas à l’édiction d’un arrêté. Il faut encore qu’il soit exécuté par l’implantation de panneaux sur les lieux avertissant les usagers du danger dès lors que celui-ci présente un caractère exceptionnel[2], comme un risque d’éboulement et se trouve sur un itinéraire habituellement fréquenté. Ce caractère exceptionnel se déduit du risque qui n’est pas visible à l’œil nu[3]. Par ailleurs, même portée à la connaissance des usagers, l’information demeure insuffisante si elle ne les renseigne pas sur la nature exacte du danger[4]. Dès lors, en retenant la responsabilité de la commune, la cour administrative d’appel ne fait qu’appliquer une jurisprudence constante.

3-En revanche, le prononcé d’un partage de responsabilité au motif d’une faute des victimes est moins convaincant. Tout d’abord, il vient d’être dit que l’ONF avait retiré la signalisation de l’arrêté d’interdiction qui aurait pu mettre en alerte les victimes. Ensuite l’arrêt relève que, ne connaissant pas les lieux, elles s’étaient renseignées auprès de la Maison de la Montagne dont l’agent d’accueil leur avait indiqué que les sentiers étaient réouverts. De surcroît, il leur avait remis l’itinéraire à suivre pour rejoindre le site des vasques dont l’accès n’était possible que par un itinéraire non aménagé empruntant le lit d’un cours d’eau. Cet agent aurait déclaré qu’il déconseillait « de manière générale » cet itinéraire aux touristes. Quel crédit accorder à ce témoignage vague n’indiquant pas formellement que les victimes avaient été mises en garde contre le risque d’éboulement ? Surtout, n’est-il pas contradictoire de leur reprocher leur imprudence tout en constatant que l’ONF avait retiré l’affichage de l’arrêté préfectoral ayant estimé «  que le parcours ne présentait plus de risques »? La faute de la victime est habituellement relevée lorsqu’il est établi qu’elle connaissait les lieux[5] ou que leur configuration révélait l’existence d’un danger visible qui ne pouvait échapper à son attention comme une combe, un sentier étroit et aérien ou la traversée d’un torrent[6]. Rien de comparable ici puisque les deux femmes se rendaient pour la première fois sur le site. Par ailleurs, un risque d’éboulement n’est pas en soi visible s’il n’a pas été signalé. Sans doute le guide remis aux victimes mentionnait-il l’absence de balisage et la dangerosité de l’itinéraire menant aux vasques d’eau chaude. On conviendra, cependant, qu’il est singulier d’inciter les touristes à se rendre sur un site pour en admirer la beauté tout en leur signifiant qu’il y a grand danger à le faire….

4-La cour d’appel qui limite la responsabilité de la victime à hauteur d’un quart de l’accident paraît bien avoir été sensible à cette contradiction. Sans doute n’est-t-elle pas allée jusqu’à l’exonération complète, selon la vieille habitude du juge administratif de traquer la moindre faute. Cette recherche systématique s’explique par le souci d’économiser les deniers de l’État et des collectivités territoriales pour ne pas en faire supporter la charge au contribuable. Elle doit être approuvée dans le cas d’imprudence consciente des victimes. En revanche, elle est plus discutable quand elles sont de bonne foi et ont été abusées par l’impéritie des pouvoirs publics.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

En savoir plus :

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

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Notes:

[1] TA Rennes 20 juill. 1994, commune de Crozon.

[2] Dénivellation profonde et abrupte sur une piste non balisée (CE 22 déc. 1971 Commune de Mt de Lans  n° 80060 ; commune de Val d’Isère 31 oct. 1990 n° 78646). Torrent aux berges escarpées difficilement discernables lorsqu’elles étaient recouvertes de neige (CE 27 sept. 1991 n° 78698 ). Excavation formée par le lit insuffisamment remblayé d’un torrent (Commune de Vars, CE 1er février 1985, n° 40154). Existence d’une tranchée (CE 25 févr. 1976, n° 92780).

[3] Barrière de neige placée en bordure de la piste, constituée de piquets de bois pointus dont seules les extrémités émergeaient de la neige (CE 9 oct. 1987 n° 63533 70882). Amas de grillage enfoui sous la neige (CE, 12 mai 1978). Clôture non signalée en période de fonte des neiges (CE 12 mai 1978 n° 02392 ).

[4] La cour administrative d’appel de Nantes reproche à une commune de s’être bornée à signaler par un panneau apposé sur le chemin d’accès à une plage l’unique mention « baignades dangereuses ; courants violents » alors que les victimes ont été surprises par des sables mouvants (CAA Nantes, 21 mars 1990, n° 89NT00523 commune de St Jean de Trolimon).

[5] CAA Lyon 3 déc. 2009, n ° 06LY01464.

[6] CAA Marseille, 20 mars 2006 n° 03MA02291. La victime est entièrement exonéré de sa responsabilité lorsqu’elle emprunte un sentier comportant à chaque extrémité une pancarte en interdisant l’accès et signalant le danger dont elle avait forcément connaissance (CE 16 avr. 1982 époux Ross n° 20090) ou lorsqu’elle s’expose en connaissance de cause à un risque comme l’accident provoqué par des fils électriques d’une ligne, dont la victime connaissait la localisation et dont les dangers lui avaient été signalés (CE 21 févr. 1975 n° 88490 époux David).

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