Il est acquis que les organisateurs sportifs ne sont tenus que par une obligation de sécurité de moyens et que leurs clients ne peuvent exiger d’eux une garantie absolue dès lors qu’ils sont censés avoir accepté les risques inhérents à la pratique sportive. Toutefois, l’obligation de l’organisateur est alourdie lorsqu’il s’adresse à des débutants pratiquant un sport dangereux. Il lui appartient alors de vérifier avant et pendant l’exécution du contrat que toutes les précautions ont été prises. Pour les avoir négligées, un exploitant de karting a été déclaré responsable de l’accident survenu à un participant (CA Paris 4 septembre 2017).
1-En l’espèce, une jeune pilote qui s’était rendue avec ses collègues sur un circuit de kart était sortie de la piste dès le départ et, après avoir perdu à nouveau la maîtrise de son engin, heurté violemment le bord de la piste. Son casque ayant été projeté lors du choc, il avait subit un traumatisme crâno-facial avec plaie et multiples fractures. Il en tint pour responsable l’exploitant du karting qu’il assigna, avec son assureur, en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Créteil. Condamné par les premiers juges, l’exploitant fit appel en soutenant qu’à l’instar de toute société qui organise des courses de karting, il n’était soumis qu’à une obligation de sécurité de moyens et qu’il l’avait normalement exécutée puisque l’installation était conforme aux normes et qu’une réunion d’information avait été organisée pour appeler l’attention des participants sur les risques et la vitesse.
2-Il est acquis que l’exploitant d’un établissement de karting n’est pas assujetti à une obligation de résultat. Il ne peut pas promettre à ses clients qu’ils seront sains et sauf à l’issue de l’activité puisqu’il perd la maitrise des karts une fois que ceux-ci en prennent possession. Néanmoins, s’il est bien tenu, comme le rappelle l’arrêt, par une obligation de moyens, il ne s’agit pas, selon les juges, d’une obligation ordinaire mais d’une obligation « renforcée en raison des risques particuliers induits par l’activité de karting ».
3-Prise à la lettre, l’obligation de sécurité renforcée désigne une présomption de faute aboutissant à un renversement de la charge de la preuve. Dans ce cas, c’est à l’exploitant de la combattre en rapportant la preuve d’absence de faute de sa part. On parle également d’obligation de résultat atténuée dans la mesure où il est admis à s’exonérer en établissant qu’il n’a pas commis de faute. Aussi, l’emploi de ce terme par l’arrêt est impropre dès lors que les juges considèrent, comme il est de règle pour l’obligation de moyens ordinaires, que la charge de la preuve d’une faute incombe au créancier. L’expression « d’obligation de moyens alourdie » aurait été plus conforme à la situation présente. Rappelons qu’elle s’inscrit dans le courant d’expansion du contenu obligatoire du contrat impliquant un relèvement du niveau des exigences à la charge du débiteur de l’obligation de sécurité. Il se traduit de deux manières : soit par une diligence rigoureuse où la moindre imprudence ou négligence suffira pour engager la responsabilité du débiteur, soit par l’ajout d’une mesure de précaution supplémentaire comme l’évaluation des capacités physiques et psychologiques d’un parapentiste[1] ou d’un pilote d’ULM qui effectue son premier saut en solo[2].
4-Le critère habituel pour identifier l’obligation de moyens alourdie d’un organisateur sportif est celui de la dangerosité du sport organisé et de l’inexpérience du pratiquant qui justifient l’existence de mesures de protection renforcées. C’est le cas de la pratique du kart par des néophytes en raison de la vitesse atteinte par ces engins comme l’illustre une dramatique affaire où une jeune fille de 14 ans fut victime d’un arrachement total du scalp, ses cheveux longs s’étant échappés du casque et enroulés autour de l’axe de rotation des roues arrières. En l’espèce les juges du fond avaient rejeté ses prétentions au motif qu’elle « avait conduit le » kart » pendant plusieurs tours sans se soucier de ce que sa chevelure, échappée du casque, volait au vent et que ce fait, à l’origine du dommage, s’était produit alors que le loueur n’avait plus de pouvoir, ni de direction, ni de maîtrise du véhicule et que seule la jeune conductrice devait rester maître d’elle-même et garder le contrôle de la machine ». C’était imputer la cause génératrice du dommage à l’imprudence de la malheureuse sur laquelle l’exploitant n’avait aucun moyen d’intervenir n’ayant pas le contrôle du véhicule. L’arrêt fut cassé au motif que l’organisateur aurait dû mettre en œuvre son obligation de sécurité de moyens « par une surveillance permanente du comportement des utilisateurs »[3] au point qu’un commentateur de l’arrêt se demanda ce qu’il en restait « dès lors que l’exploitant est tenu d’une obligation de vigilance de tous les instants, au regard de laquelle, en présence d’un accident, tout comportement du débiteur pourra apparaître fautif » et de conclure que lorsque de telles exigences sont requises « l’obligation de résultat n’est plus très loin »[4].
5-La présente décision est dans le prolongement de celle-ci. Elle la complète à deux égards. D’abord, en imposant à l’exploitant de vérifier avant le départ que chaque participant est équipé d’un casque adapté et correctement ajusté. Ensuite en n’autorisant pas le pilote qui ne maitrise manifestement pas la conduite du véhicule à reprendre un nouveau départ.
6-En matière de sport mécanique, où le risque de sortie de route est important, le casque de protection constitue pour le pilote un élément de sécurité impératif et primordial. L’exploitant n’exécute pas son obligation de sécurité s’il se borne à le mettre à la disposition des participants en leur laissant choisir la taille. Pour la cour d’appel, il doit « vérifier individuellement que chacun d’eux s’est doté d’un casque de protection exactement adapté à sa morphologie propre, l’a installé correctement, a procédé à un réglage équilibré de la jugulaire et a bouclé cette dernière ».
7-On notera au passage que le juge facilite la tâche de la victime à qui incombe l’administration de la preuve en présumant que le casque « n’était pas de dimension adaptée à la morphologie de la pilote, et/ou que sa jugulaire était mal réglée et/ou non bouclée » du fait de son arrachement lors de la sortie de piste. Ce raisonnement lui permet également d’établir le lien de causalité entre l’inadaptation du casque et la survenance des blessures.
8-L’autre manquement relevé par la cour d’appel est d’avoir laissé la victime reprendre la conduite de l’engin après la première sortie de route alors qu’elle était « novice dans la conduite d’un kart (et) partie en première position sur un circuit qu’elle ne connaissait pas ». Pour les juges son « incapacité manifeste » imposait à l’exploitant, en exécution de son obligation de sécurité renforcée, de ne pas l’autoriser à repartir compte-tenu de la forte probabilité d’une nouvelle sortie piste. Ils auraient pu également lui reprocher de ne pas avoir imposé à la victime un apprentissage préalable ou du moins de ne pas avoir vérifié son aptitude à conduire normalement l’engin. Il y avait donc matière à relever une faute supplémentaire dès lors que l’exploitant n’ignorait pas qu’il s’agissait de débutants.
9-S’il est normal que des compétiteurs chevronnés supportent les risques qu’ils prennent et les acceptent en pleine connaissance de cause, en revanche, il faut admettre que l’obligation de sécurité soit alourdie lorsque l’organisateur s’adresse à un public de masse composé de non initiés qui s’en remettent à lui en raison de sa qualité de professionnel et dont la confiance ne doit pas être trahie.
10 -Sans doute le pratiquant doit-il suivre les instructions qu’il a reçues et, s’il les enfreint, en assumer les conséquences par une exonération partielle de responsabilité pour l’exploitant. En revanche, il ne peut lui être imputé une faute de conduite si celle-ci est la conséquence directe de celle commise par l’exploitant, comme c’était le cas ici. Aussi, est-ce à juste titre que les juges ne lui imputent pas cette maladresse et concluent à son droit à entière réparation.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.
En savoir plus :
Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL
Documents joints:
Notes:
[1] Civ. 1, 5 nov. 1996, n° 94-14975, Bull. civ. 1996 I n° 380 p. 266. D. 1998, somm. 37 obs. A. Lacabarats.
[2] Civ. 1, 29 nov. 1994, n° 92-11332, Bull. civ. I, n° 351, p. 253. Gaz. Pal. 1, panor. p. 86.
[3] Civ. 1, 1 déc. 1999, n° 97-21690. Bull.civ. 1999 I n° 330 p. 215. D. 2000. jurispr. gén., n°13, p. 287, « La responsabilité des organisateurs d’activités sportives : obligation particulière de prudence ou obligation implicite de résultat ? » note J. Mouly.
[4] J. Mouly, précité.