Il n’a échappé à personne que le PSG engrange ses meilleurs résultats en championnat depuis quinze ans au moment même où le club vit une crise administrative majeure et pas vraiment résolue à ce jour. De deux choses l’une : soit l’équipe gagne malgré cette vacance du pouvoir, soit elle gagne grâce à cette situation, trouvant dans l’adversité du chaos une source de motivation – ou conformément à la belle hypothèse autogestionnaire qu’un patron ça sert à rien, bien au contraire.
Soit rien de tout ça. Entre le haut et le bas, rien à voir. Aucun lien entre la vie proprement économique d’un club et la dramaturgie du terrain. Un titre de notre page préférée dans l’édition du 16 février de notre quotidien préféré accréditait cette intuition : « L’OL retrouve la forme sur le terrain mais pas en Bourse. » Et l’article d’expliquer que la cotation du club, invariablement champion depuis sept ans, série en cours, était en chute libre [1].
Observée également en Angleterre, cette déconnexion entre performances sportives et financières est sans doute un nouvel avatar du décalage entre l’économie boursière et ce que nous nous sommes tous mis à appeler l’économie réelle en novembre dernier. Mais il y a une raison plus spécifique. C’est que le sport est insupportable au capitalisme footballistique. Les soldats du libéralisme adorent, paraît-il, la compétition, et, à ce titre, le sport est un gros fournisseur de métaphores pour les traités de management. Mais ils ne l’adorent que quand elle est sûre de leur profiter. Or ce qui est pénible avec un match de foot ou de basket, c’est qu’il est indécis. On ne peut vraiment pas compter sur lui.
L’obsession alors : minorer la part du sport dans les investissements financiers. Un expert le disait dans ce même article de notre page préférée de notre quotidien préféré : « Il est indispensable de disposer d’une base de revenus solide et récurrente, qui ne provienne pas majoritairement des droits télé eux-mêmes gagés sur les résultats sportifs de l’équipe. » D’où un bon vieux réflexe de paysan : investir dans la pierre. Ce que l’expert appelle le « modèle foncier ». La construction du stade de 60 000 places s’inscrit dans cette stratégie à la papa. Le néo-management est ainsi fait qu’une extrême contemporanéité y coïncide avec les pratiques et les affects les plus archaïques.
Equivoque que cristallise superbement le nom de la plaine commerciale dont le futur stade de Lyon sera l’épicentre : OL Land. C’est complètement anglo-saxon – genre arrachons-nous au vieux provincialisme français – et complètement ringard. Ne serait-ce que parce que, depuis quinze ans, sévissent les divins potaches de Groland sur Canal, ou parce qu’un humour tout quotidien a fait de « land » un suffixe accrochable à n’importe quel lexème : « Mais, dis donc, c’est odeurland ici », dira une mère en entrant dans la chambre de son fils.
Héraut infatigable de LA réforme en foot, Jean-Michel Aulas ignore assurément que c’est dans ce contexte linguistique qu’il promeut son OL Land, dont le balourd vouloir-moderne accuse la plouquitude.
François Bégaudeau est écrivain.
Article paru dans l’édition LE MONDE du 24.02.09.
En savoir plus :
Suivre le cours de l’action de l’OL : Voir en ligne
C. AMBLARD, Edito ISBL CONSULTANTS, septembre 2006, Il faut sauver le soldat Lamour : La fin de l’exception sportive française ? : Voir en ligne
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