L’arrêt rendu le 16 juin 2016 par la cour d’appel de Chambéry montre les limites de l’expansion de l’obligation de sécurité quand il faut apprécier les capacités psychologiques des élèves d’une école de parapente. Il confirme, par ailleurs que c’est à l’exploitant de rapporter la preuve matérielle que ses adhérents ont été personnellement avisés de l’intérêt à souscrire une assurance de personne.

1-Le vol en parapente, à l’instar des sports aériens, n’est pas dénué de tout danger ! Le risque de collision avec un obstacle quelconque est ce que les amateurs de ce sport ont le plus à craindre. Une parapentiste en a fait la triste expérience en heurtant un arbre alors qu’elle effectuait un vol encadré par des moniteurs en liaison radio avec elle.

2-Elle assigna l’école de parapente pour manquement à son obligation de sécurité et d’information sur les assurances de personnes. La cour d’appel rejette le moyen tiré d’un comportement fautif de l’exploitant. En revanche, elle considère, à l’instar des premiers juges, qu’il ne s’est pas acquitté de son obligation d’information sur l’assurance individuelle accident.

I-L’obligation de sécurité

3-L’obligation de sécurité s’entend comme la promesse faite par un organisateur sportif de prendre à l’égard de ces adhérents toutes les précautions nécessaires pour leur éviter des atteintes à l’intégrité physique. S’agissant d’une obligation de moyens, c’est à la victime d’établir la preuve que la promesse n’a pas été tenue par la faute de l’organisateur. Sa charge est inversement proportionnelle au degré de gravité du sport pratiqué. Plus il est dangereux et plus elle est allégée. La Cour de cassation considère, en effet, qu’elle « doit s’apprécier avec d’autant plus de sévérité qu’il s’agit d’un sport dangereux »[1]. Cette intensité se traduit par une expansion de son périmètre, comme c’est le cas des sports aériens, et spécialement du parapente.

4-Dans la phase préparatoire au saut, le moniteur doit s’assurer que les conditions aérologiques sont réunies pour l’effectuer, ce qui a été fait en l’espèce comme le relève la cour. Pendant la phase de vol, il a le devoir de guider ses élèves. L’obligation de sécurité prend alors la forme d’une obligation de conseil. En l’occurrence les consignes étaient données par liaison radio. Or la victime soutenait qu’elle n’en conservait aucun souvenir et mettait même en doute le bon fonctionnement de l’appareil que les moniteurs n’auraient pas, à tort, testé avant la séance d’après les constatations de l’enquête pénale. L’hypothèse d’une panne est écartée par les juges faute d’éléments objectifs qui puissent en administrer la preuve, d’autant que, selon les déclarations d’un moniteur, la victime aurait abaissé la main droite à sa demande pour corriger son cap ce qui laisse supposer une réception effective du message.

5-La victime soutenait encore que son état psychologique ne lui avait pas permis d’entendre les consignes. En effet, d’après ses déclarations, les moniteurs n’auraient pas suffisamment pris en compte sa peur après avoir vu un parapentiste heurter un arbre et n’auraient pas dû l’autoriser à s’envoler. En somme, elle reprochait au moniteur de ne pas s’être assuré avant le saut qu’elle était mentalement capable d’effectuer l’exercice. Cette exigence de contrôle psychologique a été affirmée à deux reprises par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation. D’abord, dans un arrêt du 29 novembre 1994 rendu dans une espèce où une stagiaire qui s’initiait au vol en ULM s’était écrasée au sol après avoir été prise de panique au moment du décollage. En l’occurrence, la Haute Juridiction avait estimé que l’obligation de moyens à laquelle sont tenus les organisateurs d’un stage d’initiation au vol en ULM comporte non seulement « le devoir de faire assimiler aux élèves les consignes techniques mais aussi de tester leurs capacités psychologiques ». Son arrêt du 5 novembre 1996[2] confirme cette jurisprudence. En l’occurrence, une jeune fille qui s’était blessée à l’atterrissage reprochait au moniteur de ne pas s’être enquis de son état avant le saut. Les juges du fond l’avaient déboutée au motif qu’il lui appartenait de signaler aux moniteurs une éventuelle perte d’énergie de sa part. L’arrêt fut cassé pour n’avoir pas « recherché si les moniteurs, dont le comportement devait être apprécié eu égard au caractère dangereux du sport pratiqué, avaient pris la précaution de s’enquérir, avant ce premier saut, de (son) état physique et psychologique ».

6-Le moyen soulevé par la victime s’inspirait donc de ces décisions avec toutefois deux différences majeures. D’abord, elle n’en était pas à son premier saut. Bien qu’elle fasse valoir son manque d’expérience, elle reconnaissait avoir effectué une dizaine de vols. L’exploitant assurait, de son côté, qu’elle était en formation de perfectionnement. Par ailleurs, la lecture des procès-verbaux de gendarmerie révélait, qu’après un premier vol dont elle n’était pas satisfaite mais qui s’était déroulé sans incident, les moniteurs avaient évoqué avec elle les corrections à apporter pour ses prochaines sorties. Enfin, les juges relèvent que si « elle n’était pas en confiance » elle avait choisi de repartir sans y être forcée. De son côté, l’appelant confirmait que ses moniteurs s’étaient assurés de son état émotionnel avant de la laisser repartir. De surcroît, « elle a déclaré en avoir envie » et était « venue les solliciter lorsqu’elle s’est sentie prête ».

7-Il est difficile d’évaluer la dose de stress naturel que tout pratiquant en cours de formation doit être capable de supporter si on considère qu’il ne peut y avoir de progression sans prise de risque. Vérifier si l’organisateur s’est enquis des capacités psychologiques de ses élèves c’est contraindre le juge à « sonder les cœurs et les reins » en se livrant à une appréciation « in concreto » qui risque d’être arbitraire. Aussi, une telle précaution ne peut raisonnablement s’imposer que pour les premiers vols où l’appréhension du néophyte atteint son maximum et est susceptible de le mettre en danger en lui faisant perdre ses moyens. Elle devient ensuite très aléatoire pour un élève en phase de perfectionnement, comme c’était le cas de la victime qui avait un certain nombre de vols à son actif. Aussi faut-il approuver la cour de Chambéry de n’avoir pas donné de crédit sur ce point aux déclarations de la victime.

8-La preuve de l’inexécution de l’obligation de sécurité est à sa charge. A l’inverse c’est à l’organisateur d’établir qu’il a informé ses adhérents de l’intérêt à souscrire une assurance individuelle accident, solution admise d’ailleurs pour toute obligation d’information[3].

II-L’obligation d’information

9-L’assurance individuelle accident a pour objet de garantir à l’assuré ou au bénéficiaire désigné, en cas de survenance d’un événement accidentel défini au contrat, le paiement de sommes d’argent prévues en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité (totale ou partielle) permanente ou temporaire. Elle constitue un garde fou pour la victime en lui garantissant une indemnisation chaque fois que son dommage est étranger à l’action d’un tiers ou qu’elle ne parvient pas à engager sa responsabilité. Ce type d’assurance est particulièrement recommandé pour la pratique sportive. En effet, l’obligation de sécurité de l’organisateur sportif est par principe de moyens, de sorte que la victime doit supporter la charge de la preuve d’une faute de sa part. Elle court donc le risque d’être privée de toute réparation si les circonstances du dommage sont indéterminées. L’assurance de dommage corporel permet de pallier un tel danger. On devine donc les raisons qui ont conduit le législateur à intervenir. Il aurait pu imposer aux organisateurs sportifs de souscrire une telle garantie pour le compte de leurs adhérents comme l’avait prévu l’arrêté du 5 mai 1962[4]. Il a fait un autre choix, en instituant une obligation d’information à la charge des clubs et des fédérations sportives. Elle a pour objet d’aviser leurs adhérents de l’intérêt à souscrire un contrat d’assurance de personnes couvrant les dommages corporels auxquels la pratique sportive peut les exposer (C. sport art. L 321-4).

10-Les fédérations sportives n’ont pas, pour autant, abandonnées la pratique dite de « la licence assurance » consistant à faire souscrire des assurances de personnes par leurs licenciés. En revanche, elles ont parfois omis de faire l’information nécessaire pour qu’ils aient une connaissance précise des capitaux garantis et de la possibilité d’opter pour une garantie supérieure. Découvrant après l’accident que les garanties souscrites étaient insuffisantes, les victimes leur ont alors demandé réparation. A l’origine, le contentieux a porté sur le contenu de cette information[5] et notamment sur l’absence de remise de la notice définissant les garanties du contrat et leurs règles de fonctionnement[6]. Il s’est ensuite déplacé sur ses modalités. Les victimes ont soutenu que l’information était insuffisante car elle ne leur avait pas été donnée personnellement. Ainsi, il a été jugé que la mention des modalités de souscription de la licence d’assurance sur l’annuaire des clubs membres d’une ligue de football[7] ou dans une chronique publiée dans le numéro d’une publication fédérale n’établissait pas que la fédération s’était acquittée de son obligation d’information[8] car rien ne prouve que chacun de ses licenciés avait été personnellement destinataire de l’annuaire ou de la revue fédérale. Il a été également jugé que l’affichage au siège d’un club de football des renseignements concernant l’assurance de personnes, ne démontrait pas que ses adhérents avaient bénéficié personnellement de la distribution du document d’information et de son contenu[9] (voir notre commentaire). Cette jurisprudence montre bien l’importance que les tribunaux attachent à la personnalisation de cette information comme l’atteste la présente espèce. En l’occurrence, l’exploitant avait produit une copie écran de l’information diffusée par la fédération sur son site internet qui « recommande vivement » de souscrire une assurance individuelle accident à ses licenciés. Mais constatant qu’aucune de ces pièces ne concernait nommément l’intéressée la cour d’appel estime insuffisante cette information car elle « ne permet pas de tenir pour acquis » que la victime « a acheté la licence sur internet ce jour-là et donc reçu toute information utile ». Il eut fallut que l’appelant produise un reçu de la fédération attestant que l’intéressée ayant pris sa licence sur internet avait été en même temps avisé des garanties offertes (par exemple en cochant la case prévue à cet effet dans la procédure d’inscription).

11-Il reste un moyen qui n’a pas été invoqué et qui aurait pu constituer un motif de pourvoi. L’article L 321-4 du code du sport met l’obligation d’information à la charge des fédérations et de leurs clubs. Or l’exploitant de l’école de parapente avait le statut d’EURL (société unipersonnelle à responsabilité limitée) au sens des articles L 121-2 et suivants du code du sport consacrés aux sociétés sportives. Il aurait donc pu soutenir que sa société qui exploitait l’école n’était pas nommément visée par l’article L 321-4 de sorte que s’il était assujetti à l’obligation de souscrire des garanties d’assurance en responsabilité civile (art. L 321-1 ) il n’était pas tenu, en revanche par celle d’information. Dans ce cas il lui aurait été facile d’établir que la victime avait fait fausse route en lui réclamant des indemnités alors qu’elle aurait dû agir contre la fédération de vol libre.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport

En savoir plus :

CA Chambéry 16 juin 2016 Parapente

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Chambéry 16 juin 2016 Parapente



Notes:

[1] Civ. 1, 16 oct. 2001, n° 99-18221. Bull. civ. I, 2001, n° 260, p.164. D. 2002, somm. 2711 obs. A. Lacabarats, JCP 2002, 2, 10194, note C. Lièvremont. RTD civ. 2002, p. 107 obs. P. Jourdain. Gaz. Pal. 2002, 1374, note P. Polère.

[2] Bull. civ.1 n° 380 p. 266.

[3] Cass. 1ère civ. 9 déc. 1997, n° 95-16923. Bull. civ.1, n° 356 p. 240. « Attendu que (…) celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».

[4] Dans son avis du 23 juin 1966 le Conseil d’Etat avait considéré qu’une telle prescription, qui apporte une limite au principe de la liberté contractuelle, était du domaine de la loi, de sorte que la condition imposée aux licenciés d’être couverts à titre personnel par un contrat d’assurance à l’occasion de la délivrance d’une licence était sans fondement juridique.

[5] Cass. 1ère civ. 16 juill. 1986, n°84-16903. Bull civ 1. n° 209 p. 200. 4 févr. 1997.n° 94-19375.

[6] Cass. 1ère civ. 13 févr. 1996, n° 94-11726 et 94-12440. Bull civ. 1, n° 84 p. 56.

[7] CA Douai, 3e ch., 29 août 2002, Association Olympique Raismois c/ Sail, Juris-Data no 2002-199.878.

[8] Civ. 1, 14 janv. 2003, n° 00-16605, Assoc. Limoux rugby à XIII c/ Axa assur. RGDA n ° 2003 avr./juin 2003, p. 321, note A. Favre-Rochex.

[9] CA Metz Chambre 15 janv. 2016, n° 14/01198.

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