En mettant à la charge des groupements sportifs une obligation d’information des pratiquants sportifs sur l’assurance de personnes (art L 321-4 C. sport), le législateur ne se doutait pas de l’ampleur du contentieux que son inexécution allait susciter. Si cette obligation n’est pas sanctionnée pénalement comme celle d’assurance en responsabilité civile (art L 321-2 C. sport), en revanche son inexécution met en jeu la responsabilité civile du groupement. Les licenciés sportifs en ont fait une arme de seconde frappe lorsque l’obligation de sécurité du groupement n’est pas discutée ou que son inexécution n’est pas établie. Leur demande de réparation connaît des fortunes diverses comme l’attestent les trois décisions rendues par les cours d’appel de Lyon (9 juin 2016), Metz (5 janvier 2016) et Colmar (6 mars 2016).
1-L’obligation d’information des groupements sportifs (dont il a été récemment question dans notre commentaire du 20 juin 2016) est à double face. L’une a pour objet de promouvoir la souscription d’un contrat d’assurance de personnes. L’article L 321-4 C. sport (ancien article 38 de la loi du 16 juillet 1984) dispose, en effet, que « les associations et les fédérations sportives sont tenues d’informer leurs adhérents de l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance de personnes couvrant les dommages corporels auxquels leur pratique sportive peut les exposer ». L’autre, visée par l’article L 321-6 relève plutôt d’une mise en garde. Elle s’applique au cas où une fédération propose à ses membres, qui sollicitent la délivrance d’une licence, d’adhérer simultanément au contrat collectif d’assurance de personnes qu’elle a souscrit. Ce texte précise les conditions de l’offre de souscription qui doit notamment mentionner « que l’adhérent au contrat collectif peut en outre souscrire des garanties individuelles complémentaires ». Les tribunaux en ont déduit une obligation de renseignement à la charge des groupements sportifs sur les limites de la garantie[1]. Elle s’explique par la volonté de protéger les sportifs découvrant, à l’occasion d’accidents graves dont ils ont été victimes, que les minimas de garanties souscrits à leur intention sont insuffisants pour les indemniser de leur préjudice. Ainsi, et à plusieurs reprises, la Cour de cassation a rappelé à l’ordre des fédérations sportives pour n’avoir pas signalé à leurs membres qu’ils avaient la possibilité de prendre une garantie plus étendue que les minimas souscrits[2].
2-Ce type de litige survient habituellement lorsque les licenciés accidentés n’ont pas de faute à reprocher au groupement dans l’exécution de son obligation de sécurité. On en a un exemple intéressant avec l’affaire Sulpice, membre de l’équipe de France de cyclisme de vitesse, et devenu tétraplégique à la suite d’une collision avec un autre coureur alors qu’il participait à une séance d’entraînement aux championnats du monde sur piste de Bogota. Son action en responsabilité contre l’Union cycliste internationale échoua en l’absence de faute de celle-ci dans l’exécution de son obligation de sécurité[3]. En revanche, il parvint à administrer la preuve d’un manquement de la fédération française de cyclisme à l’obligation de conseil à laquelle celle-ci était tenue envers son licencié quant à la possibilité pour celui-ci de souscrire une assurance complémentaire en cas d’accident.[4]
3-Les trois décisions dont il est question ici concernent précisément ce contentieux particulièrement nourri qui oppose les fédérations, les ligues et les clubs à leurs membres. Les deux premières concernent des joueurs de football dont l’un avait été victime d’une rupture du tendon d’Achille (CA Colmar, 6 mars 2010) et l’autre d’un décollement de la rétine entraînant une perte de l’acuité visuelle après avoir reçu le ballon dans la figure (CA Metz, 5 janvier 2016). Dans la troisième espèce, un amateur de ski de fond s’était blessé à l’épaule dans une pente raide alors qu’il participait à un cours de ski hors piste (CA Lyon, 9 juin 2016).
4-Envoyer le ballon dans la figure de l’adversaire n’est pas une faute de jeu mais un incident de jeu insusceptible d’engager la responsabilité de l’auteur du coup. De même, la rupture d’un tendon d’Achille sur un terrain de football ou une chute lors d’un cours de ski ne peuvent donner lieu à condamnation de l’organisateur s’il n’est pas établi un mauvais état du terrain, ou que les capacités physiques de l’élève ont été surestimées par le moniteur. En l’occurrence, les victimes qui prétendaient ne pas avoir été avisées par leurs fédérations respectives de la possibilité de souscrire des garanties complémentaires avaient engagées contre elles ou leurs organes déconcentrés une action en responsabilité pour manquement à leur devoir d’information.
5-L’essentiel du contentieux portait sur son contenu. L’examen de la jurisprudence sur ce sujet révèle qu’il s’agit d’une obligation de moyens renforcée.
6-Son intensité se vérifie d’abord sur le terrain de la preuve. En pratique, ce n’est pas au sportif de prouver l’inexécution, par son club, de son devoir d’information, mais à celui-ci de rapporter la preuve qu’il l’a accompli. Ainsi la cour d’appel de Colmar observe que les premiers juges ont exactement énoncé que la charge de la preuve de la remise de la notice établie par l’assureur incombait à la fédération sportive. C’est la solution appliquée par la Cour de cassation à toute obligation d’information[5]. S’il appartient au créancier de rapporter la preuve de la mauvaise exécution d’une obligation, comme l’a fait justement remarquer un auteur, la preuve de son exécution incombe en revanche au débiteur[6].
7- Le contenu des informations communiquées est un autre indice d’une obligation alourdie. Ainsi, la cour de Colmar, relève que la ligue d’Alsace de football ne produit pas la notice établie par l’assureur conformément au deuxième alinéa de l’article L. 141-4 du code des assurances. Elle considère qu’un exemplaire vierge du formulaire de demande de licence comprenant un rappel des garanties de bases attachées à la licence, ainsi qu’un bulletin de souscription de garanties complémentaires ne suffisent pas à compenser l’absence de notice dès lors que ces documents ne fournissent pas d’informations équivalentes à celles qu’elle contient.
8-Les modalités de communication des garanties souscrites, imposées aux fédérations, sont également révélatrices de l’intensité de l’obligation d’information. Il ne suffit pas d’établir la preuve que l’information a été faite aux adhérents. Il faut encore démontrer qu’ils en ont personnellement pris connaissance. Le seul fait qu’un club sportif figure sur l’annuaire des clubs membres d’une ligue de football, qui mentionne les modalités de souscription de la licence d’assurance, est insuffisant à caractériser l’exécution de l’obligation d’information. En effet, rien ne prouve que chaque joueur soit mis en possession de cet annuaire[7]. De la même manière, la chronique publiée dans le numéro d’une publication fédérale attirant l’attention des joueurs sur l’importance de souscrire des garanties complémentaires facultatives n’établit pas que la fédération s’est acquittée de son obligation d’information[8]. Même rappel à l’ordre de la Cour de cassation à propos d’un emplacement sur la licence portant la mention « Timbre surprime, en cas d’option pour une garantie supérieure ». La Haute Juridiction a estimé que le club de cyclisme mis en cause n’établissait pas que la victime avait été informée de la faiblesse de la garantie et de possibilité d’opter pour une garantie supérieure[9]. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant lorsque la cour d’appel de Metz observe que la ligue « ne saurait s’exempter de faute en invoquant qu’une information au sujet des assurances complémentaires a été diffusée dans le journal de la fédération et dans les clubs sportifs par voie d’affichage ». Elle va même plus loin en relevant que la remise par le club aux parents d’un document présentant les garanties d’assurance complémentaire n’apportent pas la démonstration qu’ils « ont bénéficié personnellement de la distribution du document d’information ni du contenu de celui-ci ».
9-Aussi pour prévenir les contentieux les fédérations ont pris l’habitude de se préconstituer des preuves écrites par une déclaration signée de la main de l’intéressé attestant qu’il a pris connaissance de l’offre d’assurance.
10-Ainsi, la cour d’appel de Lyon constate que les prescriptions édictées par l’article L 321-6 du code du sport ont été formellement respectées. Non seulement, la Fédération Française de Ski verse aux débats un exemplaire de la licence carte neige contenant un tableau des garanties et une notice de l’assureur, mais elle produit également la signature du père de la victime avec la mention dactylographiée suivante ‘j’ai pris connaissance de l’étendue des garanties d’assurance et/ou d’assistance proposées dans le dépliant qui m’a été remis lors de mon adhésion.’ Il est également précisé sur ce même document que les adhérents de la fédération peuvent bénéficier sur demande de capitaux supplémentaires (décès, invalidité, frais d’optique, frais médicaux)’.
11-En l’occurrence, la victime était un licencié sportif ordinaire. Dans le cas d’un sportif de haut niveau l’exécution de l’obligation d’information est encore plus rigoureuse comme cela a été jugé, à propos d’un accident survenu lors d’une compétition de bicross à un compétiteur participant habituellement à des compétitions internationales. En l’espèce, la fédération française de cyclisme a été condamné bien que le contenu de ses supports informatifs aient été jugé « parfaitement clair y compris pour un jeune majeur » et qu’elle ait produit une déclaration écrite signée de la main de l’intéressé attestant qu’il avait pris connaissance de l’offre d’assurance. Il eut fallut, selon la cour de Rennes, que la fédération « apporte un soin particulier à la délivrance d’une information personnalisée » en s’assurant « par une information personnalisée » que le jeune licencié avait eu une connaissance« effective » de l’intérêt qu’il avait à souscrire des garanties complémentaire (voir notre commentaire du 26 octobre 2015).
12- La preuve de l’inexécution de l’obligation d’information ne met pas un terme au contentieux. Il faut encore établir le montant de l’indemnisation. Cette preuve incombe, cette fois-ci à la victime. A charge pour elle de démontrer la garantie qu’elle aurait souscrite si le club avait rempli son devoir d’information en produisant le contrat d’assurance fixant la garantie maximale susceptible d’être souscrite, ainsi que son coût comme l’exige la Cour de cassation[10].
13- La cour de Metz relève, à cet égard, que la victime sollicitait une indemnité réparant l’intégralité de son préjudice corporel. Mais sa demande est rejetée faute d’établir une clause d’un contrat d’assurance en application de laquelle elle aurait pu obtenir une indemnisation supplémentaire par rapport à celle qui lui a été allouée.
14-En admettant qu’elle ait pu produire une telle clause, il est peu vraisemblable que sa demande aurait aboutie. En effet, s’il fut un temps admis que les clubs puissent être condamnés à indemniser les victimes de l’entier dommage[11], cette jurisprudence n’a pas eu de suites. La Cour de cassation considère qu’il ne saurait y avoir lieu à réparation intégrale, mais seulement à indemnisation d’une perte de chance d’obtenir une indemnité plus élevée comme l’atteste son arrêt du 4 février 1997[12]. En effet, même si le club a rempli son obligation, il n’est pas acquis que le pratiquant aurait souscrit l’assurance conseillée. Ainsi, la cour de Colmar observe que, pour être couvert au titre des souffrances endurées, du préjudice esthétique et du préjudice d’agrément, comme le réclamait la victime, celle-ci aurait du souscrire une assurance à titre individuel au besoin auprès d’un autre assureur. Elle en déduit que la probabilité d’une telle souscription était faible d’autant qu’elle n’avait pas souscrit les garanties complémentaires prévues dans la demande de licence (majoration des indemnités journalières en cas d’incapacité temporaire et des capitaux en cas de décès ou d’incapacité permanente).
15-L’évaluation de la perte de chance dépend en grande partie du niveau sportif de la victime. En effet, plus il est élevé et plus la probabilité qu’elle ait souscrit une garantie complémentaire est importante. Solution logique en proportion du risque crée par le sport de compétition. Ainsi, dans l’affaire Sulpice, dont il a été précédemment question, la cour d’appel de Chambéry avait relevé que la probabilité de souscription d’une assurance complémentaire par l’intéressé était très élevée compte tenu de la dangerosité du sport pratiqué[13].
16-La situation des sportifs de haut niveau vient, à cet égard, d’être singulièrement améliorée. En effet, la loi du 27 novembre 2015 (art. L 324-4-1C. sport) a mis fin pour cette catégorie de sportifs à l’obligation d’information. Désormais, les fédérations sportives délégataires ont l’obligation de souscrire des contrats d’assurance de personne au bénéfice de leurs licenciés inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau. Nos champions auront désormais la garantie, d’être indemnisés intégralement par l’assureur de leur fédération des dommages corporels qu’ils peuvent subir dans l’exercice de leur sport (voir notre commentaire du 27 avril 2016).
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
En savoir plus :
Cours d’appel de Lyon (9 juin 2016),
Cour d’Appel de Metz (5 janvier 2016)
Cour d’Appel de Colmar (6 mars 2016).
Documents joints:
ca-lyon-9-juin-2016 ca-metz-5-janvier-2016-football-accident-assurance-dommage-corporel-obligation-dinformation ca-colmar-6-mai-2016Notes:
[1] En ce sens, F. Alaphilippe et J-P. Karaquillo, D. 1983, somm. p. 257.
[2][2] Fédération française des sports de glace : Civ. 1, 16 juill. 1986, n°84-16903. Bull. civ. I, n° 209, p. 200. RJE sport, 1987, n° 2, p. 101, obs. G. Durry. RGDA, 1986, p. 453, note J. Bigot. Fédération française handball ; Civ. 1, Civ. 1, 4 févr. 1997, Fédération française de handball c / SA Lloyd Continental, Bull. civ. II, n° 89. D. 1998, somm. p. 50, note H. Groutel, Resp. civ. et assur. Délégation nationale des sports équestres. Cass. civ. 1ère 13 févr. 1996, n° 94-11726. Bull. civ. I, n° 84, D. 1997, somm. 181, obs. J. Mouly.
[3] La victime prétendait que l’anneau de vitesse agréée par l'Union cycliste internationale comportait une peinture améliorant la glissance de la piste alors que celle-ci aurait du choisir une peinture excluant tout danger de dérapage. Toutefois, en l'absence de constatations matérielles permettant de connaître au moment de l'accident l'état de la piste au lieu de la collision et alors que les coureurs impliqués dans l'accident ne mettaient pas en cause le revêtement de la piste dans la réalisation de la chute, et n'évoquaient pas un dérapage, le moyen avait été rejeté en cassation. Civ.2,22 septembre 2005, n°04-16361.
[4] CA Chambéry, (2e Chambre), 11 mars 2008 no 07/00651
[5] Cass. 1re civ. 9 déc. 1997, n°95-16923. Bull.civ. 1,n° 356 p. 240
[6] P. Jourdain, RTD civ. 1997. 142
[7] CA Douai, 3e ch., 29 août 2002, Association Olympique Raismois c/ Sail, Juris-Data no 2002-199.878.
[8] Civ. 1, 14 janv. 2003, n°00-16605, Assoc. Limoux rugby à XIII c/ Axa assur. RGDA n ° 2003 avr./juin 2003, p. 321, note A. Favre-Rochex.
[9] Cass. civ. 1re, 12 nov. 1998, n° 96-22625.
[10] Cass. Civ, 2, 21 févr. 2002, n° 99-20711. Bull civ. II n° 16 p. 15.
[11] Cass. 1ère civ. 16 juill. 1986, n° 84-16903. Bull civ. n° 209 p. 200. RJE Sport, 1987, no 2, p. 101, obs. G. Durry.
[12] Cass. civ. 1re, 4 février 1997,n° 94-19375 . Resp. civ. et assur. 1997, comm. no 113, obs. Courtieu.
[13] Chambéry, 11 mars 2008, n° 07/00651, Fédération française de cyclisme c/ Sulpice, Dict. perm. dr. sport Bull. 145, p. 5991.