Les chutes de baigneurs sur des sols glissants sont une des causes d’accident assez banales pour la réparation desquelles l’usager de la piscine est en position favorable. En effet, il n’a pas à établir la faute de l’exploitant, c’est-à-dire le fait que celui-ci ait omis d’entretenir les sols. En revanche, il lui incombe de prouver qu’ils sont la cause de sa chute et de ses blessures, sans quoi sa demande d’indemnisation sera rejetée, comme l’atteste la décision rendue par la cour administrative d’appel de Bordeaux (arrêt du 28 septembre 2017).

1-Un baigneur est victime d’une entorse en chutant au débouché de l’échelle de sortie du bassin de la piscine d’un parc de loisirs exploité en régie[1]. Imputant sa chute aux lames de bois qui ne seraient pas antidérapantes, il assigne en responsabilité l’exploitant devant le tribunal administratif de Pau qui rejette sa demande. En appel, il soutient que l’exploitant a enfreint l’article A. 322-21 du code du sport en vertu duquel « l’ensemble des sols qui sont accessibles pieds nus (…) sont antidérapants » (…) et que sa chute en est la conséquence. En vain ! Il est débouté par la cour administrative d’appel qui confirme le jugement.

2-Dans les procès en responsabilité, la question de la charge de la preuve est capitale. Lorsqu’il s’agit de responsabilité pour faute prouvée, régime applicable chaque fois qu’est mis en cause le fonctionnement d’un service public, la preuve d’une faute dans l’exécution du service incombe à la victime. Il lui revient d’établir que celui-ci n’a pas normalement fonctionné. Par exemple, que l’effectif de surveillance d’une piscine était insuffisant ou qu’il a manqué de vigilance. Si elle ne parvient pas à administrer la preuve d’une faute de l’exploitant, notamment lorsque les circonstances du dommage sont indéterminées, sa demande d’indemnisation sera rejetée. En revanche, la charge de la preuve est allégée si l’objet du litige porte sur un dommage imputable à l’installation elle-même. C’est le régime applicable aux dommages causés par des ouvrages publics. En effet, la faute de l’exploitant qui a laissé l’ouvrage se dégrader ou qui n’est pas intervenu pour corriger un vice de conception ou d’installation est présumée. Cette présomption renverse la charge de la preuve. En effet, c’est à l’exploitant d’établir que l’ouvrage n’est pas défectueux et normalement entretenu ou que le dommage est imputable à un cas de force majeure ou à la faute de la victime qui a enfreint les consignes d’utilisation.

3-La présomption de faute ne s’applique, toutefois, qu’à une double condition. D’abord, que l’ouvrage mis en cause ait la qualité d’ouvrage public. Ensuite, que la victime rapporte la preuve du lien de cause à effet entre ledit ouvrage et ses blessures.

4-La qualification d’ouvrage public est subordonnée à trois critères qui se trouvaient réunis en l’espèce. Le premier est d’être le fruit d’un travail de l’homme comme l’est une piscine et non de la nature telle qu’une baignade non aménagée. Le second critère tient à la nature de l’ouvrage : il doit s’agir d’un équipement immobilier, comme peut l’être un bassin, auquel sont assimilés tous ses accessoires[2] tels que les montants de l’échelle d’accès au bassin[3] ou une grille de séparation entre deux bassins[4]. Enfin, le bien doit être affecté à un intérêt général, ce qui est le cas pour toutes les installations sportives et spécialement pour celles destinées à la pratique des sports aquatiques.

5-S’il est établi que l’installation répond à la définition de l’ouvrage public, la victime doit alors établir que son dommage corporel est imputable à une anomalie de l’équipement. Si elle n’a pas à prouver que celle-ci est la conséquence d’une faute de son propriétaire, en revanche elle doit démontrer le lien de causalité entre ses blessures et la défectuosité de l’installation.

6-Or, l’appelant ne donne ici aucune précision sur les circonstances de la chute qui auraient permis d’établir l’existence d’un sol glissant. Mieux, l’exploitant produit des preuves de l’absence de défectuosité de la plage en bois. D’une part, aucun autre accident n’a été signalé. D’autre part, le rapport de l’expert dépêché par son assureur atteste que le revêtement était constitué de planches antidérapantes conformes à la réglementation en vigueur et au cahier des charges du constructeur de la piscine et qu’aucune stagnation d’eau anormale n’y était observable. Sans le dire explicitement, l’arrêt laisse supposer que la chute est la conséquence d’une maladresse ou d’une imprudence de la victime. Par analogie avec la responsabilité pour faute prouvée, où la personne publique ne répond que des risques excédant ceux contre lesquels les usagers ne peuvent se prémunir[5], les premiers juges ont fait remarquer qu’il existe toujours dans les piscines un risque de glissade créé par la présence au sol d’eau résiduelle et que celui-ci n’excède pas ceux auxquels ses usagers doivent normalement s’attendre. En somme c’est à l’usager de faire preuve de prudence, ce qui se conçoit fort bien s’il s’agit d’un habitué bien au courant du risque de glissade mais qui est plus discutable pour un baigneur occasionnel. Aussi, le motif soulevé par l’appelant de l’absence de signalisation indiquant la nécessité d’être particulièrement précautionneux en sortant de la piscine pouvait être entendu. Mais une telle mise en garde ne se serait imposée que s’il y avait eu un risque réel de glissade, ce qui n’était pas le cas en la circonstance puisqu’aucune chute n’avait été signalée auparavant et que le rapport de l’expert ne mentionnait pas la présence au sol d’eau résiduelle.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.

En savoir plus :
CAA Bordeaux , 28 septembre 2017

Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CAA BORDEAUX 28 SEPT 2017 ACCIDENT BAIN



Notes:

[1] En conséquence, le litige relève de la compétence des juridictions administratives qui appliquent les règles de la responsabilité administrative.
[2] A condition qu’ils y soient incorporés. Par voie de conséquence, un plongeoir flottant n’est pas un ouvrage public. CAA Nantes 25 juin 2004. Commune de la Tranche sur Mer.
[3] CE 9 mars 1977, commune de Bretoncelles.
[4] CAA Lyon, 6 mai 2010, n° 08LY00264.
[5] Comme tous ceux non apparents tels que des blocs de pierre affleurant ou dissimulés dans une baignade municipale (CE, 5 mars 1971, n° 76239).  En revanche, une commune n’est pas responsable des dangers n’excédant pas ceux contre lesquels les baigneurs peuvent normalement se prémunir (CE 11juin 1969, n°73435).

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