Les condamnations pénales du chef de blessures involontaires aggravée et de mise en danger d’autrui ne sont pas légions dans de champ des pratiques sportives. Aussi, celle prononcée par le tribunal correctionnel de Lorient à l’encontre d’un skipper de classe internationale, dont le trimaran était entré en collision avec un canot en charge de la surveillance d’une régate, mérite l’attention. Le prévenu était poursuivi pour avoir enfreint plusieurs dispositions de règlements maritimes considérées par le ministère public et les parties civiles comme des obligations particulières de sécurité elles-mêmes composantes de la faute pénale délibérée. Le jugement rendu le 12 juillet 2016 attribue cette qualification à une seule d’entre elles, assimilant les deux autres à des obligations générales de sécurité exclues du champ des délits d’imprudence réprimés par les articles 222-19 et 223-1 du code pénal.

1-L’accident est survenu en marge d’une étape de la course Volvo Océan Race où se disputait une mini régate. Le prévenu, connu pour avoir disputé les Jeux Olympiques et la Route du Rhum à deux reprises, avait programmé une session d’entrainement avec un arrêt à Lorient « pour aller saluer les marins ». Ayant pénétré dans la zone d’exclusion avec son trimaran, il entra en collision avec un des canots ayant en charge la sécurité de l’épreuve dont l’une des occupantes fut projetée à l’eau par le safran du trimaran et du subir l’amputation d’une jambe.

2-Le skipper était poursuivi sous la double qualification de blessures involontaires aggravée en application de l’article 222-19 du code pénal et de mise en danger d’autrui sur le fondement de l’article 223-1.

3-Le délit de mise en danger d’autrui ne peut, en principe, se cumuler avec celui d’homicide ou de blessures involontaires aggravé lorsque les deux infractions ont été commises à l’égard des mêmes personnes[1]. En effet, le délit de l’article 223-1 réprime le fait d’avoir exposé autrui à un péril imminent d’atteinte grave à l’intégrité physique d’autrui. Le législateur a voulu réprimer l’imprudence caractérisée en tant que telle, indépendamment de son résultat et donc en l’absence de dommage. En revanche, l’infraction de blessures involontaires implique nécessairement que le risque se soit réalisé. Une même personne ne peut, pour les mêmes faits, être en même temps exposée au risque de blessures et en être victime. De surcroît, la faute délibérée constitutive de la mise en danger d’autrui étant la même que celle prise en compte au titre des blessures involontaires aggravées, « il y aurait atteinte au principe non bis in idem à les retenir l’une et l’autre »[2]. En revanche, des poursuites pour mise en danger d’autrui sont possibles dès lors qu’elles concernent les personnes restées indemnes, comme c’était le cas ici des autres passagers du canot naufragé.

4-Les poursuites pénales sur le fondement de ces deux qualifications ont pour base commune la violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité. Elle est une circonstance aggravante pour les auteurs de blessures involontaires[3] et un élément constitutif de l’infraction dans le cas de mise en danger d’autrui. S’agissant de cette dernière infraction, l’imprévoyance et l’imprudence n’y sont réprimées que s’il y a eu une violation manifeste de la loi ou du règlement.

5-En l’espèce, il était reproché au skipper d’avoir délibérément enfreint trois dispositions réglementaires. D’une part, l’arrêté du préfet maritime déterminant une zone interdite à la navigation. D’autre part, deux règles du RIPAM (règlement international pour prévenir les abordages en mer), l’une imposant le maintien en permanence d’une vitesse de sécurité permettant de prendre les mesures appropriées pour éviter un abordage et l’autre imposant de s’écarter d’un navire rattrapé.

1-Violation de l’arrêté du préfet maritime

6-L’élément matériel du délit de l’article 222-19 porte sur la violation d’une obligation particulière de sécurité légale ou réglementaire définie par l’article 121-3 du code pénal. L’emploi du singulier dans ce texte pour désigner les règlements invite les tribunaux à une interprétation stricte, ce qu’ils ont fait en excluant les règlements intérieurs, les circulaires et instructions ministérielles et en ne retenant que ceux qui entrent dans le champ de l’article 37 de la constitution comme les arrêtés préfectoraux.

7-L’arrêté du préfet maritime, dont la violation constituait un des fondements des poursuites, délimitait une zone interdite à la baignade, à la plongée au mouillage et à la pèche. La détermination d’une zone d’exclusion plus restreinte à la navigation avait été, en revanche, déléguée à l’organisateur de l’épreuve. Cette délégation ne se bornait pas à l’exécution de tâches matérielles, ce qui aurait été le cas si l’arrêté après avoir délimité la zone d’exclusion avait délégué à l’organisateur la pose de bouées pour la matérialiser. Elle portait sur la détermination même du périmètre d’exclusion ce qui, au passage, pose la question de sa validité quand on sait que la police administrative n’est pas délégable. Sans doute, les règlements des fédérations sportives délégataires pris en application d’une délégation de pouvoir consentie par le ministre des sports ont-ils la même valeur que ceux des autorités ministérielles. Mais, ils le sont par la volonté du législateur. En revanche, il n’est pas acquis qu’une autorité administrative déconcentrée puisse, de sa propre initiative, déléguer même une parcelle de son pouvoir de police. Pourtant, c’est le raisonnement suivi par le tribunal qui en déduit qu’une zone délimitée par une personne morale de droit privé n’a pas de valeur réglementaire. Il s’ensuit que les dispositions de l’article 222-19 ne sont pas ici applicables.

8-Quand bien même de telles mesures auraient une valeur réglementaire, les juges lui dénient, à juste titre, la qualification d’obligation particulière de sécurité. En effet, il ne peut y avoir d’obligation particulière qui ne soit pas immédiatement applicable. Son application est soumise à « un modèle de conduite circonstanciée »[4]. Il s’agit d’une « règle objective précise immédiatement perceptible et clairement applicable »[5] ne laissant aucun pouvoir d’appréciation individuel sur le comportement à avoir pour sa mise en oeuvre.  Au contraire, si les exigences requises pour son application sont insuffisamment qualifiées ou circonstanciées et nécessitent la prise en compte de différents facteurs comme la configuration des lieux, leur fréquentation ou toute autre circonstance l’obligation est générale. Ainsi, l’interdiction d’accès à une zone ne saurait être qualifiée d’obligation particulière que si sa délimitation a été formalisée et portée à la connaissance des usagers. Cette condition n’était pas remplie en l’espèce puisque le plan des secteurs et les caractéristiques des balises et marques permettant de les identifier n’avaient pas été communiqués aux capitaineries des ports et navigants. De surcroît, l’organisateur n’avait pas pu fournir un relevé GPS des bouées indiquant la zone d’exclusion. Enfin, celle-ci formée de bateaux et de bouées était par nature mobile toutes considérations propres à caractériser une obligation générale.

9-Le débat sur la nature d’un règlement portait également sur certaines dispositions du RIPAM et notamment sur la réglementation de la vitesse de sécurité.

II-violation de la réglementation sur la vitesse de sécurité

10-Le prévenu soutenait encore que le RIPAM n’avait pas valeur d’un règlement au sens constitutionnel du terme car il n’émanait pas d’une autorité publique. Le moyen n’est pas retenu, les juges objectant qu’une convention internationale a valeur supra législative et que celle-ci est entrée en vigueur dans les eaux françaises par la voie du décret du 7 juillet 1977. En revanche, le manquement à la vitesse de sécurité rencontre les mêmes objections que précédemment. L’obligation de sécurité enfreinte par le skipper ne revêt pas les caractères de l’obligation particulière de sécurité. En effet, la détermination de la vitesse de sécurité du bateau dépend d’un certain nombre de facteurs -comme la visibilité, la densité du trafic, la capacité de manœuvre du navire, l’état du vent de la mer et des courants, le tirant d’eau- qui doivent être pris en compte par le skipper pour lui permettre d’évaluer la vitesse appropriée. C’est donc bien d’une obligation générale dont il était encore question puisque son application était laissée à l’appréciation des navigateurs. Il en va autrement de la règle du RIPAM qui fait obligation au skipper de s’écarter du navire qu’il rattrape.

III-violation de l’obligation de s’écarter d’un navire rattrapé

11-La règle n° 13 du RIPAM qui prescrit à tout navire qui en rattrape un autre de s’écarter de sa route se distingue des précédentes dans la mesure où elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation au skipper qui se rapproche d’un navire. Le texte prévoit, en effet, que « le rattrapant doit s’écarter de la route de celui qu’il rattrape ». Il s’agit bien cette fois-ci d’une obligation particulière de prudence dictant la conduite à suivre sans laisser aucun pouvoir d’appréciation pour son application.

12-Le prévenu soutenait que la collision excluait tout rattrapage car elle était survenue lorsque le canot accidenté avait effectué un double quart tour sur son bâbord. En somme, il y aurait eu selon ses dires croisement de routes et non-rattrapage. Pourtant ces affirmations sont contredites par d’autres attestations ainsi que des vidéos et photos versées au débat qui montrent que les deux bateaux suivaient des routes parallèles. En fait, le trimaran du prévenu aurait bien rattrapé le canot et l’abordage se serait produit au moment où celui-ci changeait de route. Le pilote du semi rigide n’aurait pas vu arriver le trimaran par l’arrière car il était de dos.

13-Si la preuve matérielle de la violation de la règle du RIPAM est établie  par ces constatations, elle ne suffit pas à elle seule à caractériser l’existence d’une faute délibérée. Il faut encore établir que le prévenu a agi consciemment c’est-à-dire en pleine connaissance de la règle et qu’il ne l’a pas enfreint  par négligence.

14-On peut raisonnablement présumer qu’un marin professionnel a connaissance des dispositions du RIPAM. En revanche, leur violation manifeste ne peut être le résultat d’une présomption. Il faut établir à la lumière des circonstances de l’espèce que le skipper était conscient de prendre le risque d’aller au contact de bateaux en suivant la zone d’exclusion sur laquelle se trouvait en vigie quantité de bateaux. Sans doute n’avait-il pas eu à l’avance connaissance du périmètre de la zone d’exclusion. Cependant, il a reconnu qu’il avait franchi une des bouées qui en matérialisait les limites. Par ailleurs, il a bien noté   l’alignement des bateaux de surveillance suffisamment visible sur les films pour lui permettre d’identifier une zone d’exclusion. Ces constatations sont de nature à établir sa connaissance de la zone d’exclusion. Elles suffisent à prouver l’exigence d’une violation manifeste sans qu’il soit nécessaire d’établir que son auteur ait eu connaissance du risque, comme l’avait relevé la Cour de cassation dans un arrêt du 16 février 1999[6]. Pour autant, il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette formule. La Haute Juridiction ne veut pas dire que le juge doit se livrer à une appréciation « in concreto » de la conscience que le prévenu a pu avoir du danger, c’est-à-dire à la représentation qu’il s’en est fait, ce qu’il a pu subjectivement en percevoir. Ce serait la meilleure façon de réduire à néant la faute délibérée car le prévenu trouverait toujours d’excellentes raisons pour démontrer qu’il n’a pas eu conscience du danger. Pour établir la nécessaire manifestation d’hostilité à la loi ou au règlement, en l’occurrence le manquement à l’obligation de s’écarter d’un bateau rattrapé, le juge doit uniquement rechercher les circonstances factuelles de nature à établir que le prévenu ne pouvait objectivement ignorer le danger ; en somme que tout skipper placé dans les mêmes conditions que lui en aurait eu nécessairement connaissance. A cet égard, la présence d’un cortège de bateau de sécurité reconnaissables au pavillon qu’ils portaient suffisait à l’alerter sur le risque de collision qu’il créait car il ne pouvait ignorer la masse et la faculté d’accélération de son trimaran.

15-La preuve de la faute délibérée suffit pour caractériser le délit de blessures involontaires aggravées. En revanche, pour caractériser celui de mise en danger d’autrui il faut encore établir que la violation du règlement a été génératrice d’un risque d’atteinte grave à l’intégrité physique d’autrui.

IV-L’exigence de causalité

16-L’exigence d’un risque direct et immédiat pour caractériser le délit de mise en danger d’autrui révèle l’importance que le législateur attache à une causalité qui doit être la plus courte possible entre la violation de la règle et le risque qui s’ensuit pour autrui. Il écarte le risque trop éloigné de la violation de l’obligation car plus celui-ci est distant plus il est difficile d’en apprécier la causalité. L’immédiateté du risque implique qu’il soit imminent en sorte que le dommage puisse se réaliser à tout instant. La condition d’un risque direct suppose qu’il puisse se produire sans qu’il y ait besoin d’un fait supplémentaire pour sa survenance alors qu’il faut le déclenchement d’une avalanche lorsque des surfeurs ont enfreint l’interdiction d’accès à une piste de ski. C’est précisément le cas ici. Le seul fait que le trimaran ait pénétré dans la zone d’exclusion sans s’écarter du bateau de surveillance qui le précédait suffisait à lui seul à créer le risque de collision. Par ailleurs, s’il est plus difficile d’évaluer la causalité d’un risque que de prendre la mesure d’un dommage, la difficulté est levée lorsque le préjudice est survenu. En l’occurrence, la collision suffit à elle-même à établir la réalité du risque que le skipper avait crée pour les bateaux de surveillance.

17-Ce jugement sévère, puisque le prévenu écope d’une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis et de 25000 euros d’amende ferme s’explique en grande partie par la qualité du prévenu sportif de haut niveau et skipper professionnel qui avait les moyens avec son expérience de la navigation de prendre les dispositions nécessaires pour prévenir un accident. Son mépris pour les organisateurs qu’il n’a pas prévenus de son passage et son indifférence à la sécurité des bateaux de surveillance qu’atteste son désintérêt pour les mesures de sécurité qu’il n’a pas cherché à connaître ont lourdement pesé dans le choix de la peine prononcée.

 
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
En savoir plus :
Tribunal Correctionnel de Lorient 12 juillet 2016

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

tc-lorient-12-juillet-2016

Notes:

[1] Crim. 11 sept. 2001 Bull. crim. n° 176 p. 575, pourvoi n° 00-85473.

[2] RSC 2002 p. 106 note Y. Mayaud.

[3] L’auteur de blessures involontaires ayant provoqué une ITT de plus de 3 mois, encourt une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende pour faute ordinaire ou caractérisée. En revanche, s’il a délibérément enfreint une obligation particulière de sécurité, la peine encourue s’élève à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende (art. 222-19 C. pén.).

[4] M. Puech, Droit pénal général, Litec, 1988, no 546, p. 197. De la mise en danger d'autrui, D. 1994, chron. 153 , spéc., p. 154.

[5] CA Grenoble, 19 février 1999 n° 98/00097. D. 1999. 480, note Redon, D. 2000, somm. 33, obs. Mayaud , JCP 1999. II. 10171, note Le Bas

[6]. Dans un arrêt du 16 février 1999, la Haute Juridiction relève que la cour d'appel « n'était pas tenue de constater que l'auteur du délit avait eu connaissance de la nature du risque particulier causé par son manquement » (n° 97-86290. Bull.crim. 1999 n° 24 p. 55). En ce sens également Cass. crim., 9 mars 1999.n° 98-82269. Bull. crim., n° 34 p 77.

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