Les arrêts de cours d’appel d’Aix en Provence (7 juillet 2016) et d’Angers (13 mars 2018) illustrent de belle manière, comme nous l’avons précédemment signalé (voir nos commentaires du 26 juin 2018), la différence de traitement injustifiée selon que les victimes d’une chute à cheval sont ou non liées par contrat avec celui qu’elles tiennent pour responsable de leur dommage. Elle s’explique par le principe du non-cumul des responsabilités qui ne permet pas à la victime de se prévaloir de la responsabilité de plein droit en application de l’article 1243 du code civil lorsqu’elle est partie à un contrat passé avec l’exploitant d’un centre équestre.

1-Voici deux cavalières. L’une qui participait dans un cadre scolaire à une reprise dispensée par un centre équestre, est victime d’un accident à l’occasion d’un entrainement de « poney game » dans l’enceinte du centre équestre alors  qu’elle effectuait un exercice dit « à terre/ à cheval », encadré par un moniteur. L’autre engagée dans un concours complet d’équitation chute à la suite de l’emballement de l’animal ayant heurté la corde délimitant la surface du paddock. La première, élève d’un établissement scolaire qui a passé une convention avec le centre équestre mais n’est pas partie à cette convention, recherche la responsabilité de l’exploitant sur le fondement délictuel et se prévaut des dispositions de l’article 1385 devenu  l’article 1243 du code civil en vertu desquelles le gardien de l’animal est présumé de plein droit responsable du dommage que celui-ci a causé. En revanche, la seconde ayant, en qualité de compétitrice, passé convention avec l’organisateur d’une manifestation équestre, doit rapporter la preuve d’une faute de sa part, en application des règles de la responsabilité contractuelle et de l’obligation de moyens à la charge des organisateurs sportifs. La première bénéficie d’un renversement de la charge de la preuve. Elle n’a pas à démontrer une faute du gardien de l’animal et c’est à celui-ci, présumé responsable, de s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve d’une cause étrangère telle que la faute de la victime. La seconde doit supporter le fardeau de la preuve et établir l’existence d’une faute de l’auteur du dommage.

2-Cette situation, qui avantage celui qui peut se prévaloir des règles de la responsabilité délictuelle, est la conséquence du principe du non-cumul des responsabilités qui empêche les parties à un contrat de tirer profit des articles 1242 et 1243 du code civil lorsqu’un dommage survient à l’occasion de l’exécution du contrat. Cette situation a bien été prise en compte par le projet de réforme de la responsabilité civile qui a prévu de mettre fin à cette inégalité en « sortant le dommage corporel de la sphère contractuelle »[1]. En effet, il prévoit que les préjudices résultant d’un dommage corporel seront réparés sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du contrat (voir notre commentaire). Mais pour l’heure, ce projet figure toujours dans les cartons du ministère de la justice et n’a pas été soumis aux assemblées parlementaires. Les dommages consécutifs à l’exécution d’un contrat demeurent donc soumis aux règles de la responsabilité contractuelle et à l’obligation de sécurité de moyens chaque fois que le créancier dispose d’une certaine autonomie dans l’exécution du contrat comme c’est le cas des pratiquants sportifs.

3-Les arrêts rendus par les cours d’appel d’Aix en Provence et d’Angers sont la parfaite illustration de cette situation inéquitable où une des victimes gagne son procès, l’exploitant n’étant pas parvenu à administrer la preuve d’une faute de sa part, alors que la demande en réparation de l’autre est rejetée pour n’être pas parvenue à rapporter la preuve d’une faute de l’organisateur du concours équestre.

4-Il ne fait guère de doute que la jeune cavalière, qui participait à un entraînement, n’était pas partie au contrat que son association scolaire avait conclu avec le centre équestre. Sans doute aurait-elle pu former sa demande en réparation contre cette association en vertu des règles de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui. Le débiteur contractuel répond en effet de toute personne (préposé, sous-traitant) qu’il a introduit dans l’exécution du contrat. La jurisprudence admet que le débiteur principal (ici l’association scolaire) reste personnellement tenu vis-à-vis du créancier (ici la cavalière) de l’inexécution imputable au sous-contractant qu’il s’est substitué (ici le centre équestre). Il répond du fait de son substitut comme s’il avait agi lui-même. Ainsi s’il est tenu d’une obligation de moyens, comme c’était le cas de l’association scolaire, il lui faut prouver que la diligence promise n’a pas été fournie, ce qui revient à établir la preuve d’une faute de son substitut. On comprend que la victime, plutôt que d’avoir à en supporter la charge, ait préféré mettre en jeu la responsabilité du centre équestre afin de pouvoir tirer parti du régime de responsabilité sans faute de l’article 1243 C.civ. Dans ce cas, le seul espoir d’exonération pour l’exploitant était  d’établir une faute de la victime à qui il reprochait, en s’appuyant sur le témoignage d’une cavalière ayant participé à la reprise,d’avoir administré une tape sur la croupe du poney, geste qui aurait été à l’origine de la ruade. Cette attestation unique n’a cependant pas été retenue, les juges ayant estimé que la réalité du geste litigieux n’était pas établie car le témoignage émanait d’une cavalière se trouvant en tête de reprise alors que les faits se sont déroulés derrière elle et qu’elle était occupée à réaliser l’exercice qui lui était demandé par la monitrice.

5-Dans l’autre espèce, la victime avait la rude tâche d’établir la faute de l’organisateur du spectacle équestre autrement dit démontrer que celui-ci n’avait pas tenu ses promesses. A quoi s’était-il engagé ? Selon les juges « à tracer un parcours adapté au niveau des cavaliers participants et à tout mettre en œuvre sur le terrain de compétition et ses abords pour prévenir les risques d’accidents tant pour les cavaliers que pour les poneys ». La formule est à la fois précise sur le parcours mais vague pour le reste. A la lumière de la jurisprudence on peut avancer toutefois que l’organisateur sportif ne répond pas des risques normaux c’est-à-dire ceux connus et acceptés par les compétiteurs. Ainsi, comme le relève l’arrêt « L’équitation est une discipline dangereuse et le cross conjugue à la fois les risques de chutes à l’obstacle et les risques inhérents à la pratique équestre en extérieur notamment lorsque le cheval s’emballe ». Un cavalier qui participe à un concours équestre sait que l’animal peut rater un saut d’obstacle et le faire chuter. Il n’ignore pas également les conséquences pour lui d’un emballement de sa monture. Les tribunaux considèrent en effet que les réactions  subites d’un cheval font partie des risques inhérents à la pratique du sport hippique[2].

 6-En l’occurrence, le fait que le poney ait refusé de négocier l’obstacle et ait pris le galop en direction du paddock sans que sa cavalière parvienne à le maitriser fait partie des risques normaux. Pour autant, celle-ci estimait que le choix de l’implantation du paddock situé au milieu du parcours constituait un danger dans la mesure où il  a pu inciter l’animal à rejoindre ses congénères. Par ailleurs, elle soutient qu’il a été déséquilibré par la corde délimitant l’espace du paddock insuffisamment visible pour qu’il puisse l’apercevoir. Cependant, une telle implantation est une pratique habituelle dans tous types de compétition équestre. De surcroit, la victime ne prouve pas qu’une corde d’une autre couleur aurait été évitée par l’animal alors que la réaction d’un cheval emballé est irrationnelle. Les juges déduisent de ces constatations que ni l’implantation du paddock, ni la corde dont il était équipé en pourtour n’étaient contraires à la réglementation et constituaient des dangers anormaux pour les cavaliers et les poneys. En définitive, c’est l’emballement incontrôlé du poney – circonstance faisant partie des risques normaux d’un concours équestre – qui est réputé être la cause unique de cet accident.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus : 
Aix-en-Provence,_Chambre_10,_7 JUILLET 2016
CA Angers,13_MARS 2018

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Aix-en-Provence,_Chambre_10,_7 JUILLET 2016
CA Angers,13_MARS 2018



Notes:

[1]Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile : maintenir, renforcer et enrichir les fonctions de la responsabilité civile. Mustapha Mekki.

[2]En ce sens, CA Grenoble 26 juin 1995 (rôle n° 93/4815) ; CA Paris, 25 mars 1982 (RG 12598), 28 janv. 2003 (RG 2001:8202), 14 sept. 1993 Juris-data n ° 022778.

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