L’association GRIM, association Lyonnaise, s’inscrit dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Forte de 170 salariés, elle est gestionnaire de services médico-sociaux. Elle accompagne près de 2 000 personnes avec troubles psychiatriques.
Elle fonde son action sur une approche du handicap par les droits. La personne accompagnée est considérée comme un sujet de droit et non comme un objet de soin. Elle pose comme fondement à son action le passage de la logique de prise en charge de la personne vers la logique de prise en compte des besoins. Son organisation et son fonctionnement qui visent à s’inscrire dans les enjeux d’une nouvelle demande sociale pour une société dite « inclusive » induit la nécessite d’une approche innovante.
L’approche par les droits (droits fondamentaux) oblige à se détacher d’anciens réflexes (hyper protection, spécialisations des handicaps, cloisonnements, organisations en silo,..) pour répondre aux orientations données par les textes internationaux ( la CDPH) qui visent notamment à systématiser la participation des personnes dans leur accompagnement. Ainsi, une logique de co-construction avec les professionnels devient la règle.
Les personnes sont ainsi invitées dans les processus métiers en intégrant la gouvernance des organisations. L’association GRIM reprend à son compte l’adage « rien pour nous sans nous », ainsi que la citation attribuée à Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ». Elle s’inscrit dans une démarche managériale dite de « participation » et prend en compte les besoins des différents acteurs (salariés et bénéficiaires), afin de répondre aux besoins des personnes accompagnées dans le respect des droits fondamentaux.
L’association GRIM propose aux bénéficiaires des services d’être sujets de leurs accompagnements, individuellement et collectivement. Elle inscrit par exemple dans ses statuts que la gouvernance soit partagée avec les personnes concernées par leur accompagnement (les personnes bénéficiaires). Ainsi, la vice-présidence de l’association est statutairement tenue par une personne accompagnée.
Nous souhaitons ici montrer comment nous nous sommes engagés depuis 2019, dans la mise en œuvre du « travail-pair » .
Ce concept s’inscrit dans la même démarche globale de participation, mais d’une manière spécifique. La notion de pair-aidance commence à être aujourd’hui connue, elle existe dans différents domaines, les addictions (Les alcooliques anonymes), la prise en charge des cancers, l’insertion sociale, plus récemment la psychiatrie. Il s’agit de mettre en relation des personnes ayant connu ou connaissant des mêmes vulnérabilités, des pairs donc, afin de leur proposer une entraide, une aide par d’autres personnes qui connaissent au plus près, parce qu’ils l’ont vécu, les vulnérabilités dont il s’agit.
Dans notre domaine, celui de la santé mentale, les GEM (Groupes d’entraides mutuels) en sont l’incarnation ; les GEM[1]https://www.cnsa.fr/documentation/cahierpedagogique_gem2019.pdfayant été créés par la Loi de 2005[2]Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
Si la pair-aidance apparaît ainsi comme une pratique répandue, le « travail pair » se présente quant à lui comme une innovation plus récente dans le champ de l’accompagnement. Il s’agit d’aller plus loin en professionnalisant l’idée première de la pair-aidance. Le concept qui est avancé est celui du savoir expérientiel, savoir d’expérience, ou compétence expérientielle. Il est proposé de recruter, de salarier des personnes qui ont un vécu d’une vulnérabilité, et l’ont surmontée, afin qu’ils puissent apporter au sein d’une équipe leur compétence particulière issue de leur expérience personnelle.
Afin de solidifier ces recrutements, qui « bougent » les périmètres habituels des équipes existantes, des diplômes ont été créés qui viennent étayer ces nouvelles fonctions, afin que l’expérience seule, malgré sa richesse, ne soit pas le seul critère.
Citons par exemple le diplôme universitaire proposé par l’université Lyon 1, le DU de pair-aidance en santé mentale[3]https://centre-ressource-rehabilitation.org/du-de-pair-aidance-en-sante-mentale-741 .
Notre association GRIM, dans son SAMSAH (Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés) a recruté en 2019 un médiateur pair.
Le choix a été fait de nommer ainsi ce poste, afin de le différencier de la pair-aidance que nous avons évoqué plus haut. Il s’agit de signifier qu’il y a une fonction précise, une professionnalité pour ce poste, à la différence de la pair-aidance qui existe autrement que dans un métier.
Nous observons qu’existe ce nouveau profil de poste dans le secteur sanitaire qui est souvent nommé « médiateur en santé pair ».
Nous le nommons donc à l’association GRIM médiateur pair parce qu’il ne s’agit pas simplement de santé. Reste à expliciter la question du terme de médiateur, que nous avons discuté, y compris avec la personne que nous avons recrutée.
La fonction de médiation peut s’entendre ainsi, dans au moins quatre dimensions :
- Médiation entre la personne accompagnée et l’idée qu’un « mieux-être » est possible ; le médiateur pair en étant la représentation même.
- Médiation entre la personne accompagnée et les propositions de l’équipe pluridisciplinaire.
- Médiation entre la personne accompagnée et la proposition spécifique fréquente d’un accompagnement psychiatrique ; nécessaire mais véhiculant des représentations négatives.
- Médiation entre l’équipe et ses pratiques qui ont à être questionnée avec un regard « tiers ».
Nous avons aujourd’hui un an de recul sur la mise en place du travail pair au sein de notre SAMSAH, ce qui nous permet de faire des premiers constats.
L’intégration de cette nouvelle forme de professionnalité dans l’équipe en place a nécessité un travail en amont afin qu’elle trouve sa place ; cela n’a pas été sans doutes et questionnements du côté des professionnels. Comment travailler avec un collègue recruté au titre de sa vulnérabilité ? Cela ne remet-il pas en question notre propre professionnalité ? Comment prendre en compte cette vulnérabilité ? Qu’avons-nous à en savoir ? Comment devrions-nous la prendre en compte, nous y adapter? Comment mettre en œuvre la mise en relation avec les bénéficiaires du service ?
Nous avons observé que les positionnements, les réflexions du médiateur pair apportaient un regard nouveau, inédit, sur les situations rencontrées, c’est une richesse indéniable.
L’enjeu de taille, est maintenant de pérenniser cette nouvelle fonction qui acte un affaissement des frontières, un repositionnement des places et des compétences de chacun entre professionnels et usagers des services.
Ainsi nous nous engageons, comme d’autres (des médiateurs en santé pairs ont été recrutés pour travailler aux urgences psychiatriques), dans de nouvelles pratiques qui décloisonnent les positions entre les « usagers » et les professionnels.
Les concepts de participation, d’horizontalité, de décloisonnement, requièrent une mise en pratique pensée, discutée à l’épreuve du terrain, avec tous les acteurs concernés.
Il semble que le secteur associatif, les organisations dont l’objet n’est pas lucratif, permettent cette mise en œuvre ambitieuse.
Patrick Pozo, Président de GRIM
Mathieu Goyet, Directeur de territoire GRIM
En savoir plus :
La souffrance au travail dans le secteur associatif, un sujet tabou ? : podcast Questions d’Asso
- Association : la perte d’une vision politique - 27 juin 2023
- La plateforme de signalement de la Cour des comptes : opportunités et risques - 28 septembre 2022
- Association GRIM et impact social - 27 juin 2022
References