Cette courte note est rédigée à partir du point de vue d’un Président d’association gestionnaire du médico-social en questionnant l’axe « politique » et la place de la gouvernance associative : conseil d’administration, bureau, commissions.

L’association dispose-t-elle encore de la capacité à produire une vision politique ? L’association est-elle réduite à une « chambre d’enregistrement » des impératifs imposés par une « technostructure » ?

Nous aborderons modestement ce questionnement à partir d’un vécu et au travers les points suivants : la complexité du secteur, une injonction paradoxale, une vision politique hétérogène.

 

Un secteur « complexe »

Le secteur social et médico-social est un champ particulièrement complexe, du fait de la diversité des structures et de leur nombre :  nombreuses catégories et types d’établissements et services, auxquels s’ajoutent des lieux de vie et d’accueil et des services d’aide et d’accompagnement à domicile.

Les ESSMS qui sont « le bras armé » du secteur, s’inscrivent dans un environnement institutionnel complexe impliquant de fortes disparités dans leurs modes de fonctionnement. La multiplicité́ des types d’établissements créés pour une offre plus adaptée aux parcours de vie des personnes accueillies, rend cependant les coopérations institutionnelles complexes, un réel « maquis règlementaire et juridique ».

Le secteur est organisé autour d’une segmentation excessive, source de complexité : plus de 18 000 ESMS pour 540 000 places, une spécialisation très poussée en fonction du type de handicap et de l’âge des personnes, une source de complexité pour les personnes accompagnées, une multiplicité d’autorité publiques et de gestionnaires, etc…

Au-delà de l’organisation administrative, économique et juridique du secteur organisé en silos, une meilleure connaissance des besoins est indispensable et ne doit pas se limiter au seul champ médico-social.

Cet état de fait ne permet pas ou difficilement, à une gouvernance « non professionnelle du secteur », de disposer d’une vue d’ensemble cohérente et globale. À titre d’exemple, l’association que je préside relève de 4 autorités de tutelle (ARS, Métropole, Département, État) aux intérêts parfois divergents. Chacune des tutelles possède ses propres règles de fonctionnement et d’organisation (budgets non fongibles, absence de signature de Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens conjoints, etc..) qui complexifient l’action au détriment d’une compréhension globale. Il est dans ces conditions difficile « d’optimiser » et de « rationaliser » les processus d’accompagnement des personnes concernés. Pour qu’une personne concernée puisse bénéficier d’un accompagnement global, il est indispensable que les acteurs puissent travailler ensemble et non que chacun reste dans son périmètre propre. Cette complexité technocratique, ne permet pas aux gouvernances (conseil d’administration, bureau, Président) de poser le « cadre politique » des enjeux du secteur. La gouvernance devient une chambre d’enregistrement des impératifs technocratiques. L’autonomie de la structure est réduite au détriment d’une pensée « politique » sur les enjeux qui pourrait permettre une co-construction avec les autorités.

 

Une injonction paradoxale mise en tension

L’association gestionnaire du secteur médico-social (handicap en particulier) s’inscrit dans une injonction paradoxale et contradictoire. Elle a pour impératif d’organiser sa gouvernance et son fonctionnement dans une double logique :

  • Une logique de représentation des personnes quelle accompagne dans une exigence démocratique (fonction militante et politique). Cette logique est portée par le « travail gratuit » des bénévoles administrateurs : conseil d’administration, bureau, commissions[1]« Or, dans le même temps et en qualité de médiateur, l’association, alors considérée au niveau de son statut juridique (associés bénévoles, élus au conseil d’administration, … Continue reading
  • Une logique de gestion des activités dans sa qualité d’opérateur agissant pour le compte de la puissance publique dans un cadre normé et imposé (fonction d’expertise et professionnelle). Cette logique est portée par le « travail rémunéré » des professionnels du secteur : travailleurs sociaux et cadres dirigeants[2]« Les associations sont soumises à un encadrement renforcé de leurs activités par des règlementations dont le volume et l’emprise n’ont cessé́ de croître ». (Le rôle des … Continue reading

L’association repose sur un socle mouvant et fragile. Elle doit pouvoir concilier une triple problématique et certains « clivages » entre :

  • La puissance publique qui « impose » son rythme et ses règles (gestion)
  • Les professionnels qui s’inscrivent dans la culture de l’engagement (sens au travail)
  • La gouvernance qui pose le cadre « politique » à l’action (valeurs)

 

Une vision politique hétérogène et la transformation de la raison raison d’agir?[3]Le sens de l’action dans les associations. Christine Chognot.  Sociologie économique 2020, Éditions Érès.

La vision historique de l’association héritée de l’histoire sociale est aujourd’hui impactée par une vision contemporaine autour du concept « d’entrepreneuriat social ». Une approche économique (marchandisation) qui tend à supplanter le rôle « sociopolitique » de l’association, par celui d’acteur économique opérant sur un marché[4]appels d’offres, appels à projets, mise en concurrence, marchandisation de certains secteurs (vieillesse, petite enfance,..).

La dimension politique de l’association dans sa volonté de transformation sociale, sa raison d’agir, est aujourd’hui réduite à la portion congrue. La dimension économique et gestionnaire semblant devenir la norme.

Ce glissement interroge sur la « centralité » du secteur associatif. La contribution de l’association à l’accompagnement de la transformation de la société n’est plus centrale. Les mouvements du secteur économique qui tendent à aménager le capitalisme (RSE, loi pacte, entrepreneur social…) brouillent les cartes. En effet, ces mouvements sont porteurs de projets à dimension sociale (emploi et handicap, vulnérabilités et travail, …) et jouent eux curieusement, un rôle politique concret[5]« Le « Buzz in ESS » du Social Business ! », Pascal Glémain, éditorial ISBL magazine avril 2023. Mais, comme nous l’explique Pascal Glémain : « L’audace de l’entrepreneur social, c’est d’affirmer que : « sans lui » point de salut ! Il n’existe plus dans ce modèle un principe de démocratie participative ascendante et collective, au cœur même du modèle associatif… »[6]Ibidem

L’association s’inscrit dans un environnement complexe qui impose de réinterroger son rôle politique et son articulation avec le secteur économique marchand et le secteur de l’économie publique. L’association dans son rôle politique doit pouvoir porter une alternative à l’économie au nom d’une ambition solidaire visant à plus de justice sociale.

 

La question est alors de savoir comment l’association peut aujourd’hui  regagner ses capacités d’initiative.

 

 

 

Patrick POZO, Président Association GRIM

 

 

En savoir plus : 

Economie sociale et solidaire : sortir de l’impuissance politique !, Colas Amblard, éditorial ISBL magazine octobre 2020

Macron I : politique associative et ESS. Un bilan en demi-teinte, Colas Amblard, éditorial ISBL magazine avril 2022

 

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Patrick Pozo

References

References
1 « Or, dans le même temps et en qualité de médiateur, l’association, alors considérée au niveau de son statut juridique (associés bénévoles, élus au conseil d’administration, dirigeants associatifs), est censée diriger les structures qu’elle a mises en place en se fondant sur ses orientations propres, qui font d’elle un canal de représentation de la communauté politique dans sa diversité ».  (Robert Lafore. Informations sociales 2010/6 n° 162)
2 « Les associations sont soumises à un encadrement renforcé de leurs activités par des règlementations dont le volume et l’emprise n’ont cessé́ de croître ». (Le rôle des associations dans la mise en œuvre des politiques d’action sociale. Robert Lafore. Informations sociales 2010/6 n° 162)
3 Le sens de l’action dans les associations. Christine Chognot.  Sociologie économique 2020, Éditions Érès.
4 appels d’offres, appels à projets, mise en concurrence, marchandisation de certains secteurs (vieillesse, petite enfance,..)
5 « Le « Buzz in ESS » du Social Business ! », Pascal Glémain, éditorial ISBL magazine avril 2023
6 Ibidem





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