La loi du 10 juillet 2000, qui a allégé la responsabilité des auteurs indirects d’infractions d’imprudence par relèvement du seuil de la faute, met les juridictions pénales à l’épreuve.

En effet, la définition que le code pénal donne de la faute caractérisée ne brille pas par sa clarté. Cette imprécision affecte les décisions qui oscillent entre la sévérité et l’indulgence selon la lecture que les juges font de l’article 121-3 du code pénal. Ainsi, le tribunal de police d’Amiens et la cour d’appel de Mamouzdou Mayotte qui avaient à apprécier la responsabilité de deux maîtres nageurs dans des affaires de noyades, aboutissent à des solutions contraires dans des circonstances pourtant voisines.

1-L’étude de ces deux espèces peut donner l’impression qu’il y a deux poids deux mesures. Dans la première (TP Amiens, 9 mars 2016) le maître nageur, alerté par la disparition d’un enfant, s’était abstenu, à tort, de faire le tour du bassin ludique où la victime avait été retrouvée inanimée. Pour n’avoir pas approfondi ses recherches alors que la configuration du bassin l’imposait, il est jugé coupable d’une faute qualifiée en raison « du risque potentiel de noyade qu’il ne pouvait ignorer  ».  Dans la seconde espèce (CA Mamouzdou Mayotte, 10 septembre 2015), il était poursuivi pour avoir surveillé deux bassins en position assise, tout en consommant une boisson avec un ami, à l’opposé de l’endroit le plus dangereux du bassin pour les non-nageurs. Pourtant il est relaxé au motif que sa position lui permettait d’avoir une vue d’ensemble du grand bassin où s’était produite la noyade. Dans les deux cas, les victimes étaient des enfants : l’un âgé de cinq ans et l’autre de dix ans et demi. Les deux maitres nageurs qui n’avaient rien vu avaient été alertés par des baigneurs ayant retrouvé les deux victimes en arrêt cardio-respiratoire.

2-L’examen de la responsabilité des auteurs d’infractions d’imprudence s’est singulièrement compliqué depuis la loi du 10 juillet 2000. Auparavant, une imprudence, une négligence quelconque suffisait pour engager leur responsabilité. Le législateur a mis fin à ce régime en traitant différemment la causalité directe et la causalité indirecte. D’un côté, il y a ceux qui ont provoqué le dommage comme le plongeur imprudent qui blesse un baigneur. Ce sont les auteurs directs. De l’autre, ceux qui en ont crée les conditions par leur imprudence ou leur impéritie. Ce sont les auteurs indirects au rang desquels figurent les personnes en charge de la surveillance d’autrui. En ce qui concerne les premiers, la causalité est suffisamment affirmée pour qu’une faute ordinaire suffise à retenir leur responsabilité puisqu’ils ont provoqué le dommage. Pour les seconds, la causalité est moins tranchée car leur faute est distante du dommage. Aussi, elle doit compenser en intensité un lien de causalité plus distendu. Il en résulte que la responsabilité des auteurs indirects ne peut être recherchée que pour une faute d’un certain degré de gravité, comme c’est le cas pour les personnes en charge de la surveillance d’autrui qui ne répondent pas de leurs fautes ordinaires.

3-L’article 121-3 énumère deux catégories de fautes qualifiées: la faute délibérée et la faute caractérisée. La première réprime la violation délibérée de la loi ou du règlement. Aucune faute de cette nature n’avait été reprochée aux deux prévenus. En effet, l’unique disposition légale qui s’applique aux maitres nageurs sauveteurs (art. L 322-7 du code du sport) met à leur charge une obligation de surveillance constante dont ils s’étaient l’un et l’autre acquittés puisqu’ils étaient présents au bord du bassin lorsqu’ils ont été alertés de la noyade par des baigneurs. Par ailleurs, s’ils ont manqué d’attention, il ne pourra s’agir d’une faute délibérée car nulle loi ou règlement n’édicte d’obligation de surveillance vigilante ou rapprochée ni ne prescrit la position qu’ils doivent occuper autour du bassin.

4-Le débat s’est donc porté sur la faute caractérisée. C’est là que le bât blesse en raison de l’imprécision de l’article 121-3 qui ne dit rien de son degré de gravité. L’alinéa 4 précise seulement qu’elle doit exposer autrui à un risque d’une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer. Aussi la tentation est grande de l’apprécier en considération de l’ampleur de ces conséquences pour autrui. Pour combler le silence du législateur, les tribunaux ont pris l’habitude de traduire les termes de « faute caractérisée » par une addition de fautes ordinaires ou par le manquement à une obligation professionnelle essentielle.

5-Chez un maître nageur, l’obligation professionnelle essentielle est celle de surveillance. Mais il n’est pas soumis à une obligation de résultat. Il est admis qu’il « ne peut pas suivre individuellement chaque client»[1] et « tenir mentalement un compte exact de la réapparition à la surface » de chacun d’eux[2] surtout s’il y a affluence. Aussi, sa responsabilité ne sera pas engagée du seul fait qu’il n’a pas vu un usager se noyer. Mais cela suppose que son positionnement soit exempt de tout reproche. Le bon emplacement du maître nageur est une composante majeure de la surveillance. La cour de Mamouzdou Mayotte, a estimé qu’il était à la bonne place au moment de la noyade. A l’endroit où il se trouvait au bord du bassin, assis face à la piscine, porteur de lunettes de soleil et avec le soleil dans le dos, il était, selon les juges, en mesure d’exercer une surveillance globale du bassin principal. On retrouve cette exigence d’une vision complète dans une espèce où deux maîtres nageurs s’étaient postés sur la terrasse d’un solarium et avaient pris place sous un parasol. Les juges n’avaient pas désapprouvé ce choix, estimant que l’endroit pouvait « être un bon poste de surveillance ». Mais ils ne s’en sont pas tenus à cette seule constatation. Au contraire, ils ont reproché aux deux prévenus de s’être installés en retrait de la balustrade alors qu’ils auraient dû s’y tenir debout en permanence pour avoir une vue globale de toute la surface des bassins[3] (voir notre commentaire).

6-Du poste où il se trouvait, la cour d’appel de Mamouzdou Mayotte remarque que le prévenu voyait « ce qui se passait à la surface de l’eau ». Il est facile d’en déduire que sa position assise ne lui permettait pas de scruter le fond du bassin. Pourtant les juges ne se sont pas posés cette question alors que le risque de noyade d’un enfant était particulièrement élevé ce jour là pour une double raison. D’abord, le prévenu était le seul maître nageur en charge de la surveillance des deux bassins de l’établissement alors que s’y trouvaient une trentaine de personnes. Ensuite, les enfants de plus de 5 ans n’ayant pas accès au petit bassin. Par ailleurs, un professionnel des activités aquatiques formé aux dangers de la baignade ne pouvait ignorer qu’en raison d’un risque accru le jour de l’accident sa position assise ne lui offrait aucune vision du fond du bassin et qu’une surveillance mobile s’imposait dans de telles circonstances. Pourtant cette erreur d’appréciation du danger qui aurait pu être qualifiée de faute caractérisée est passée sous silence ! Le fait qu’il ignorait que l’enfant ne savait pas nager et avait échappé à la surveillance de sa tante fait partie des risques qu’un maître nageur doit nécessairement anticiper. Aussi, on ne peut approuver la cour d’appel qui y voit un motif de relaxe.

7- A l’inverse, le tribunal de police d’Amiens a imputé la faute caractérisée du maître nageur à l’absence d’un tour complet du bassin que sa conscience du danger aurait du lui dicter. Deux considérations paraissent avoir joué un rôle déterminant dans sa décision. D’une part, la configuration particulière du bassin qui ne permettait pas d’en voir le fond sur toute sa superficie sans en faire le tour complet. D’autre part, la qualité de professionnel du prévenu formé aux risques de la baignade qui le rendait forcément conscient de la nécessité d’une telle vérification.

8- La connaissance du danger que le prévenu devait nécessairement avoir a donc été déterminante du jugement. Le tribunal a estimé qu’un professionnel des activités aquatiques, ne pouvait ignorer qu’un tour complet du bassin s’imposait pour s’assurer qu’il n’y avait personne au fond et a conclut qu’une telle impéritie était constitutive d’une faute caractérisée. La cour de Mamouzdou Mayotte, n’a pas raisonné selon ce schéma qui fait la part belle à la connaissance du péril. Elle ne s’est pas demandée si la conscience du danger que le prévenu aurait du avoir le jour de l’accident devait le conduire à une surveillance mobile. Elle s’en est tenue à son positionnement considérant qu’il s’était acquitté de sa tâche dès lors qu’il avait une vue d’ensemble du bassin principal.

9-La conscience du péril chez ses deux professionnels a été déterminante pour le tribunal et insignifiante pour la cour. De quoi donner au justiciable le sentiment d’un traitement inégalitaire.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport

En savoir plus :
TRIB POLICE AMIENS 9 MARS 2016
MAMOUDZOU MAYTOTTE 10 SEP 2015 NOYADE

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

TRIB POLICE AMIENS 9 MARS 2016
MAMOUDZOU MAYTOTTE 10 SEP 2015 NOYADE



Notes:

[1] Paris 2 mars 2001, Sté Aquaboulevard de Paris, Juris-Data n° 143497.
[2] Trib. Corr. d’Evreux 16 déc. 1971.
[3] Trib corr. Cayenne, 10 mai 2012, n° parquet 07000000298.

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