L’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2014 s’inscrit dans la longue lignée des décisions appliquant le régime spécial des troubles du voisinage. Elle approuve les juges du fond ayant rendu une décision tout en équilibre puisqu’elle constate à la fois l’anormalité des nuisances sonores nocturnes provoquées par les matches d’un club de basket mais tolère qu’il puisse y être fait exception à raison de six soirées annuelles.
1- Affecté par le bruit provoqué par des rencontres sportives organisées par un club de basket ball, un couple de riverains l’assigne en justice pour obtenir l’interdiction des matches et l’indemnisation du dommage que ces troubles leur causent. Leur demande est rejetée par les premiers juges ayant estimé que l’utilisation d’un équipement sportif est une activité normale d’autant qu’elle concourt à l’éducation de la jeunesse. La cour d’appel de St Denis de la Réunion confirme en partie le jugement pour les rencontres et entrainements qui se déroulent dans le cours de la journée. En revanche, elles l’infirment pour les matches nocturnes considérant que le seuil de l’anormalité a été atteint et qu’il y a lieu de les interdire moyennant une astreinte. Toutefois, elle accorde au club le droit d’organiser six manifestations annuelles au-delà de 21 heures. La Cour de cassation approuve l’arrêt à la seule nuance près qu’elle juge surabondant le motif tiré de l’inobservation d’un arrêté municipal interdisant les nuisances sonores nocturnes.
2- La juxtaposition des propriétés est source d’inévitables troubles du voisinage aux origines aussi diverses que des nuisances sonores, des odeurs nauséabondes, des constructions privant leur voisin de vue ou de lumière ou encore des plantations empiétant sur le terrain d’autrui. A cet égard, les installations sportives sont souvent génératrices de désagréments pour leur voisinage comme le révèle une abondante jurisprudence.
3- Tel propriétaire doit subir les retombées nombreuses de balles de tennis[1], le dépôt de poussière rouge provenant d’un court de tennis en terre battue[2] ou encore la projection de balles de golf sur une toiture, nécessitant le remplacement des tuiles brisées[3]. Tel autre doit supporter les nuisances sonores causées par la paroi métallique d’un gymnase municipal[4], celles provoquées par les entraînements et compétitions de motos organisés par un club de motocyclisme[5] ou encore un grand nombre de tirs et d’importantes retombées de plomb provenant d’un ball-trap[6].
4- « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé » comme l’affirme l’article les articles R 1337-6 à R 1337-10[7]. Lorsque la nuisance n’est pas causée par simple désinvolture, mais avec l’intention caractérisée de nuire, son auteur peut être poursuivi sur le fondement de l’article 222-16 du code pénal qui réprime le délit d’agression sonore.
5- Outre la voie pénale, les victimes ont à leur disposition des actions civiles. Lorsque les troubles sont causés par un équipement sportif municipal, elles peuvent demander à la commune de les faire cesser et saisir le juge administratif si elles n’y parviennent pas. Elles agiront alors sur le fondement de la responsabilité pour faute, en démontrant l’impéritie du maire qui n’a pas pris de mesure pour faire cesser le trouble, alors que lui incombe « le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique » dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs de police municipale (art L2212-2). Elles peuvent aussi agir sur le fondement de la responsabilité sans faute en qualité de tiers d’un ouvrage public à condition de justifier d’une installation antérieure à la réalisation de l’ouvrage incriminé et d’établir que les désagréments dont elles se plaignent « excèdent les sujétions que les riverains de l’ouvrage sont normalement appelés à supporter » [8]. En l’espèce, la faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police aurait pu être déduite de son absence d’intervention pour faire appliquer l’arrêté municipal interdisant « tous cris, chants, éclats de voix de nature à troubler le repos des habitants après 21 heures ». Une action fondée sur un dommage grave et spécial aurait pu tout aussi bien aboutir d’une part en raison de l’antériorité de l’habitation construite avant la réalisation de la salle de sport et d’autre part au motif que les nuisances nocturnes excédaient les sujétions que les riverains d’un ouvrage public sont normalement appelés à supporter.
6- Néanmoins, les victimes ont fait ici le choix de rechercher la responsabilité de l’occupant des lieux et se sont donc naturellement adressées au juge judiciaire. Si on considère que les désagréments causés à un voisin portent atteinte à l’exercice du droit de propriété, la victime peut être indemnisée sur le fondement de la théorie de l’abus de droit. Mais si aucune faute n’est établie à l’encontre de l’auteur des troubles, cette théorie n’est d’aucun secours. Les dispositions du droit commun de la responsabilité la conduisent à une impasse comme ce serait le cas, en l’occurrence, car comme l’ont justement rappelé les premiers juges, « il n’est pas anormal pour une association sportive d’user des installations mises à sa disposition pour l’activité qu’elle développe » d’autant que le club de basket n’est pas resté sans réagir puisqu’il atteste avoir « mis en oeuvre différentes mesures préventives pour éviter les nuisances et les troubles qui lui sont reprochés ». Par ailleurs, les difficultés de stationnement ou l’afflux d’automobilistes les soirs de match, relèvent du pouvoir de police du maire et on ne peut en imputer la responsabilité à l’association.
7- Aussi, pour permettre aux victimes d’obtenir réparation en l’absence de faute de l’auteur des troubles, la Cour de cassation a élaboré un régime de responsabilité spécifique. L’indemnisation pour trouble de voisinage est fondée sur l’idée que les inconvénients liés au voisinage font partie des contingences inhérentes à la vie en société. En revanche, s’ils dépassent un seuil tolérable, les victimes ont droit à réparation y compris en l’absence de faute de l’auteur du trouble excessif. Il s’agit d’un cas de responsabilité objective[9] subordonnée à la seule constatation d’un trouble anormal du voisinage.
8- Si elle n’a pas à établir de faute, la victime doit, en revanche, démontrer l’anormalité du trouble résultant d’un dépassement du seuil de tolérance. La détermination de ce seuil est appréciée au cas par cas. La Cour de cassation en fait donc une question de fait relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond (16 octobre 1991 et 12 février 1992) comme elle le rappelle dans le présent arrêt.
9- Les tribunaux appréhendent habituellement le concept d’anormalité selon un faisceau d’indices dont il est fait ici application. D’abord le caractère continu ou au moins répétitif du trouble qui sévissait, en l’occurrence à la fois au cours des rencontres et à la sortie du stade, comme l’attestent les pétitions signées d’une trentaine de riverains habitant à proximité immédiate. La localisation du trouble a également son importance. Nous sommes ici en zone résidentielle si bien que la gène occasionnée par les spectateurs affecte un plus grand nombre de personnes que si l’installation était implantée en plein champ. Le moment du trouble est aussi pris en compte. Il va jouer ici un rôle majeur pour la détermination du seuil d’intolérance. Mais ce critère est lui-même commandé par une autre considération, celle de l’intérêt que représente l’activité génératrice de nuisances pour la collectivité. En l’occurrence, il s’agit d’un « intérêt général » selon l’expression de la cour d’appel dès lors que les activités sportives mises en œuvre par l’intimé « contribuent à l’éducation et à l’animation de la jeunesse et offrent un service public de loisirs accessibles à tous ». Elle en conclut que les entraînements et les matches en journée ne sont pas constitutifs d’un trouble anormal. Il est probable que la décision eut été différente si l’activité incriminée n’était pas de celles assimilées à un service public, par exemple si les désagréments avaient été provoqués par une discothèque. Il en serait de même si avait été en cause une activité de loisir, comme un ball-trap qui n’est pas spécialement réputée pour « contribuer à l’éducation et à l’animation de la jeunesse » comme peuvent l’être des sports de balle. En somme, bien qu’il y ait eu des « nuisances sonores réelles » la cour d’appel, approuvant sur ce point le jugement, admet, au motif de l’intérêt général, un relèvement du seuil de tolérance. Néanmoins, elle ne perd pas de vue le désagrément que causent les rencontres aux riverains. Si ceux-ci doivent les supporter dans la journée, en revanche, elle admet, contrairement aux premiers juges, que le seuil de tolérance est atteint à l’arrivée de la nuit. Il est vrai que le motif tiré de l’intérêt général perd de sa force dès lors qu’il ne s’agit plus d’entrainement. Les participants ne sont plus des jeunes en apprentissage de la discipline mais des adultes disputant un match.
10- Par ailleurs, l’intensité des nuisances diurnes n’est pas comparable à celles nocturnes. Les inconvénients du voisinage qui peuvent être supportés dans la journée deviennent intolérables aux heures de sommeil. Un bruit est d’autant moins supportable qu’il est nocturne et de forte intensité. En l’occurrence, ce ne sont pas seulement des éclats de voix qui retentissent en soirée mais « des applaudissements, des cris, sifflets, klaxons et autres cornes, coups de tambours ».
11- Ces considérations auraient dû suffire pour justifier la réformation du jugement. Pourtant, la cour d’appel fonde sa décision sur un arrêté municipal interdisant « tous cris, chants, éclats de voix de nature à troubler le repos des habitants » à partir de 21 heures, motif que la Cour de cassation qualifie à juste raison de « surabondant ». Le fait générateur de la responsabilité est établi dès lors que le trouble a atteint un degré dépassant le seuil des inconvénients normaux du voisinage. L’exigence de preuve d’anormalité est nécessaire mais suffisante. En l’occurrence, elle résulte des nuisances sonores nocturnes, répétées, et d’une intensité excédant ce qui peut être toléré. Le fait que leurs auteurs enfreignent un arrêté municipal ne change rien à l’affaire ! Il n’est nul besoin pour la victime d’invoquer l’inobservation d’un règlement pour obtenir réparation[10]. En revanche, il peut y être fait allusion pour déterminer les modalités de cessation du trouble. C’est ce que fait la cour d’appel en se référant à l’arrêté municipal pour fixer l’heure à partir de laquelle les rencontres nocturnes seront interdites.
12- Si elle constate le droit pour la victime de faire cesser le trouble, la cour d’appel ne va cependant pas jusqu’à interdire toute rencontre nocturne. Elle admet qu’on ne peut supprimer toute manifestation publique en soirée comme celles organisées à l’initiative de la commune elle-même. Mais elle considère qu’elles « doivent être strictement limitées et encadrées pour pouvoir être raisonnablement tolérées de tous ». D’où la possibilité offerte au club d’organiser des rencontres six samedis par an au-delà de 21 heures.
13- On approuvera l’arrêt de rejet confirmant une décision qui a le mérite d’avoir concilié le droit à la tranquillité des riverains d’une zone d’habitation et celui tout aussi légitime de pratique d’activités sportives et d’organisation de manifestations sportives.