Initialement prévue pour sécuriser la situation des institutions sans but lucratif (ISBL), la gestion des procédures de rescrit fiscal(1) s’avère être un véritable « casse-tête ». Difficile dans ces conditions de construire un modèle économique stable et optimisé. Retour d’expériences.
Depuis de nombreuses années, des critiques de fond et de forme sont régulièrement formulées à l’encontre de la procédure de reconnaissance d’intérêt général (RIG) telle qu’elle existe actuellement.
Reconnaissance d’intérêt général : pour une convention socialement acceptée
Sur le fond, de nombreuses voix se sont élevées(2) – dont la dernière en date provient du Haut-Conseil à la Vie Associative (HCVA)(3) – pour dénoncer la mainmise exclusive de la gestion de la procédure de RIG par l’administration fiscale. Est-il en effet normal que l’appréciation du caractère d’intérêt généra(4) ne se fasse qu’à travers le prisme – dans certains cas, on pourrait aussi dire « sous les fourches caudines » – de cette administration ? À l’instar de nombreux travaux menés sur ce sujet, et en particulier ceux de Jean Gadrey(5), il est possible de considérer(6) que cette reconnaissance doit désormais être approchée comme une « convention socialement acceptée ». Par l’administration fiscale certes, garante des intérêts de l’État dans le cadre du recouvrement des impôts, mais également par le ministère de tutelle – défini par l’activité principale menée par l’ISBL ou celle pour laquelle la procédure de rescrit a été engagée –, les collectivités territoriales concernées, les représentants du mouvement associatif et syndicats professionnels représentatifs du secteur d’activité concerné ainsi que par les experts et/ou organismes de certification qualifiés. En effet, qui mieux que ces acteurs pour caractériser cette notion d’intérêt général ?
Outre le fait de délester l’administration fiscale de la responsabilité exclusive qui est actuellement la sienne(7), cette contractualisationde la RIG présenterait de multiples avantages :
- elle permettrait en amont l’ouverture d’un véritable débat contradictoire entre les différentes parties prenantes – intégrant l’ISBL requérante, qu’elle soit une association, une fondation ou un fonds de dotation – dans le cadre de la mise en oeuvre d’un processus de coconstruction de la RIG ;
- elle préserverait le caractère évolutif inhérent à la notion même d’intérêt général ;
- elle offrirait la possibilité d’intégrer de nouveaux critères d’appréciation – et pourquoi pas d’évaluation périodique – tels que la prise en compte des particularismes locaux ou des externalités positives ;
– elle constituerait la pierre angulaire de la réforme en ouvrant la possibilité de « judiciariser » cette nouvelle approche de l’intérêt général, soit à l’initiative de l’ISBL bénéficiaire de la RIG définitivement acquise, notamment en cas de remise en question des avantages acquis pour une période donnée (subvention, agrément, avantages fiscaux, etc.) – un délai de cinq ans semble de nature à sécuriser l’organisme bénéficiaire –, soit à l’initiative des pouvoirs publics (État, administration fiscale, ministère de tutelle, collectivité territoriale partie prenante à la convention RIG) en cas de non-respect par l’organisme cocontractant des critères retenus dans la convention d’intérêt général ;
– enfin, elle pourrait déboucher sur un véritable droit au subventionnement opposable, l’ISBL reconnue d’intérêt général étant en outre susceptible de profiter automatiquement des avantages attachés au régime du mécénat.
Rescrit fiscal, ou l’insécurité à tous les étages
Sur la forme, la gestion actuelle de la procédure de rescrit fiscal(8) par les services fiscaux pose problème. Si la qualité d’organisme habilité à recevoir des dons ouvrant droit à réduction d’impôt n’est pas obligatoirement soumise à un agrément préalable de l’administration fiscale(9), les ISBL ont toutefois la possibilité de s’assurer auprès des services fiscaux qu’elles répondent bien aux critères légaux permettant aux dons qu’elles reçoivent d’ouvrir droit à l’avantage fiscal consenti à leurs mécènes et qu’elles sont habilitées à délivrer des reçus.
L’administration fiscale dispose d’un délai de six mois pour se prononcer à compter de la réception de la demande de RIG formulée par l’ISBL requérante. L’absence de réponse de l’administration dans le délai imparti vaut accord tacite de sa part et aucune amende fiscale pour délivrance irrégulière de reçus ne pourra être appliquée(10). La finalité de cette procédure consiste donc bien, à l’origine, à sécuriser la situation des ISBL, et en particulier des associations, afin de leur éviter d’être sanctionnées par une amende(11) en cas de délivrance irrégulière de reçus fiscaux. Or, dans la pratique, c’est exactement l’inverse qui se produit :
– une réponse positive dans ce délai ne vaut que pour la situation décrite. Elle n’est donc pas opposable à l’administration si la situation de l’organisme a évolué entre-temps(12), ce qui signifie que ce type de démarche a pour effet de figer la situation de l’organisme pour un laps de temps souvent relativement long ;
- le délai moyen d’instruction dépasse la plupart du temps très largement le délai de six mois dans la mesure où l’administration fiscale a actuellement une fâcheuse tendance à solliciter un complément d’informations quelques jours seulement avant l’échéance, ce qui a automatiquement pour effet d’anéantir tout espoir de réponse dans des délais connus et maîtrisés ;
– quelle que soit la forme de la réponse, officielle ou tacite, l’administration peut à tout moment revenir sur sa position. Certes, les services fiscaux ne pourront modifier leur position que pour l’avenir après en avoir avisé l’ISBL. Cependant, il n’en va pas de même en cas de changement de législation et, à cet effet, contrairement à ce qu’indiquait l’administration dans son instruction fiscale du 7 septembre 2012(13), la création de la base BOFiP-Impôts ne s’est pas opérée à doctrine constante. Des rectifications interviennent très régulièrement, notamment en raison d’erreurs ou d’omissions constatées. Or, sur ce point, le Conseil d’État a pris une position clairement défavorable aux ISBL dans la mesure où il a jugé que les prises de position de l’administration qui ne sont pas reprises dans la nouvelle base ne sont pas opposables à cette dernière, même si l’absence de reprise résulte d’une inadvertance et non d’une intention délibérée(14) ;
– enfin, la possibilité de solliciter un second examen n’est pas plus protecteur des intérêts des ISBL dans la mesure où ce nouvel examen doit se dérouler selon les mêmes règles et délais que ceux applicables à la demande initiale, décomptés à partir de la nouvelle saisine(15). Or, une telle approche interdit tout débat contradictoire : au cours de cette procédure, il est clairement spécifié aux organismes qu’il leur est impossible d’invoquer des éléments nouveaux, y compris si l’analyse de la situation réelle de l’organisme par l’administration comporte des erreurs manifestes d’appréciation.
Délais d’instruction aléatoires, positions arbitraires, voire le plus souvent contradictoires d’une direction départementale à une autre, possibilité de remise en question de la position exprimée à tout moment, absence de débat contradictoire… Difficile dans ces conditions de construire et surtout de sécuriser les modèles économiques des ISBL, ce qui est d’autant plus fâcheux que cette construction se fait généralement autour de leur mission d’intérêt général(16).
Colas AMBLARD, Directeur des publications
En savoir plus :
Juris Associations n° 567 du 1 novembre 2017
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Documents joints:
Notes:
2. La Fonda, séminaire « Pour une éthique des rapports entre pouvoirs publics et citoyens », 17 oct. 1992 ; COSA, compte rendu de réunion du 24 janv. 2005 ; J.-P. Decool, « Des associations, en général… vers une éthique sociétale », mai 2005, p. 47 ; Ass. nat., P. Morange, rapp. d’information no 134, 1er oct. 2008, p. 41 et 42 ; J.-L. Langlais, « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations », juin 2008, p. 26.
3. HCVA, « Rapport sur la notion d’intérêt général fondant l’intervention des associations », 25 mai 2016, JA no 541/2016, p. 3 et p. 6 ; v. égal. dossier « Rapports et réglementation – Travaux d’intérêt général », JA no 546/2016, p. 18.
5. J. Gadrey, « L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire », févr. 2004 ; v. égal. X. Engels, M. Hély, A. Peyrin et H. Trouvé, De l’intérêt général à l’utilité sociale : la reconfiguration de l’action publique entre État, associations et participation citoyenne, L’Harmattan, 2006.
6. C. Amblard, Recma 2010, no 315, p. 21.
7. Circ. no 5811/SG du 29 sept. 2015, JA no 526/2015, p. 6 ; v. égal. dossier « Pouvoirspublics et associations – Le 2e tempsde la Valls », JA no 533/2016, p. 16.
8. Sur les rescrits, v. dossier « Rescrit – Le grand examen », JA no 560/2017, p. 21.
9. CE 14 févr. 2011, no 329252, JA no 437/2011, p. 12.
12. BOFiP-Impôts, BOI-SJ-RES-10-20-10 du 12 sept. 2012, § 390.
13. Instr. du 7 sept. 2012, BOI 13 A-2-12.
14. CE 27 févr. 2013, no 357537, JA no 476/2013, p. 3 ; RJF 5/13, no 520.
16. C. Amblard, JA no 562/2017, p. 32 ; v. égal. C. Amblard, JA no 525/2015, p. 37.