En l’absence de précisions et de données sur les montages juridiques retenus pour un contrat à impact social (CIS), on supposera qu’il s’agit de prêts classiques d’investisseurs octroyés à la personne publique (par l’intermédiaire ou non d’une personne, par exemple un établissement de crédit), que cette dernière met à la disposition de l’opérateur et dont le remboursement et le versement d’une « prime » est subordonné à la réussite du programme innovant d’actions sociales. L’opération globale est donc celle d’un prêt de sommes d’argent, dont le remboursement est sujet à une condition suspensive de réussite.
Le ou les schémas pris comme axiomes seront les suivants (1) 1 Source : Institut de l’entreprise, Social impact bonds, un nouvel outil de financement de l’innovation sociale, novembre 2015 :
I. – RÉGIME FISCAL DE L’INVESTISSEUR FRANÇAIS
I. 1. – Un organisme à but non lucratif peut-il effectuer une opération de crédit ?
Cette question préalable doit être analysée si, par exemple, une fondation envisage d’être un investisseur. En effet, il existe un risque pénal à la mise à disposition onéreuse de fonds au profit d’autrui.
La loi « interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel » (C. mon. fin., art. L. 511-5). La violation de cette interdiction est punie de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende (C. mon. fin., art. L. 571-3). Pour les personnes morales, l’amende peut atteindre 1 875 000 euros (C. pén., art. 131-41).
En revanche, cette interdiction ne s’applique pas aux « organismes sans but lucratif qui, dans le cadre de leur mission et pour des motifs d’ordre social, accordent, sur leurs ressources propres, des prêts à conditions préférentielles à certains de leurs ressortissants » (C. mon. fin., art. L. 511-6, 1).
Un organisme à but non lucratif pourra faire un prêt si celui-ci est exceptionnel et s’il remplit les conditions suivantes :
– il entre dans l’objet social de l’organisme ( des modifications statutaires devront, le cas échéant, être effectuées) ;
– il est accordé pour des motifs d’ordre social ;
– il est accordé sur les ressources propres de l’organisme ;
– il est accordé à des conditions préférentielles ;
– le bénéficiaire du prêt est un « ressortissant » : un ressortissant est une personne concernée par la mission de l’organisme. Toutefois, il est conseillé qu’il ne soit pas l’un des membres de l’organisme afin que l’opération ne soit pas requalifiée en partage de bénéfices.
I. 2. – Imposition des bénéfices
I. 2. 1. – L’investisseur est une personne physique soumise à l’IR
En cas d’échec du programme, la perte subie par la personne physique est une perte en capital qui n’est ni imputable sur ses revenus de capitaux mobiliers ni, le cas échéant, sur son revenu global.
En cas de réussite totale ou partielle du programme, une somme rémunérant le risque est versée aux investisseurs.
Les sommes perçues par un investisseur assujetti à l’IR sont qualifiées fiscalement de produits de placements à revenu fixe, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (CGI, art. 124).
Ces produits des placements à revenu fixe sont, en principe, soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Ils sont par ailleurs l’objet d’un prélèvement forfaitaire non libératoire au taux de 24 %. Ce prélèvement est un acompte sur l’IR dû au titre de l’année de perception des produits. Si l’IR dû est insuffisant pour imputer totalement l’acompte, l’excédent est immédiatement remboursé au particulier.
I. 2. 2. – L’investisseur est un organisme à but non lucratif, non soumis aux impôts commerciaux
Il s’agit principalement des fondations (RUP et d’entreprise) et des fonds de dotation.
- Fondations reconnues d’utilité publique
Les fondations RUP sont exonérées d’IS aux taux réduits sur les revenus qu’elle tire de son patrimoine (CGI, art. 206, 5).
- Fondations d’entreprise
Les fondations d’entreprise sont imposées sur leurs revenus de capitaux mobiliers à un taux d’IS réduit (CGI, art. 206, 5). Pour les intérêts de créances, ce taux est de 24 % (CGI, art. 219 bis).
- Fonds de dotation
Les fonds de dotation dont les statuts ne permettent pas la consomptibilité de leur dotation en capital sont exonérés d’IS aux taux réduits sur leurs revenus de patrimoine (CGI, art. 206, 5).
À l’inverse, les fonds de dotation à dotation consomptible sont soumis au même régime que les fondations d’entreprise.
I. 2. 3. – L’investisseur est soumis à l’IS (ou à l’IR dans la catégorie des BIC)
- Traitement fiscal de la rémunération de l’évaluateur (voire de l’intermédiaire)
L’appel à projets prévoit que la rémunération de l’évaluateur (et, le cas échéant, de l’intermédiaire) est prise en charge par l’investisseur (même si le paiement au résultat prend financièrement en compte cette rémunération).
La somme versée par l’investisseur est, au regard de la loi fiscale, une charge de frais généraux. En effet, elle vient en diminution de son actif net : c’est une dépense définitive.
Une charge de frais généraux est fiscalement déductible si les conditions générales suivantes sont réunies (CGI, art. 39, 1, 1°) :
– elle doit être exposée dans l’intérêt de l’exploitation, c’est-à-dire se rattacher à une gestion normale (théorie de l’acte anormal de gestion);
– elle doit être régulièrement comptabilisée dans les écritures de l’entreprise ;
– elle doit être assortie des pièces justificatives suffisantes (par exemple, une facture).
Sans préjudice de ces conditions, la loi fiscale peut venir limiter ou interdire des dépenses spécifiques. Il est donc nécessaire de qualifier plus spécifiquement les sommes versées à l’évaluateur et à l’intermédiaire.
Par cette somme, l’investisseur rémunère les prestations que lui octroient l’évaluateur et l’intermédiaire. Les services réalisés consistent en des prestations intellectuelles (évaluation des effets du programme) et matérielles et juridiques (gestion des sommes reçues par l’intermédiaire et versement échelonné à l’opérateur). Ces prestations s’intègrent par ailleurs dans l’opération globale constituée par le prêt de sommes d’argent. Il s’agit ainsi de services extérieurs, dont la rémunération consiste en le versement de commissions et d’honoraires.
Ces commissions et honoraires ne sont pas l’objet d’une déduction limitée. En revanche, ils doivent être portés par le débiteur sur une déclaration spéciale, la DAS 2, si les sommes versées à un même bénéficiaire sont supérieures à 600 € par an (CGI, art. 240). A défaut, une amende égale à 50 % des sommes non déclarées est appliquée, sauf si c’est la première infraction commise au cours de l’année civile en cours et des trois années précédentes, lorsque les intéressés ont réparé leur omission, soit spontanément, soit à la première demande de l’administration avant la fin de l’année au cours de laquelle la déclaration devait être souscrite (CGI, art. 1736). L’amende n’est pas déductible des résultats fiscaux de l’entreprise(CGI, art. 39, 2).
- Traitement fiscal du prêt et des intérêts
Le prêt est fiscalement assimilé à une immobilisation financière (PCG, art. 211-1 et s.).
Trois temps doivent être distingués : la naissance du prêt, la vie du prêt et l’extinction du prêt :
1 – Naissance du prêt
Lorsque le prêt naît dans le chef de l’investisseur, il est généralement constaté, au plan comptable, un crédit d’un compte de disponibilités (par exemple, compte 512 « Banque ») et un débit d’un compte d’immobilisations financières (par exemple, compte 274 « Prêt »).
Cette constatation n’entraîne pas de conséquences fiscales : il n’y a pas en effet de variation d’actif net (CGI, art. 38, 2).
2 – Vie du prêt
Deux questions se posent : l’amortissement du prêt et la dépréciation du prêt.
- Amortissement du prêt ? Selon l’article 39, 1, 2° du CGI, le bénéfice brut est diminué des « amortissements réellement effectués par l’entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d’après les usages de chaque nature d’industrie, de commerce ou d’exploitation ». L’une des conditions de la déduction fiscale des amortissements est sa constatation dans la comptabilité de l’entreprise.
Une immobilisation est amortie au plan comptable si sa durée d’utilisation est limitée, notamment au regard de ses critères physiques, techniques, juridiques ou économiques (PCG, art. 214-1). L’article 214-2 du PCG indique bien que « lorsqu’il n’y a pas de limite prévisible à la durée durant laquelle il est attendu qu’un actif immobilisé procurera des avantages économiques à l’entité, la durée d’utilisation de cet actif est non limitée et l’actif concerné ne fait pas l’objet d’amortissement ».
La question se pose donc de savoir si un prêt dont le remboursement est suspendu au succès du programme a une durée d’utilisation limitée.
Il est difficilement concevable d’affirmer qu’un prêt de sommes d’argent se déprécie définitivement avec le temps. Le prêt ne pourra ainsi faire l’objet d’un amortissement comptable déductible fiscalement.
- Dépréciation du prêt ? Le contrat à impact social peut, par exemple, prévoir dans ses modalités une évaluation des effets du programme tous les ans. Ainsi, l’investisseur pourra être informé du fait qu’à la date de l’évaluation seule une partie de son prêt sera remboursée, le reste étant une perte.
La déduction fiscale d’une provision pour dépréciation est subordonnée à la dépréciation comptable de l’actif (CGI, art. 39, 1, 5°). La dépréciation d’un actif est « la constatation que sa valeur actuelle est devenue inférieure à sa valeur nette comptable » (PCG, art. 214-5). La valeur nette comptable d’un prêt est sa valeur brute, c’est-à-dire sa valeur d’entrée dans les comptes. La valeur actuelle est la valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d’usage.
Contrairement à l’amortissement, un prêt peut éventuellement être déprécié dès lors que des événements extérieurs influent sur sa valeur actuelle.
Pour être fiscalement déductible, la provision pour dépréciation devra en outre répondre aux conditions suivantes :
– la provision doit être destinée à faire face à une perte ou à une charge déductible ;
– la perte ou la charge doit être nettement précisée, c’est-à-dire qu’elle doit être individualisée et évaluée avec une approximation suffisante;
– la perte ou la charge doit être probable ;
– la probabilité de la perte ou de la charge doit résulter d’événements en cours.
3 – Extinction du prêt
- Extinction par échec du programme
En cas d’échec total ou partiel du programme, l’investisseur supporte le risque. La perte qu’il supporte doit être constatée dans les écritures de l’entreprise : le compte d’actif (compte de bilan) est crédité pour être débité dans un compte de charges (compte de résultat).
Comment cette perte est-elle fiscalement qualifiée ? Est-elle une charge exceptionnelle ou une moins-value de cession ?
Le régime des plus ou moins-values de cession s’applique à toute cession d’élément d’actif. La notion de cession doit s’entendre de toute opération ou tout événement ayant pour effet de faire sortir une immobilisation de l’actif de l’entreprise ou de lui retirer définitivement tout ou partie de sa valeur (CGI, art. 39, duodecies, 1). La perte est donc une moins-value.
Une distinction doit ici être établie entre les entreprises soumises à l’IR dans la catégorie des BIC et les entreprises soumises à l’IS.
Pour les entreprises soumises à l’IR dans la catégorie des BIC, la perte résultant du non-remboursement définitif du prêt sera :
– soit déductible des résultats ordinaires de l’entreprise si l’immobilisation est détenue depuis moins de 2 ans (régime des moins-values à court terme) ;
– soit imputable sur les plus-values à long terme réalisées durant les dix exercices suivants celui de la constatation de la moins-value si l’immobilisation financière est détenue depuis plus de 2 ans (régime des moins-values à long terme) : dans cette hypothèse, la moins-value devra faire l’objet d’une réintégration extra-comptable sur l’imprimé n°2058-A.
Pour les entreprises soumises à l’IS, le régime des moins-values à court terme s’applique dans tous les cas aux moins-values de cession d’immobilisations, autres que les cessions de titres de participation (CGI, art. 219, a quater).
- Extinction du prêt par réussite du programme
En cas de réussite totale ou partielle du programme, le payeur au résultat va rembourser le prêt et rémunérer l’investisseur.
Le remboursement du prêt n’est pas imposable : aucune variation d’actif net n’est constatée (CGI, art. 38, 2).
Les sommes versées par le payeur au résultat au titre de la rémunération du risque pris par l’investisseur sont constatées dans les écritures de l’entreprise en tant que produits financiers.
Selon les règles de la comptabilité d’engagement, les produits sont imposés lorsque les créances sont acquises, c’est-à-dire lorsque le principe et le montant des produits sont certains (CGI, art. 38, 2 bis).
En ce qui concerne les intérêts versés à l’investisseur, ceux-ci sont certes certains dans leur montant, mais ils ne le sont pas concernant leur principe. En effet, leur versement est subordonné à la réussite totale ou partielle du programme. Ils seront donc imposés au titre de l’exercice de l’évaluation des effets du programme par l’évaluateur indépendant.
I. 3. – Taxe sur la valeur ajoutée
I. 3. 1. – L’investisseur est un organisme à but non lucratif
La doctrine écrite de l’administration indique qu’un organisme qui n’est pas soumis à l’IS de droit commun et à la contribution économique territoriale du fait de sa non-lucrativité n’est pas non plus soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20-20120912 n°10 à 30).
Attention ! Il existe un risque que les intérêts rémunérant le prêt soient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. Pour éviter cela, deux solutions sont possibles :
– le prêt respecte la règle des « 4P » ; ou
– les intérêts versés ne dépassent pas le montant de la franchise commerciale (61.145 €).
A défaut, les intérêts versés seront soumis à la TVA et à l’IS en vertu du lien de connexité de ces deux impôts qui s’applique aux organismes sans but lucratif.
I. 3. 2. – Les autres investisseurs
En vertu de l’article 256, I du CGI, « sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ». L’article 256 A du même code précise ce qu’il faut entendre par assujetti : « sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention […]. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien meuble corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ».
La question se pose de savoir si la mise à disposition d’une somme d’argent constitue une activité économique ou une opération patrimoniale hors du champ d’application de la TVA.
La Cour de justice des communautés européennes a estimé que sont situés dans le champ d’application de la TVA les intérêts perçus par un holding en rémunération de prêts accordés aux sociétés dans lesquelles il détient une participation, quelles que soient les raisons pour lesquelles ces prêts sont octroyés (CJCE 29 avril 2004, Empresa de Desenvolvimento Mineiro SGPS SA – EDM, C-77/01). La doctrine écrite de l’administration a retenu la même solution (BOI-TVA-CHAMP-10-10-30-20130215, nos 380 et 390).
On peut déduire de cette solution une portée générale, de telle sorte que les intérêts perçus par les investisseurs sont soumis à la TVA.
II. – RÉGIME FISCAL DE L’INVESTISSEUR ÉTRANGER
Si l’investisseur-particulier n’est pas fiscalement domicilié en France (CGI, art. 4 B), si l’investisseur institutionnel n’exploite pas d’entreprise en France (CGI, art. 209, 1) ou si le prêt ne se rattache pas à l’activité de l’établissement stable français de l’investisseur, le régime fiscal diffère de celui qui s’applique aux investisseurs domiciliés ou établis en France. Pour les personnes situées à l’étranger, on applique généralement un système de retenue à la source libératoire (sauf certaines hypothèses).
Conformément au principe de subsidiarité consacré par la jurisprudence (CE Ass., 28 juin 2002, Schneider Electric), les sommes versées à l’investisseur étranger doivent être analysées d’abord au regard du droit interne, puis au regard de la convention fiscale éventuellement applicable entre l’État français et l’État d’établissement ou de domiciliation de l’investisseur.
II. 1. – Droit fiscal français
Les sommes versées par le payeur au résultat s’analysent fiscalement comme des revenus de créances (CGI, art. 124). Or, la loi fiscale française ne prévoit aucune retenue à la source pour les revenus de créances versés par un débiteur établi en France à un bénéficiaire dont le domicile fiscal ou le siège est établi hors de France (CGI, art. 119 bis, 1 ; v. BOI-RPPM-RCM-30-10-10-10-20140211 n°90 ; CGI, art. 125 A, 3 ; v. BOI-RPPM-RCM-30-10-30-30-20140211). Ils sont donc exonérés d’imposition en France.
En revanche, si le bénéficiaire est établi dans un État ou territoire non coopératif1, un prélèvement à la source de 75 % est appliqué sur les sommes versées, sauf si le débiteur démontre que les opérations auxquelles correspondent ces revenus et produits ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces revenus et produits dans un État ou territoire non coopératif (CGI, art. 125 A, 3).
II. 2. – Droit fiscal conventionnel
Il n’est pas nécessaire de rechercher l’application des dispositions d’une convention fiscale internationale dès lors que le droit fiscal français ne prévoit aucune imposition des revenus de créance versés à des personnes situées hors de France.
Colas AMBLARD, Directeur des publications
Florian BOCQUET, Cabinet NPS Consulting
En savoir plus :
Colas AMBLARD et Florian BOCQUET, Les contrats à impact social pour un véritable contrat « triple gagnant », éditorial ISBL CONSULTANTS avril 2016
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