Avec le retour de la neige, les tribunaux retrouvent leur lot habituel d’actions en réparation des dommages causés par la pratique du ski (lire nos commentaires du 30 novembre 2011. du 26 avril 2012 et du 28 janvier 2014. C’est l’occasion de rappeler aux skieurs qu’ils doivent prendre garde à leur sécurité et ne pas croire, au risque de grandes désillusions, que les accidents dont ils sont victimes sur une remontée mécanique ou sur une piste trouvent à tous les coups un responsable. Les arrêts des cours d’appel de Chambéry (31 octobre 2013) et d’Aix en Provence (13 mars 2014) l’attestent.
1-Voici deux skieuses dont la saison a été brutalement ininterrompue. La première chute sur une bosse d’une piste verte et heurte un panneau destiné à protéger les abords du télésiège qu’elle rejoignait avec son groupe et le moniteur qui encadrait la sortie. Elle actionne en responsabilité l’exploitant pour ne pas avoir sécurisé le panneau et l’association organisatrice des cours de skis à qui elle reproche la négligence de son moniteur qui n’a pas alerté le groupe sur la présence du panneau (CA Chambéry). La seconde skieuse qui s’est blessée à la descente d’un télésiège soutient que le préposé présent à l’arrivée de l’engin n’aurait pas été suffisamment prompt à arrêter sa rotation (CA Aix en Provence). Les deux victimes sont déboutées de leur action en réparation par les premiers juges ainsi qu’en appel. Ni l’une ni l’autre ne parviennent à franchir l’obstacle de la preuve à la charge du créancier de l’obligation de sécurité de moyens et à établir une faute des exploitants des remontées mécaniques et de l’organisateur des cours de skis.
2-Dans la première espèce (CA Chambéry) l’enquête a révélé que le poteau litigieux n’était pas implanté sur le tracé de la piste. Aussi, son absence de protection ne pouvait être considérée comme une anomalie comme cela aurait été le cas s’il avait été en bordure de la piste. De même il n’y a rien à reprocher au moniteur. Sa décision de prendre un raccourci, et de sortir de la piste pour rejoindre plus rapidement le télésiège n’a pas mis en danger ses élèves. Le chemin emprunté, à proximité immédiate du domaine skiable, ne faisait pas l’objet d’interdiction de passage. L’endroit où s’est produit l’accident, ne présentait aucune difficulté technique qui aurait pu augmenter le risque de chute. De surcroît, la victime skiait avec une certaine aisance au point d’avoir opté pour un enseignement de niveau expert. Enfin, le groupe était déjà passé par cet endroit à plusieurs reprises, de sorte qu’il n’y avait plus l’effet de surprise qui a pu exister au premier passage.
3-Dans la seconde espèce, (CA Aix en Provence) aucune défaillance de la part du personnel en charge du télésiège n’a été établie et en supposant que le préposé présent à l’arrivée de l’engin n’ait pas été assez prompt à l’arrêter, il n’est pas prouvé qu’une intervention plus rapide de sa part aurait permis d’éviter la chute. En outre, aucune preuve n’a été rapportée que l’exploitant aurait enfreint l’article L 221 du code de la consommation en vertu duquel les produits et services ne doivent pas porter atteinte à la santé des personnes. Aucun disfonctionnement du matériel n’a été également relevé. Il n’est pas établi que la vitesse de l’engin aurait été excessive ou qu’un nombre anormal d’accidents se seraient produits lors de son utilisation.
4-On retiendra de la première espèce (CA Chambéry) que la victime avait actionné à titre principal l’exploitant de la remontée mécanique sur le fondement de l’article 1384 du code civil en qualité de gardien du panneau non signalé. Le succès d’une telle action supposait que les conditions de la responsabilité délictuelle fussent réunies ce que les juges contestent en affirmant l’existence d’un contrat entre l’exploitant et la victime (I).
5-Dans la seconde espèce (CA Aix en Provence), la skieuse a tenté, sans succès, de remettre en question une jurisprudence bien établie sur les différentes séquences du contrat de télésiège et notamment sur le fait que l’exploitant n’est tenu qu’à une obligation de sécurité de moyens pour les opérations de débarquement (II).
1-Le fondement de la responsabilité
6-Le principe du non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle est un sujet brûlant. Rappelons qu’il n’autorise pas la victime, lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies, à actionner l’auteur du dommage sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Cette prohibition dont le défendeur n’a qu’à se féliciter ne permet pas au demandeur de se prévaloir de la responsabilité du fait des choses qui occupe une place de choix au sein de la responsabilité délictuelle. Elle dispense la victime d’établir la preuve d’une faute du gardien de l’objet et diminue singulièrement les possibilités offertes à celui-ci de s’exonérer de sa responsabilité puisqu’il ne peut établir l’absence de faute de sa part. On comprend donc que les victimes soient tentées d’enfreindre la règle sacro sainte du non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle d’autant que les juges laissent parfois faire ( lire notre commentaire ) au risque de se voir rappeler à l’ordre par la Cour de cassation (lire notre commentaire). En l’occurrence, la cour d’appel de Chambéry n’a pas transigé sur la règle du non cumul. Elle a écarté la responsabilité du fait des choses au motif de la relation contractuelle entre l’usager de la piste et l’exploitant. Mais l’application de la responsabilité contractuelle au présent litige suppose que l’exploitant de la remontée mécanique avait également en charge l’entretien des pistes. En l’absence de précision sur l’étendue des missions et des obligations de l’exploitant dans le corps de la décision on en est réduit à cette hypothèse. Si, au contraire, l’exploitant n’avait eu en charge que l’exploitation de la remontée mécanique, l’accident survenu alors que la victime descendait la piste n’aurait eu aucun rapport avec l’exécution du contrat de transport et donc avec l’obligation de sécurité afférente.
La responsabilité de l’exploitant aurait été alors délictuelle ouvrant à la victime la voie de l’article 1384 alinéa 1.
7-Toutefois, il n’est pas acquis, qu’elle aurait obtenu gain de cause sur ce fondement. En effet, il lui aurait fallu établir que la chose avait été l’instrument du dommage. Ce lien de causalité est présumé pour les choses mobiles. En revanche, pour les choses inertes, comme un panneau servant à délimiter l’aire d’embarquement du télésiège, la preuve de son anormalité incombe à la victime. En l’espèce, elle aurait du démontrer qu’il n’était pas au bon emplacement ou non revêtu d’un dispositif de protection ce qui revient à prouver l’existence d’une faute et nous ramène à la situation dans laquelle se trouve l’exploitant assujetti à l’obligation de sécurité de moyens
2- L’obligation de sécurité.
8-Dans la seconde espèce, la victime soutenait que l’exploitant du télésiège était soumis à une obligation de résultat à la descente. Ce raisonnement lui épargnait la charge de preuve d’une faute, l’exploitant se trouvant alors de plein droit responsable de l’accident. Mais c’était aller à contre courant de la jurisprudence sur les accidents de télésiège.
9-D’emblée, la Cour de cassation a admis le tronçonnement du contrat et considéré que l’obligation mise à la charge de l’exploitant de télésiège était de résultat durant le trajet où le skieur a un rôle passif (responsabilité sans faute) et de moyens lors des opérations d’embarquement et de débarquement (responsabilité pour faute)[1] ou il a un rôle actif. Si elle a paru un temps hésiter et donner l’impression d’assujettir l’exploitant à un régime unique d’obligation de sécurité résultat[2], elle est cependant revenue « à la case départ » dans son arrêt du 10 mars 1998[3] considérant que l’obligation de sécurité était de résultat pendant le temps du trajet et de moyens pour les opérations d’embarquement et de débarquement. La difficulté est de déterminer le moment précis où s’achève le débarquement. A priori, il y a deux possibilités. Ou bien, le passage s’effectue au moment où l’usager quitte son siège ou bien il s’opère à l’instant où il relève le garde corps. Dans le premier cas, il y a un étirement de la phase de transport plutôt favorable à l’utilisateur et dans le second, au contraire, rétractation de celle-ci plutôt favorable à l’exploitant. La Cour de cassation a varié dans ses positions. Elle a d’abord considéré que le passage de l’obligation de résultat à l’obligation de moyenscommençait à la levée du garde-corps avant de se raviser. Dans son arrêt du 11 juin 2002[4], elle définit le débarquement « comme le moment où l’usager doit quitter le siège sur lequel il est installé » c’est-à-dire lorsqu’il atteint l’aire de débarquement. La phase, préliminaire au débarquement, est désormais soumise à l’obligation de résultat dont bénéficie le skieur qui chute avant que son siège ne parvienne à l’aire de débarquement. En revanche, le débarquement lui-même est assujetti à l’obligation de moyens. C’était précisément le cas en l’espèce ou la victime a été percutée par le siège au moment où elle en descendait. Elle avait bien à cet instant « un rôle actif » puisqu’elle devait « se lever et glisser sur ses skis hors de la trajectoire du télésiège avant que celui-ci ne tourne sur la poulie ». Ce n’est que si elle avait été un piéton qu’elle aurait pu prétendre au bénéfice de l’obligation de résultat car l’obligation de sécurité de l’exploitant est nécessairement plus importante lorsqu’il s’agit du transport d’un piéton qui n’a pas les mêmes facilités qu’un skieur pour reprendre contact avec le sol [5].
Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012
Documents joints:
CHAMBERY 31 OCT 2013
AIX EN PROVENCE 13 MARS 2014