Question publiée au JO le 07/04/2009 page 3173 n°45955 de M. Chassaigne André ( Gauche démocrate et républicaine – Puy-de-Dôme ) QE : M. André Chassaigne attire l’attention de M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes sur les services sociaux d’intérêt général. Le 23 mars, lors d’une conférence de presse, le député européen Francis Wurtz dénonçait le démantèlement prochain du secteur social européen. En effet, alors que les services sociaux d’intérêt général (SSIG) avaient été retirés en 2006 du champ d’application de la directive services (« Bolcheviser »), la Commission européenne a depuis considéré que, grâce au traité de Lisbonne, « les services exclus du champ d’application de la directive relative aux services dans le marché intérieur continueront de relever de ces règles et principes ». La Commission européenne veut donc livrer les services sociaux à la « concurrence libre et non faussée » et libéraliser le secteur social, ceci en dépit du vote du Parlement de Strasbourg. C’est pourquoi il lui demande si la France accepterait de proposer lors d’un prochain Conseil des ministres européens qu’une directive reconnaisse pleinement les caractéristiques spécifiques et non commerciales des services sociaux.
Texte de la REPONSE :
1. La clarification du droit communautaire et la sécurisation juridique des services publics ou « services d’intérêt économique général » (SIEG), en particulier les services sociaux d’intérêt général (SSIG), est une exigence que la France fait valoir de longue date tant auprès de la Commission européenne que de ses partenaires de l’Union européenne. Il en va en effet de la pérennité et de la vitalité du modèle social européen, dont la crise économique et financière actuelle ne fait que confirmer la pertinence.
2. Des évolutions positives ont pu être enregistrées, qui protègent davantage les spécificités des services publics et des services sociaux :
a) Les services sociaux « relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin qui sont assurés par l’État, par des prestataires mandatés par l’État ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’État » sont exclus du champ d’application de la directive n° 2006/123/CE du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (art. 2.2.j). Cette exclusion concerne également les services de soins de santé « qu’ils soient ou non assurés dans le cadre d’établissements de soins et indépendamment de la manière dont ils sont organisés et financés au niveau national ou de leur nature publique ou privée ».
b) L’exclusion de certains services sociaux du champ d’application de la directive sur les services ne vaut pas exonération du respect des règles du marché intérieur. Ce principe est toutefois très tempéré tant par les dispositions du traité (art. 86 §2CE et 87 CE en particulier) que, progressivement, par le droit dérivé, tout particulièrement la décision de la Commission du 28 novembre 2005. Cette décision est un des éléments-clés du paquet « Monti-Kroes » qui tire les conséquences de l’arrêt « Altmark » de la CJCE du 24 juillet 2003. Cette jurisprudence et les instruments élaborés sur cette base offrent un cadre et une sécurité juridiques supplémentaire aux financements versés par les pouvoirs publics en compensation des charges des Services d’intérêt économique général (SIEG). En particulier la décision de 2005 définit sous quelles conditions des compensations de service public peuvent être exemptées de notification à la Commission.
3. Le Gouvernement s’est engagé à prendre en compte les inquiétudes des acteurs publics et privés, en particulier locaux, qui sont gestionnaires de services sociaux d’intérêt général : il a confié en juillet 2008 à M. Michel Thierry une mission relative à la prise en compte des spécificités des services d’intérêt général dans la transposition de la directive sur les services et l’application du droit communautaire des aides d’État. Désormais disponible, ce rapport permet de bien cerner sur ces questions les enjeux, les acquis et, enfin, les difficultés qu’il reste à résoudre ainsi que les améliorations souhaitables, tant au plan national au regard de la bonne articulation avec le droit communautaire qu’au niveau européen pour y faire évoluer le droit et les pratiques. Le rapport invite fermement la Commission à poursuivre ses travaux de clarification du droit européen et sur l’ordonnancement des objectifs sociaux et des règles de concurrence et de libre circulation dans le marché intérieur.
4. À noter enfin que le traité de Lisbonne, s’il entre en vigueur, consacrera des avancées non négligeables dans deux directions, qui reflètent les différentes sensibilités européennes vis-à-vis des services publics, mais qui visent chacune à mieux protéger leurs spécificités :
a) Le protocole n° 9 sur les « services d’intérêt général » consacre le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des pouvoirs publics nationaux, autrement dit le bien-fondé de la subsidiarité en la matière. Ainsi « les valeurs communes de l’Union concernant les services d’intérêt économique général (…) comprennent notamment : le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l’organisation des services d’intérêt économique général d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ; la diversité des services d’intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ; un niveau élevé de qualité, de sécurité et d’accessibilité, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des utilisateurs ». Ces « dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres relative à la fourniture, à la mise en service et à l’organisation de services non économiques d’intérêt général. »
b) Par ailleurs, le nouvel article 14 TFUE du traité de Lisbonne offre la faculté de légiférer au niveau communautaire, contrairement à l’actuel article 16CE. Ainsi « Sans préjudice des articles 93, 106 et 107 (ex art. 73, 86, 87 CE) et de l’article 4 du traité sur l’Union européenne et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, l’Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application des traités, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, établissent ces principes et fixent ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les États membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services. » (en gras, nouvelles dispositions introduites par le traité de Lisbonne).
c) Enfin, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, insérée dans le traité de Lisbonne, consacre à son article 36 un « Accès aux services d’intérêt économique général » : « L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union ». La bonne articulation du droit national et du droit communautaire, afin de sécuriser les opérateurs de services sociaux d’intérêt général, ainsi que le renforcement du cadre européen ont donc fait l’objet de progrès importants ces dernières années qui doivent être poursuivis. L’opportunité d’un texte, directive ou règlement, « reconnaissant pleinement les caractéristiques spécifiques et non commerciales des services sociaux » dans l’Union européenne reste une question en débat parmi les états membres et à la Commission européenne.
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