Les troubles créés par des installations sportives implantées à proximité d’habitations donnent lieu à de fréquents recours contentieux habituellement fondés sur une carence du maire dans l’exercice de son pouvoir de police et sur les dommages causés par des ouvrages publics. L’intérêt de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes le 22 décembre 2017 est d’avoir eu à se prononcer sur l’application des ces deux régimes de responsabilité dans une espèce où l’appelant contestait l’efficacité des mesures correctives prises par  le maire.

1-Habiter à proximité d’un terrain de sport n’est pas un havre de paix ! On ne compte plus le nombre  de riverains se plaignant de nuisances causées par les usagers et  les supporters qui perturbent leur vie quotidienne et leur tranquillité et les privent d’une grande partie de l’agrément de leur propriété allant parfois jusqu’à diminuer sa valeur vénale. Ces nuisances sont de toute nature, qu’il s’agisse de troubles sonores provoqués par des circuits de moto cross, de tirs provenant de ball-trap, de jets répétés de ballons ou de balles de tennis dans les jardins des riverains,  voire des dégradations de clôtures consécutives aux incursions répétées de supporters. En l’occurrence, les appelants avaient fait l’acquisition d’une maison d’habitation deux mois avant l’inauguration d’un terrain multisports séparé de leur propriété par le chemin menant au stade municipal. Se plaignant de nuisances sonores et d’incursions répétées dans sa propriété pour récupérer des ballons, ils avaient obtenu de la commune l’installation de filets pare-ballons dans l’enceinte du terrain et l’édiction d’un arrêté municipal limitant les heures d’utilisation de l’installation. Estimant que ces mesures étaient insuffisantes, ils demandèrent au tribunal administratif d’Orléans de condamner la commune à la réparation de leurs préjudices matériels et financiers, à hauteur de 85 000 euros. Celui-ci leur accorda en tout et pour tout une indemnité de 3000 euros dont ils contestaient le montant en appel sur le fondement, d’une part, d’une carence du maire dans l’exercice de son pouvoir de police et, d’autre part, d’un dommage imputable au terrain multisports en tant qu’ouvrage public.

Responsabilité pour faute

2-Le maire, qui n’exerce pas son pouvoir de police alors que les circonstances l’exigent, commet une faute. Il n’est pas nécessaire de relever l’existence d’une faute lourde comme l’a admis le Conseil d’État qui n’y voit pas d’erreur de droit (CE 28 novembre 2003, n° 238349).

3-Non seulement l’absence de mesures correctives  mais également un retard à les mettre en œuvre sont considérés comme constitutifs d’une carence dans l’exercice des mesures de police (CAA Nancy, 7 juin 2007, req. n° 06NC0005.CAA Douai24 janvier 2008, n° 07DA00989). En l’espèce, le maire n’a pas manqué à ses devoirs puisqu’un mois après avoir été avisé de la dégradation du portillon d’accès à la propriété de l’appelant, il l’a informé de sa décision d’installer des filets pare-ballons dans l’enceinte du terrain de sport et les a fait poser deux mois après. Par ailleurs, le délai de neuf mois qui s’est écoulé entre le premier signalement et l’édiction de l’arrêté municipal n’est pas jugé excessif.  En effet, l’arrêt relève « que M. F…et Mme C…ne démontrent pas, en soulignant le délai de neuf mois entre leur premier signalement auprès du maire de la commune et la date de l’arrêté municipal réglementant l’accès au terrain multisports, que les mesures prises par le maire de la commune de Ligny-le-Ribault seraient insuffisantes pour mettre fin aux préjudices qu’ils ont subis ».

4-S’il ne pouvait être reproché son inaction au maire, il était toujours possible de  mettre en cause l’efficacité des mesures prises. A cet égard, l’élu doit veiller à concilier deux intérêts antagonistes : d’un côté la liberté de la pratique sportive qui constitue « un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration et de la vie sociale » (art. L 100-1 C. sport); de l’autre, le droit de tout propriétaire d’une maison d’habitation à un environnement paisible. En l’occurrence, l’arrêté municipal réglementant l’utilisation du terrain a respecté ses exigences. Son ouverture en soirée permet à toutes les catégories de la population au travail d’y avoir accès.  La fixation des horaires d’ouverture à 9H et à 22 heures pour la fermeture est un compromis raisonnable qui permet le plein emploi  de l’équipement, l’accès à tous, tout en garantissant aux riverains la tranquillité contre les nuisances sonores nocturnes d’autant que l’arrêté  « interdit la diffusion de musique et de toute autre source de bruits, notamment liée à l’utilisation d’engins à moteur ».

5-Le maire s’était-il donné les moyens de faire appliquer l’arrêté ? A deux reprises la cour administrative d’appel de Paris a rappelé qu’il est de son devoir « en vertu de ses pouvoirs de police, de faire respecter les horaires». Dans un premier arrêt, elle déclare la commune responsable après avoir relevé qu’aucun panneau mentionnant les horaires d’ouverture et de fermeture du stade et l’interdiction d’y pénétrer en dehors de ces horaires n’a été prévu. Par ailleurs, le tourniquet annoncé pour empêcher l’intrusion des cyclomoteurs n’a pas été installé et il n’apparaît pas que des gardiens aient fait régulièrement des opérations de médiation ou des rondes. (CAA Paris, 20 janvier 2014, n° 11PA05104). Dans un second arrêt, les juges observent qu’un agent de la commune s’est déplacé sans pouvoir empêcher l’occupation du terrain et a par la suite recommandé aux riverains de prévenir directement le commissariat ; par ailleurs, le vice-président du syndicat intercommunal des sports a porté plainte pour violation de propriété.  Toutefois, il est jugé qu’eu « égard à la faible fréquence et à la courte durée de ces intrusions sur le terrain de football celles-ci ne sont pas de nature à révéler à elles-seules une carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police ». (CAA Paris,1 juin 2015 N° 14PA00205).  En définitive, l’obligation pour le maire de faire appliquer ses arrêtés de police est appréciée à l’aune de l’amplitude des nuisances.  Le fait de ne pas avoir prévu des rondes de police pour empêcher des troubles nocturnes ne suffit pas à engager la responsabilité de la commune si ceux-ci sont de faible ampleur. L’essentiel est que la mesure de police, si elle ne met pas fin aux nuisances, les réduisent de manière assez significative pour que les troubles qui subsistent n’excèdent pas ceux que tout riverain d’une installation sportive doit supporter (comme  des volumes sonores même supérieures aux valeurs légales maxima et l’absence de nuisances lumineuses avérées (CAA Paris, 25 mai 2010,  n° 08PA04201).

6-C’est le cas en l’espèce des mesures correctives qui ont été prises qu’il s’agisse d’aménagements matériels comme l’installation d’un pare ballon où réglementaires comme l’édiction d’un arrêté municipal. La responsabilité de la commune ne peut alors être engagée qu’à la condition de rapporter la preuve « de nuisances particulières » selon l’expression des juges. Il ne suffit donc pas de soutenir, comme le faisait l’appelant, que les intrusions au-delà des heures d’ouverture fixées par l’arrêté n’ont pas été rendues impossibles. Il est nécessaire d’établir la preuve matérielle de leur existence et qu’elles excèdent les sujétions propres au fonctionnement d’un équipement sportif.

7-Enfin, la responsabilité pour faute requière l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Le manquement du maire à une obligation réglementaire ne peut être retenu s’il ne relève pas de ses missions de police. Ainsi, le défaut de déclaration du terrain en infraction aux obligations réglementaires des propriétaires d’équipements sportifs (art. R 312-3 C.sport) est sans lien avec les attributions de la police municipale qui ont pour unique objet d’assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité publique.

8-Impuissant à rapporter la preuve d’une carence du maire dans l’exercice de ses missions de police, l’appelant pouvait encore espérer obtenir réparation sur le terrain des dommages causés par un ouvrage public dès lors qu’ayant la qualité de tiers, il bénéficiait d’un régime de responsabilité sans faute.

Responsabilité sans faute

9-Il est logique que les personnes victimes de dommages causés par des ouvrages publics alors qu’elles ne profitent pas de l’ouvrage soient mieux protégées que les usagers qui en tirent avantage. Aussi, même si elle n’a pas commis de faute, la collectivité publique peut avoir à indemniser les victimes des dommages occasionnés par l’ouvrage ou par son fonctionnement. Libéré de la charge de la preuve d’une faute, la victime n’en a pas moins  à démontrer selon la formule consacrée « la réalité de son préjudice (…) l’existence d’un lien de causalité direct entre l’ouvrage et les dommages, lesquels doivent présenter un caractère anormal et spécial ».

10- On passera rapidement sur le lien de causalité qui ne suscitait pas de difficulté en l’espèce puisque les préjudices allégués – incursions sur la propriété des appelants,  dégradation d’un portail, traces de ballons sur les murs – provenaient bien du  fonctionnement de l’ouvrage. De même, il n’y a pas lieu de s’attarder sur l’exigence de spécialité du préjudice qui apparaissait bien propre à l’appelant comme l’attestent les nuisances qui viennent d’être citées.

11-La vraie question était de savoir si le dommage alléguée avait bien le caractère d’anormalité que requière une jurisprudence constante.  Celui-ci suppose d’abord l’antériorité de la propriété par rapport à l’équipement incriminé. Le riverain ne peut se plaindre des nuisances qu’il crée  s’il en connaissait l’existence. Toutefois, les tribunaux admettent, dans le cas où le projet de construction existait au moment de l’acquisition de sa propriété, que le propriétaire peut néanmoins prétendre à indemnisation s’il démontre qu’il pouvait légitimement ignorer la nature et l’importance des nuisances qu’il allait générer (CAA Nancy, 20 octobre 1994, n° 93NC00545).

12-De même, si  le terrain sur lequel a été édifié la résidence a été acheté postérieurement à l’acquisition par la commune d’un terrain mitoyen affecté à une installation sportive, son propriétaire peut néanmoins être indemnisé si la commune n’a pris aucune mesure pour combattre les nuisances et si celles-ci ont été aggravées ultérieurement (par exemple par l’implantation de nouvelles cages de but à proximité immédiate de la propriété. CE 22 mars 1991,n° 71176).  

13-Dans la présente espèce l’instruction révèle que les appelants ont acquis leur  propriété deux mois avant l’ouverture du terrain de jeu multisports, de sorte qu’ils ne pouvaient en ignorer l’existence  d’autant qu’il  faisait partie intégrante d’un complexe sportif préexistant à son installation et composé d’un stade municipal, de deux terrains de tennis, d’un mur d’entraînement pour le tennis, d’un panier de basket ainsi que d’une salle de sport installés à proximité immédiate de leur propriété et ce depuis de nombreuses années.

14-Par ailleurs, l’extension du complexe n’a pas révélé de dégradations sensibles des conditions d’habitation de l’appelant (comme peuvent l’être pour des riverains d’un terrain de football le remplacement d’une ancienne tribune de taille plus réduite  par un ouvrage qui, eu égard à sa conception et à son importance, a apporté des  modifications aux vues depuis leur propriété et d’ensoleillement suffisantes pour en aggraver les conditions d’habitation CAA Lyon,21 avril 2011, n° 10LY01768).  Ce serait également le cas si les mesures correctives se sont révélées insuffisantes ou inefficaces comme l’installation d’un dispositif anti-bruits rapidement mis hors d’usage (CAA Nancy,16 octobre 2006, n° 05NC00473).  Ici, en revanche, elles ont permis de limiter le jet de ballons et les incursions qui s’en suivaient de même que les nuisances sonores nocturnes.

15-On relèvera encore que l’anormalité du dommage doit modifier sensiblement les conditions d’habitation du requérant (CE 2 juin 1967, n° 71033). En pratique, cette dégradation va se traduire matériellement par le caractère continu des nuisances   comme des transformateurs fonctionnant en permanence (C.A.A. Lyon, 19 mars 1992, n° 91LY00487) ; des  manifestations nocturnes régulières (C.A.A. de Bordeaux, 19 mai 1994 n° 92BX00648) ; « des périodes d’utilisation simultanée et continue (…) provoquant des bruits et des nuisances permanents ou quasi-permanents » (CE 16 décembre 2013, n° 355077  ) ; un « bruit ambiant, en période diurne, jusqu’à trois fois supérieur aux valeurs maximales définies par les articles R. 1334-30 et suivants du code de la santé publique » (CAA Paris 1erjuin 2015, n° 14PA00205, 14PA00239).

16-Or l’appelant ne fait état ici ni de troubles continus ni de nuisances sonores excessives. Depuis l’arrêt de section Commune de Vic-Fezensac (CE, sect., 24 juill. 1931, Lebon 860, D. 1931. 3. 51, note P.-L. J.), les juridictions administratives considèrent que l’anormalité du préjudice n’est pas établie lorsque les désagréments n’excèdent pas les sujétions susceptibles d’être, sans indemnité, normalement imposées dans l’intérêt général aux riverains des ouvrages publics (comme peuvent l’être les cris de certains joueurs et les instructions données par un professeur de tennis à son élève – CAA Marseille, 17 juillet 2012, n° 10MA01500).  En l’espèce, il n’est pas avéré que les jets fréquents de ballons dans le jardin des requérants aient perduré et si des troubles sonores persistent ils font partie de ceux habituels que doivent supporter les riverains d’une installation sportive eu égard à la fréquence et au caractère intermittent de cette utilisation (CAA Lyon, 9 avril 2015, n°13LY02387).

17- Si les contours de l’anormalité sont clairement définis par les tribunaux la ligne de partage entre nuisances excessives et sujétions imposées dans l’intérêt général est propre à chaque cas d’espèce et laissée à l’appréciation des juges. On peut toutefois estimer qu’à partir du moment où des mesures correctives ont été mises en œuvre pour réduire les troubles et qu’elles sont jugées suffisantes,  les nuisances qui subsistent font partie des désagréments inévitables propres à la vie en société qui ne justifient pas l’allocation d’indemnités. La présente décision en est une parfaite illustration.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus :

Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CAA NANTES 22 DEC 2017 OUVRAGE PUBLIC



© 2024 Institut ISBL |  Tous droits réservés   |   Mentions légales   |   Politique de confidentialité

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?