L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes le 27 avril 2018 a trait au pouvoir de contrôle qu’exerce le juge administratif sur les mesures prises par l’administration. Si ce pouvoir est étendu lorsque l’administration prend une mesure de police dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, en revanche, ce contrôle est minimum lorsque l’administration est en compétence liée, comme c’était le cas en l’occurrence, où le préfet a fait injonction à un éducateur sportif de cesser son activité après une condamnation pénale pour crime.
1-Un professeur de tennis reconnu coupable de viol commis en réunion et condamné à une peine d’emprisonnement s’est vu notifier par le préfet en novembre 2015, soit dix ans après sa condamnation, de cesser d’exercer son activité professionnelle. Son recours gracieux contre cette décision étant resté sans réponse, il demande à la fois l’annulation de la mesure et du rejet du recours gracieux. Sa requête est rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif. Il soutient dans l’appel formé contre cette ordonnance que le préfet n’était pas en situation de compétence liée, que cette mesure signée par une autorité incompétente est entachée d’erreur d’appréciation et que son inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) a été effacée.
2-Les éducateurs sportifs sont astreints à une obligation d’honorabilité. L’article L 212-9 édicte une interdiction d’exercice contre tout éducateur sportif rémunéré ou bénévole ayant été condamné pour crime, comme c’est le cas d’une condamnation pour viol, ou pour certains délits dont ce texte dresse la liste. Cette interdiction qui résulte automatiquement d’une condamnation pénale et non d’une mesure de police a pour objet d’écarter les personnes en charge de missions d’encadrement afin de mettre les pratiquants à l’abri d’un risque de récidive.
3-Il s’agit d’une peine accessoire car elle est attachée automatiquement à la peine principale d’amende ou d’emprisonnement et suit celle-ci même si le juge ne l’a pas prononcée. Peine à ne pas confondre avec la peine complémentaire d’interdiction d’exercice définie à l’article 131-27 CP qui peut être prononcée par le juge pénal en sus de la peine principale d’amende et ou d’emprisonnement dans les cas prévus par la loi et notamment dans ceux de viol et d’agressions sexuelles (Art 222-44 CP).
4- L’interdiction d’exercice de l’article L 212-9 n’ayant pas été prononcée, le condamné n’en a pas nécessairement connaissance. Voilà pourquoi les circulaires ou instructions ministérielles prescrivent à l’administration de la notifier à l’intéressé lorsqu’elle en prend elle-même connaissance, soit par signalement du Fichier Judiciaire Automatisé des Auteurs d’Infractions Sexuelles ou Violentes (FIJAISV) soit en consultant le B2 du casier judiciaire qui précède la délivrance d’une carte professionnelle[1]. C’est précisément ce qu’avait fait le préfet d’Indre et Loire en enjoignant au requérant de cesser son activité de professeur de tennis. On peut supposer, comme l’y invitent les instructions ministérielles, que l’intéressé ait été averti qu’en cas de non-respect des dispositions de l’article L 212-9 il encourrait une peine d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende en application de l’article L 212-10.
5-En mettant en demeure le requérant de cesser son activité, le préfet se trouvait en situation de compétence liée. Il faut entendre par là toute situation où l’administration non seulement n’a pas la liberté de choisir la décision mais également n’a pas à porter une appréciation sur les faits de l’espèce. En l’occurrence, le préfet d’Indre et Loire n’avait pas d’autre alternative que de sommer le requérant de cesser son activité, l’article L 212-9 ne lui laissant aucune marge d’appréciation. Dès lors, tous les moyens susceptibles d’être soulevés par celui-ci devant le juge administratif, comme la violation du principe du contradictoire ou l’insuffisante motivation de la décision, allaient s’avérer inopérants, comme en a décidé le Conseil d’Etat[2] et comme le rappelle la cour administrative d’appel, dès lors que l’administration n’a aucune possibilité de choix dans la prise de décision.
6- En revanche, comme l’indique le jugement, le moyen tiré de l’erreur d’appréciation aurait pu être examiné par le juge administratif dans le cas d’une interdiction administrative que le préfet peut prendre sur le fondement de l’article L 212-13 alinéa 2. Dans ce cas, en effet, la mesure et sa durée sont laissées à son appréciation. Ce pouvoir discrétionnaire est cependant limité puisque la loi subordonne son exercice à une condition de fait, en l’occurrence, le danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants que constitue le maintien en activité l’éducateur sportif. Ainsi, le juge administratif vérifie-il la matérialité des faits (par exemple est-il exact que l’éducateur ait tenu des propos grossiers et ait eu des attitudes impudiques avec les pratiquantes ?), l’appréciation que le préfet a porté sur leur qualification juridique (ce comportement met-il en danger leur santé et leur sécurité physique ou morale ?) et la durée de la mesure (l’interdiction doit-elle être provisoire ou définitive ?).
7-Une mesure d’interdiction administrative peut être prononcée sans limitation de durée. En revanche les peines accessoires ne sont jamais définitives. L’incapacité pénale est susceptible d’être relevée en application de l’article 132-21 CP. Le relèvement peut d’abord être prononcé dans le jugement de condamnation (art 775-1CPP). Dans ce cas, le tribunal exclut expressément la mention du jugement au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Le relèvement peut aussi être prononcé à la demande de l’intéressé par un jugement ultérieur dans les conditions prévues par les articles 702-1 et suivants du code de procédure pénale. Il entraine le retrait de la condamnation du bulletin judiciaire (l’article 775-1 alinéa 2).
8-Toutefois l’alinéa 3 de l’article 775-1 précise que le relèvement n’est pas applicable aux personnes condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 CPP parmi lesquelles figurent le crime de viol, infraction qui fait l’objet de la présente condamnation pénale prononcée contre le professeur de tennis. Par voie de conséquence, celui-ci aurait bien été incapable de produire une pièce attestant de l’exclusion de sa condamnation du casier judiciaire.
9-Parmi les causes d’effacement, il faut encore citer l’article 775 alinéa 4 CPP selon lequel ne sont plus mentionnées au bulletin n° 2 les condamnations assorties du bénéfice du sursis lorsqu’elles doivent être considérées comme non avenues, c’est-à-dire si le condamné n’a pas fait l’objet d’une nouvelle condamnation pour crime ou délit une fois expiré le délai de 5 ans courant à compter du jour où la condamnation devient définitive, y compris si le sursis n’a été accordé que pour une partie de la peine (132-39 CP) comme c’était le cas en l’espèce. En admettant que le professeur de tennis n’ait pas fait appel de sa condamnation et n’ait pas été à nouveau condamné, celle-ci devenait non avenue à l’expiration du délai de 5 ans et donc retirée du Bulletin n°2. Dans ce cas, le préfet n’aurait pas été fondé à prononcer une telle injonction sauf, comme le précise le n° 4 de l’article 775 CPP, si la condamnation a été assortie d’un suivi socio-judiciaire (art. 131-36-1CP) ou d’une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs (Art. 222-45, 225-20,227-29 CP).
10- Précisons enfin que dans les cas de condamnation à une peine d’emprisonnement ferme, le condamné peut bénéficier de la réhabilitation lorsque la peine accessoire continue à peser sur lui alors même qu’il a purgé la peine principale. La réhabilitation efface la condamnation et fait cesser toutes les incapacités et déchéances qui en résultent sauf lorsque la personne a été condamnée au suivi socio-judiciaire ou à la peine d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs. Dans ce cas, elle ne produit ces effets qu’à la fin de la mesure (133-16 CP)[3].
11-La réhabilitation est acquise de plein droit lorsque la peine prononcée a été exécutée (ou remise par voie de grâce) et que le condamné n’a subi aucune condamnation nouvelle à une peine criminelle ou correctionnelle à l’expiration d’un délai de 10 ans à compter de l’exécution de sa peine en cas de condamnation à un emprisonnement inférieur à 5 ans en application de l’article 133-13 CP[4]. Il bénéficie d’un délai plus court (cinq ans pour les condamnations à une peine criminelle) par la voie de la réhabilitation judiciaire s’il a donné des preuves tangibles et durables de son amendement (art. 786 CPP)[5].
12-Pour éviter les effets de l’effacement de la condamnation, l’administration peut toujours « doubler » l’incapacité d’une mesure d’interdiction définitive d’exercer sur le fondement de l’article L 212-13 alinéa 2 lorsqu’elle juge que les faits sont suffisamment graves et que le risque de réitération est sérieux. Dans ce cas, la mesure d’interdiction administrative doit être motivée par les faits qui ont conduit à la condamnation et non par la condamnation elle-même, au risque d’illégalité de la mesure et son annulation par le juge administratif [6].
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
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Notes:
[1] Instruction n°06-132 JS Consultation du casier judiciaire (bulletin n° 2) et mise en œuvre des dispositions des articles L. 212-9 et L. 322-1 du code du sport. Circulaire interministérielle n° DJEPVA/DJEPVAA3/DS/DSMJ/ 2011/326 du 5 août 2011.
[2]CE, 3 févr. 1999, n°149722 152848.
[3]Où à l’issue d’un délai de quarante ans lorsqu’a été prononcée, comme peine complémentaire, une interdiction, incapacité ou déchéance à titre définitif.
[4]En sachantque le délai de 10 ans commence à courir à compter de la date à laquelle la condamnation est réputée non avenue, ce qui signifie que le condamné n’a subi aucune condamnation (art. 133-13 dernier alinéa).
[5]Si la peine d’emprisonnement de 5 ans à laquelle a été condamné le professeur de tennis avait été ferme, la réhabilitation de plein droit serait intervenue en septembre 2020 (ou au plus tôt à partir d’octobre 2015 dans le cas de réhabilitation judiciaire).
[6]Comme cela a été jugé dans une espèce où le préfet avait pris une mesure d’interdiction permanente contre un directeur de centre de vacances uniquement fondée sur une condamnation pénale effacée par la voie de la réhabilitation (TA Grenoble 28 février 2001 n° 983476).