Il est des informations qui se percutent, en tout temps et en tout domaine.

Ainsi, la fin de l’année 2024 a vu, dans un même temps, la présentation du Rapport Annuel sur l’État de la France (RAEF) par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) dans lequel le rôle essentiel des associations était souligné et une déclaration de la présidente du conseil régional des Pays de Loire, Christelle Morançais, où elle disait ce qu’elle pense de l’utilité des associations.

Rapprochement étonnant entre ce que peut conclure la troisième assemblée constitutionnelle de la République et une femme politique sans doute plus en phase avec sa doctrine qu’avec ce qu’elle peut constater de l’utilité des associations.

 

Une élue loin des réalités de son territoire …

On mesure la dichotomie qui existe entre ceux, représentants des corps intermédiaires, qui se confrontent, au quotidien, aux besoins des populations, qui sont à l’écoute des territoires, qui tentent de combler les brèches d’une économie excluante et celle qui est décrite dans la presse comme une « cost-killeuse », « présidente à la main de fer », ou « en croisade contre la dépense publique », et qui décide de supprimer le soutien à la culture, au sport, au tissu associatif, à la santé, à l’insertion… : 100 millions d’euros de coupes sont prévus d’ici 2028.

Que dire d’un tel comportement qui ne fera que creuser encore et toujours les inégalités au nom de la sacrosainte économie libérale et conservatrice défendue par cette élue et pour qui, selon le journal Le Monde, les deux seules valeurs cardinales sont « le travail » et le montant trop élevé des impôts payés par les français.

Lors de ses vœux 2024 (oui, 2024 !) elle soulignait l’importance de Pôle Emploi[1]aujourd’hui France Travail,  avec qui elle travaillait étroitement pour mettre les gens au travail. C’est bien, mais c’est méconnaître la réalité de ces « gens » qui, pour certains, vivent dans des conditions précaires qui ne permettent pas d’avoir les moyens humains, physiques, financiers d’aller vers l’emploi, sans parler de l’absence de formation. En 2025, elle considère les « associations comme très politisées », « shootée à l’argent public ». Indéniablement, elle ne sait pas à quoi servent les associations et n’a de prisme que celui d’une économie libérale écrasante.

Que de fois, pour ne parler de la question de l’emploi qui semble si cher à son cœur, nous entendons : « il y a des postes à pourvoir et des chômeurs ; ils n’ont qu’à prendre les postes qui existent ! » en ignorant tout de la situation de ces personnes, et particulièrement les jeunes, qui ne demandent le plus souvent qu’à travailler mais qui sont éloignés de tout, qui n’ont pas les moyens de leur mobilité (pas de transport en commun, pas de véhicule), qui ne sont pas adaptés aux postes proposés ou qui manquent de formation, le calcul : « j’ai 100 postes- j’ai 100 chômeurs, je les rapproche » et le tour est joué est d’une stupidité sans nom !

Et c’est là, entre autres secteurs, que les associations jouent pleinement leur rôle en permettant l’adaptation aux postes, en connaissant le tissu local, en travaillant étroitement avec les collectivités et les entreprises, mais surtout en établissant un lien avec ces demandeurs d’emploi pour les accompagner vers l’emploi et le travail.

Alors, entendre une présidente de conseil régional dire que les Missions Locales ne servent à rien et qu’il y a doublon avec la composante de France Travail qu’est Pôle Emploi, et donc décider d’en supprimer le financement, c’est méconnaître totalement ce qu’est la situation de notre pays, de notre jeunesse, de n’en voir que les jeunes dotés à qui papa et maman achètent une voiture sans permis pour aller au lycée, c’est vivre dans une sphère idéologique et financière qui n’a rien à voir avec l’errance d’une partie de notre jeunesse.

 

… Et des acteurs associatifs dans l’incompréhension de ses positions

Je ne parle pas des autres secteur touchés par cette coupe sombre, secteurs tout aussi importants pour la vie (voire la survie) d’une partie des populations de nos territoires.

La CRESS Pays de Loire a d’ailleurs rappelé fort justement à cette président, dans une lettre demandant un rendez-vous, ce que représentent les entreprises de l’ESS dans cette région et dans les départements de celle-ci : « Aujourd’hui, l’ESS représente près de 162 000 salarié·es et plus de 15 000 établissements employeurs dans notre région, faisant des Pays de la Loire la deuxième région française en termes d’emplois ESS dans l’emploi total (15,7 % de l’emploi privé). Dans notre région, 79 % des communes comptent au moins un établissement employeur de l’ESS contre 51 % au niveau national.

Ces établissements, ce sont des crèches, des tiers-lieux, des EHPAD, des clubs de sports, des écoles de musique ou de danse, des recycleries, des lieux d’accueil pour personnes en situation de handicap, des centres de santé, des magasins de producteurs, des centres de loisirs, des structures d’insertion par l’activité économique, des entreprises du bâtiment… Ce sont autant de services dont les habitants et habitantes ont besoin au quotidien.

Les entreprises de l’ESS innovent, déploient des solutions, créent, protègent, soignent, nourrissent, accompagnent… Elles interviennent sur l’ensemble des secteurs économiques : le tertiaire, mais aussi le commerce, l’agriculture et l’industrie. Elles forment des salarié·es pour les entreprises ligériennes dans de nombreux secteurs en tension : gestion des déchets, métiers de la propreté et des espaces verts, hôtellerie/restauration, agro-alimentaire… Elles sont sous-traitantes de nos fleurons industriels, prestataires des collectivités locales ou encore partenaires des éco-organismes. L’ESS garantit donc un développement économique responsable et solidaire de la région. ».

Il s’agit, plus que jamais, en ces moments de perte de repère humaniste, de savoir nous regrouper pour défendre les positions de ce que nous faisons en tant qu’acteurs de l’ESS pour le bien commun, pour l’intérêt général et l’utilité sociale et sans doute faut-il rappeler à de tels élus que c’est parce que des réponses comme celles qu’élaborent les associations existent, que le climat social peut se maintenir.

Négliger, voire rejeter, les corps intermédiaires est mortifère pour le « vivre ensemble ».

 

La force des corps intermédiaires rappelée dans le RAEF

Le CESE rappelle d’ailleurs dans son « rapport annuel sur l’État de la France », le rôle central que les associations jouent, que ce soit grâce à l’engagement citoyen en leur sein (35% des français engagés dans des associations) ou par la construction de réponses adaptées.

Les associations sont un espace d’apprentissage de la démocratie, de la découverte de l’autre et de la place que l’on peut occuper dans un monde en mutation. Une association permet de participer activement à son espace de vie, à la fois pour son épanouissement, mais aussi dans la prise de conscience que nous pouvons nous apporter mutuellement. Chacun est acteur de la vie collective tout en développant ses propres compétences. On y développe des valeurs de partage, de solidarité, de respect et on y contribue au développement économique, social et environnemental. La place des citoyens doit être réaffirmée et consolidée, au risque d’une expression violente de ceux qui ne se sentiraient pas entendus.

C’est d’ailleurs ce que rappelle, fort à propos, le RAEF dans sa conclusion : « … La construction de nos politiques publiques doit intégrer ce travail de proximité. Cela nécessite de travailler davantage et beaucoup plus finement avec les corps intermédiaires, les citoyennes et les citoyens, pour mieux appréhender les difficultés rencontrées mais aussi associer ces derniers à la construction des réponses qui sont mises en place pour répondre à ces préoccupations.

La crise sanitaire de 2020 et la crise inflationniste de 2022-2023 ont eu des impacts socio-économiques considérables.

En 2024, la situation économique et financière de la France, qui n’apparaissait pas dans le Top 5 de l’enquête l’an dernier, occupe le 3ème rang des préoccupations cette année.

Le sentiment d’exclusion qui résulte des difficultés de la vie quotidienne se double d’un sentiment d’invisibilisation qui renforce la défiance vis-à-vis des institutions ainsi que la tentation d’un vote d’extrême-droite. Contre cela, le CESE rappelle la propension extraordinaire des Français et des Françaises à s’engager au quotidien : la vitalité associative et syndicale dans tous les territoires en témoigne. Cette société engagée constitue une force considérable sur laquelle s’appuyer pour lutter contre les inégalités qui ont des conséquences préoccupantes sur notre bon fonctionnement démocratique. »

Thierry Beaudet, président CESE, dans son discours de vœux du mardi 14 janvier rappelle fort à propos l’importance des corps intermédiaires et ce qu’ils apportent aux citoyens et à la République : « L’histoire de la République est donc bien celle de l’avènement des corps intermédiaires, où l’État et le citoyen se rejoignent. Ils sont des stabilisateurs sociaux et démocratiques, dont nous avons plus que jamais besoin. Ils ne représentent ni le peuple, ni la société, mais le cœur battant de la démocratie, ce qui fait société. Et plus encore, ce qui fait l’émancipation, émancipation de l’individu isolé et livré à lui-même, émancipation face au pouvoir de l’État.

L’existence d’une société civile distincte de l’État est bien un fondement des démocraties libérales, cette société civile qui, pour beaucoup de nos concitoyens, est le creuset de l’engagement au sein de la République, au service d’une démocratie qualitative, moins claire et tranchée, mais plus enracinée que la seule démocratie par le nombre. C’est cette société civile que les régimes autoritaires ou illibéraux n’ont de cesse de vouloir supprimer ou étouffer. »

Qu’il serait bon que certains élus cogitent et tiennent compte de tels propos. Peut-être faut-il le leur faire comprendre.

 

Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

 

En savoir plus :

Cette article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (janvier 2025)

Rapport Annuel sur l’État de la France (RAEF) par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE)

Lettre ouverte à la présidente de la région Pays de la Loire – 4 décembre 2024

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1 aujourd’hui France Travail





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