Le défibrillateur, qui permet d’augmenter les chances de survie des patients ayant subi un arrêt cardiaque au moyen d’un choc électrique, inquiète aujourd’hui plus qu’il ne rassure, si on en juge par la question posée par un parlementaire qui évoque les questions de responsabilité que posent cet appareil pour un maire et la personne appelée à l’utiliser ! Il faut y voir tout aussi bien l’illustration du phénomène de judiciarisation de nos sociétés, que l’incidence du fameux principe de précaution qui conduit tout décideur public, comme un maire, ou privé comme un président de club sportif, à s’interroger sur son éventuelle responsabilité au cas où il n’accomplirait pas toutes les diligences nécessaires à la sécurité des personnes. En l’occurrence, pourrait-on reprocher à un dirigeant sportif de n’avoir pas équipé d’un défibrillateur ses locaux et les équipements sportifs qu’il a en gestion ou d’avoir négligé de l’entretenir ? En l’absence de jurisprudence publiée sur le sujet, on en est réduit à imaginer quelle pourrait être la position du juge à la lumière des décisions habituellement rendues à l’endroit des dirigeants sportifs et de leurs clubs. L’examen de leur responsabilité civile et pénale respective sera traité séparément, comme il est de coutume en droit de la responsabilité.
1-La responsabilité civile
Il faut rappeler que les groupements sportifs ont une obligation de sécurité à leur charge qui n’est en principe qu’une obligation de moyen. L’association ne prend pas l’engagement, comme le ferait un transporteur, de mettre ses membres à l’abri de tout accident corporel, mais seulement de prendre les mesures nécessaires pour l’éviter. La seule survenance du dommage ne suffit donc pas à engager sa responsabilité. Il faut établir qu’elle a commis une faute dont la charge de la preuve incombe à la personne accidentée. Cependant, la volonté de protection des victimes d’accidents sportifs a incité les tribunaux à faciliter l’administration de cette preuve. Ils y sont parvenus par l’expansion du périmètre de l’obligation de sécurité et l’abaissement du seuil de la faute. Une faute simple de négligence peut suffire pour engager la responsabilité d’un club sportif même si aucune loi ou règlement n’a été enfreint. C’est précisément le cas des défibrillateurs dont aucun texte ni législatif ni réglementaire ne fait obligation aux établissements où se pratiquent des activités physiques et sportives de se procurer (Instruction ministérielle n° 09-033 du 26 février 2009). Dans ce contexte d’obligation de sécurité renforcée, il y a de bonnes raisons de penser que le juge retiendrait la faute du groupement sportif qui aurait omis de s’équiper d’un matériel de secours particulièrement recommandé pour des activités susceptibles d’efforts violents, comme les pratiques sportives. Pareille faute pourrait également être relevée si l’appareil n’était pas normalement entretenu. Pour autant, le dirigeant sportif n’a pas lieu de s’alarmer d’une mise en jeu de sa responsabilité civile au cas où un membre de son club ou un tiers serait victime d’un dommage qui aurait pu être évité par l’emploi d’un défibrillateur. Il faut, en effet, rappeler qu’elle ne peut être recherchée que pour faute lourde de gestion ou abus de fonction. C’est donc le groupement qui répond normalement des fautes commises par ses dirigeants et préposés. Sa solvabilité ne devrait pas faire de doute puisque ceux-ci doivent avoir obligatoirement souscrit des garanties d’assurance le couvrant des conséquences de sa responsabilité civile, de sorte qu’au final c’est l’assureur en responsabilité qui prendra en charge la dette de réparation.
2-Le risque pénal
Par le passé, la question de l’éventualité du risque pénal ne se serait posée que pour les dirigeants ou leurs représentants. Aujourd’hui il faut également envisager la responsabilité du groupement introduite depuis 1994 dans la législation pénale.
a-Responsabilité du dirigeant ou de son représentant
Un dirigeant a de bonnes raisons de s’interroger sur sa responsabilité pénale. Alors qu’il n’est pas responsable civilement -sauf faute lourde de gestion ou abus de fonction- il est pleinement responsable des infractions dont il est l’auteur dans l’exercice de son mandat. Par ailleurs, une assurance en responsabilité ne peut, en aucun cas, le couvrir d’une condamnation à une amende pénale. Enfin, en sa qualité de décideur, c’est lui qui répond normalement de toute infraction en lien avec l’hygiène et la sécurité dont il est le premier redevable. Cette responsabilité peut cependant être reportée sur toute personne à qui il aura délégué son pouvoir en cette matière. Dans ce cas, c’est le délégataire qui devra répondre de tout manquement à la sécurité, la délégation de pouvoir opérant alors transfert de responsabilité.
Le risque pénal pour le dirigeant ou son représentant n’est pas à exclure s’il a omis de s’équiper d’un défibrillateur (ou de l’entretenir). Il ne doit pas, cependant, être surestimé.
Absence de défibrillateur. Le risque de poursuites pour mise en danger d’autrui apparaît négligeable. Cette infraction ne peut être consommée que par la violation d’une loi ou d’un règlement édictant une obligation particulière de sécurité (art. L 223-1 C. pén.). A l’heure actuelle, comme il a déjà été dit, aucun texte législatif ni réglementaire n’exige la présence d’un défibrillateur dans les établissements dans lesquels sont pratiqués des activités physiques et sportives. L’absence de réglementation imposant l’installation de ce matériel en écarte donc d’emblée l’application. Il faut, toutefois envisager l’hypothèse d’une manifestation sur la voie publique soumise à autorisation préfectorale pour laquelle l’arrêté autorisant l’épreuve aurait prescrit à l’organisateur de se munir d’un défibrillateur. Dans ce cas, l’infraction ne serait consommée que si cet appareil a fait défaut par la volonté délibérée du prévenu et pas simplement par sa négligence. Par ailleurs, il n’est pas certain que la condition d’exposition d’autrui à un risque direct de mort ou d’infirmité soit remplie. En effet, pour qu’une personne soit exposée à un tel danger, il faut qu’elle fasse un arrêt cardiaque. Le risque n’est donc pas direct puisque cet incident est le préalable nécessaire à l’utilisation du défibrillateur.
Dans le cas où le sportif décède, ou est victime d’une d’infirmité sans avoir pu bénéficier de l’utilisation d’un défibrillateur qui aurait pu lui sauver la vie, on entre alors dans les prévisions d’un homicide (art. 221 -6 C. pén) ou de blessures involontaires (art. 222-19 et suiv. C pén) Il faut rappeler ici que la loi du 10 juillet 2000 est venue limiter les mises en cause des décideurs publics et privés, à qui il est habituellement reproché de ne pas avoir pris les mesures empêchant le dommage, en subordonnant leur responsabilité à une faute grave. Ce relèvement du seuil de la faute a eu pour conséquence d’éliminer la faute simple, « la poussière de faute » qui ne peut plus, désormais, être retenue à charge du prévenu. La faute doit donc être délibérée ou caractérisée comme le prévoit l’article 121-3 du code pénal. La faute délibérée, qui se commet par la violation volontaire de la loi ou du réglement, a fort peu de chance d’être relevée par les juges pour des raisons semblables à celles exposées pour la mise en danger d’autrui. En revanche, la commission d’une faute caractérisée apparaît plus problable à condition d’établir que l’imprudence ou la négligence du prévenu présente une certaine intensité, ce qui implique qu’ayant eu personnellement connaissance d’un risque imminent et d’une « particulière gravité » pour autrui, il n’a pris aucune mesure pour le faire cesser. L’hypothèse d’un arrêt cardiaque lors d’une activité sportive est limité chez les sportifs aguerris, bien entraînés, même s’il ne faut pas sous-estimer le risque de mort subite qui n’épargne pas les compétiteurs de haut niveau. En revanche, le risque est réel pour des pratiquants ayant dépassé la quarantaine et reprenant une activité sportive. Un dirigeant sportif organisateur d’une épreuve sportive s’adressant au grand public, comme une course pédestre, peut difficilement l’ignorer, surtout s’il a été incité à s’équiper d’un défibrillateur par des recommandations fédérales ou par les services de l’Etat.
La faute s’apprécie également au regard des pouvoir et moyens dont disposait le prévenu. Là encore, les circonstances de l’espèce vont être déterminantes. Si on admet qu’un défibrillateur est commercialisé aux environs de 1500 euros auxquels il faut ajouter les coûts liés à la formation et à la maintenance périodique, le dirigeant d’un petit club aux ressources modestes pourra faire valoir qu’il n’avait pas les moyens de s’équiper (sauf s’il est établi qu’une subvention lui aurait permis d’en faire l’acquisition). En revanche, ce moyen de défense n’aura guère de chances d’aboutir pour un club employant des personnels (administratifs et techniques) et des sportifs. De surcroît, la qualité d’employeur de son dirigeant l’assujettit aux prescriptions du Code du travail qui lui font obligation d’être équipé d’un « matériel de premiers secours adapté à la nature des risques et facilement accessible » (R4224-14 C. travail). Sans doute est-il libre du choix du matériel, mais il ne serait pas surprenant que le défibrillateur soit considéré par le juge comme faisant partie de ceux dont il devra s’équiper d’autant qu’il a le pouvoir et les moyens de se le procurer et que, selon l’article L 322-2 du Code du sport, « Les établissements où sont pratiquées une ou des activités physiques ou sportives doivent présenter pour chaque type d’activité et d’établissement des garanties d’hygiène et de sécurité ». Au final, les circonstances de l’espèce vont jouer un rôle déterminant dans l’appréciation de la faute caractérisée de sorte qu’il est difficile de donner une réponse standard sur une question qui va dépendre du potentiel d’un club, du public qu’il accueille et du degré de dangerosité des activités qu’il organise.
A supposer qu’une négligence caractérisée ait été établie, il restera encore à constater qu’elle a bien été la cause génératrice du dommage. C’est la question du lien de causalité dont il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’une condition impérative à la commission de l’infraction. Il appartiendra donc aux experts de dire si l’utilisation du défibrillateur aurait permis de manière certaine de réanimer la victime. Le doute sur l’existence du lien de causalité suffira pour que le juge prononce la relaxe. Toutefois, il ne faut pas exclure qu’il contourne la difficulté par le jeu d’une présomption de causalité. Ce pourra être le cas s’il s’agissait d’un sujet à risque. Il lui suffira alors de relever que l’absence de l’appareil a fait perdre une chance de survie à la victime.
Défibrillateur défectueux. La défectuosité du matériel élargit le cercle des prévenus, susceptibles d’avoir à répondre de leur responsabilité pénale, au fabricant et au distributeur. Celle du dirigeant ou de son représentant va dépendre des mesures qu’il aura (ou pas) prises pour assurer un contrôle régulier de l’appareil et de sa connaissance personnelle d’une éventuelle défectuosité de sa part. Si aucun contrat de maintenance n’a été prévu, il y a de toute évidence une faute de négligence. Est-elle caractérisée pour être retenue à la charge du dirigeant ? Là encore, les circonstances de l’espèce vont jouer un rôle décisif dans l’appréciation du degré de gravité de la faute. Si l’attention du dirigeant a été spécialement attirée par le fournisseur sur l’importance d’un contrôle régulier du défibrillateur ou s’il a été mis au courant d’une panne de l’appareil (par exemple par défaut de remplacement des piles usagées) et qu’il n’a rien fait pour y remédier, alors qu’il en a le pouvoir en sa qualité de dirigeant, il n’est pas exclu que le juge relève l’existence d’une faute caractérisée. S’il est employeur, il pourra lui être reproché d’avoir enfreint le Code du travail qui met à sa charge l’obligation d’entretenir et de vérifier périodiquement les installations et dispositifs techniques et de sécurité des lieux de travail et d’éliminer « le plus rapidement possible » toute défectuosité susceptible d’affecter la santé et la sécurité des travailleurs (R4224-17 C. travail). Il en ira de même s’il n’a pris aucune mesure pour former son personnel à l’utilisation de l’appareil, puisque la formation à la sécurité fait partie des obligations de l’employeur et doit notamment porter « sur la conduite à tenir en cas d’accident » (R4141-3 C. travail). Contrairement à une idée répandue, l’utilisation d’un défibrillateur ne permet pas à elle seule de réanimer une personne. Son utilisation fait en effet partie d’un enchaînement d’actions qu’il faut connaître, comme un massage cardiaque, depuis la découverte de la victime jusqu’à sa prise en charge par les services de secours. Dans ce contexte, il ne faut pas exclure que le juge pénal considère que l’absence d’entretien de l’appareil et de formation de ses utilisateurs constituent des fautes caractérisées.
b-Responsabilité du groupement
A l’exception de l’Etat, toutes les personnes morales -au rang desquelles figurent les associations- répondent des infractions commises par leurs organes ou représentants (art. 121-2 C pén.) La commission d’une infraction par les instances dirigeantes d’un club est la condition préalable à la mise en jeu de sa responsabilité. Toutefois, la loi du 10 juillet 2000, qui diminue la responsabilité pénale des dirigeants pour leur faute d’imprudence, n’est pas applicable à la personne morale. Son président ou représentant peut être relaxé et le groupement condamné dans le cas où la faute reprochée au premier ne serait ni délibérée ni caractérisée. Les poursuites contre le club ont donc plus de chance d’aboutir que celles exercées contre ses dirigeants puisqu’une faute simple de leur part sera suffisante pour engager sa responsabilité. Si on considère que tout groupement sportif qui en a les moyens budgétaires doit s’équiper d’un défibrillateur en raison du risque potentiel de toute activité sportive, il sera facile d’établir que l’absence de cet équipement ou son défaut d’entretien constitue une faute de négligence. La circulaire du Garde des Sceaux du 13 février 2006 incite d’ailleurs les magistrats du parquet à privilégier les poursuites contre la seule personne morale en cas d’infractions non intentionnelles comme un homicide involontaire.
c-Responsabilité de l’utilisateur
Depuis que le décret n° 2007-705 du 04 mai 2007, autorise toute personne à utiliser les défibrillateurs externes automatiques, il n’est plus question d’en tenir rigueur à une personne non médecin qui en aurait fait usage. Mais quand sera-t-il si elle ne l’a pas utilisé correctement ? Il faut dire d’emblée que sa seule intervention la met à l’abri de toute poursuite pour non assistance en péril. En se portant au secours de la victime, elle accomplit son devoir d’assistance selon l’article 223-6 du Code pénal. C’est bien plutôt dans le cas où elle s’abstiendrait délibérément d’utiliser l’appareil qu’elle pourrait être poursuivie. Encore faudra-t-il qu’elle en ait connu l’existence et l’emplacement et ait été informée de sa destination. La non assistance en péril est une infraction intentionnelle. Celui qui n’utiliserait pas l’appareil, parce qu’il en ignorerait l’existence ou le mode d’emploi, ne serait pas coupable de non assistance ! Il en va de même s’il n’a pas réussi à réanimer la victime, car le sauveteur n’est pas assujetti à une obligation de résultat. En revanche, ne peut-on pas lui reprocher d’avoir fait une utilisation incorrecte de l’appareil (humidité excessive, pluie, victime mouillée,difficultés d’ordre électrique liées à un environnement métallique) ou de n’avoir pas effectué tous les gestes permettant la réanimation ? En toute logique, le sauveteur n’est pas un auteur direct dont la responsabilité pourrait être recherchée pour une faute simple. Il n’est pas celui qui a provoqué l’arrêt cardiaque mais celui à qui on pourrait faire grief de ne pas avoir pris toutes les mesures permettant au cœur de reprendre son rythme normal. Auteur indirect du dommage, il n’est responsable que de ses fautes qualifiées. De toute évidence, aucune faute ne pourrait être retenue contre lui s’il n’a pas reçu de formation préalable. Il est également raisonnable de penser que, même s’il en a reçu une, sa maladresse (manipulation incorrecte de l’appareil ou absence de massage cardiaque externe) n’atteindrait pas le seuil de la faute caractérisée.
Au terme de cette étude, il faut conclure que la responsabilité civile et pénale du groupement pourrait être facilement engagée. En revanche, le risque d’une mise en jeu de la responsabilité de ses dirigeants et représentants demeure limité et quasiment nul pour les utilisateurs de l’appareil.
Jean Pierre Vial, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Jean-christophe BECKENSTEINER, « Défibrillateurs et responsabilité, ISBL consultant, octobre 2009 » : voir en ligne