Après l’interdiction de stade, l’interdiction de déplacement vient renforcer l’arsenal des mesures d’exclusion contre les fauteurs de trouble.

La loi du 6 décembre 1993(1) avait fixé les grandes lignes de la répression des violences dans les enceintes sportives et notamment institué une peine complémentaire d’interdiction de stade. Cette sanction emblématique, censée lutter contre la récidive et éloigner durablement des stades les supporters condamnés pour une des infractions du code du sport réprimant leurs débordements, n’a pas donné tous les résultats attendus. En effet, l’interdiction judiciaire demeure subordonnée à la commission d’une infraction et au renvoi de son auteur devant les juridictions répressives. Par ailleurs, s’agissant d’une peine complémentaire, elle n’est pas automatique et laissée à l’appréciation du juge. Le législateur a trouvé la parade avec l’interdiction administrative de stade qui permet aux préfets d’écarter les fauteurs de trouble sans attendre qu’une infraction ait été commise. Cependant, cette mesure dont la montée en puissance a été progressive(2), ne prévient pas les échauffourées entre supporters des deux camps au pourtour de l’enceinte et en marge de la manifestation. D’où l’idée de créer une peine d’interdiction de déplacement ayant vocation à empêcher certains supporters de se rendre sur les lieux du match. Elle a vu le jour dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 dite « Loppsi »(3).

(1) Loi n°93-1282 relative à la sécurité des manifestations sportives. JORF du 7 décembre 1993 page 16974

(2) 200 interdictions judiciaires et administratives en 2009 et 600 à la fin de la saison 2009/2010 (source : ministère de l’intérieur)

(3) L n° 2011-267. JO, 15 mars 2011 page 4582.

1 – Les dispositions relatives à la sécurité des manifestations sportive ne figuraient pas dans la première mouture du projet de loi.

Elles ont été ajoutées par amendements dans un contexte de recrudescence des violences entre supporters [1]. Il s’agit, pour une bonne partie d’entre elles, de simples retouches qui seraient passées inaperçues s’il n’y avait eu l’institution de la mesure d’interdiction de déplacement.

La loi améliore le texte sur l’obligation de pointage qui doit être mise en œuvre pour toute peine complémentaire d’interdiction de stade afin d’en garantir l’application [2].

Elle en étend le périmètre puisque le juge ou le préfet peuvent décider que cette mesure s’appliquera au moment de certaines manifestations sportives se déroulant sur le territoire d’un Etat étranger.

Elle rend également obligatoire la transmission aux fédérations sportives de l’identité des personnes interdites et l’étend aux associations et sociétés sportives [3].

Elle abaisse de 1.500 à 300 personnes le seuil à partir duquel une société sportive a l’obligation de faire surveiller l’accès à l’enceinte [4].

Enfin, elle vient réparer un oubli de la loi du 2 mars 2010 qui, en créant la suspension d’activité en complément de la dissolution d’une association de supporters, avait omis de sanctionner pénalement le fait d’organiser ou de participer aux activités qu’une association suspendue d’activité s’est vue interdire [5].

2 – Ces dispositions sont sans commune mesure avec le renforcement des mesures de police.

A cet égard, les articles 60 et 61 de la Loppsi confèrent d’importants pouvoirs au ministre de l’intérieur et aux préfets, en leur donnant la possibilité de restreindre la liberté d’aller et venir des fauteurs de trouble. Celle-ci était jusqu’ici limitée par les mesures d’interdiction d’accès à l’enceinte et à ses abords comme le prévoit l’article L 332-16 du code du sport.

Ces mesures sont maintenues et renforcées :

  • D’une part, leur durée est portée de 6 à 12 mois afin qu’elles puissent correspondre à la durée d’une saison sportive  [6].
  • D’autre part, les motifs d’interdiction sont étendus aux supporters constituant une menace pour l’ordre public, soit du fait de leur appartenance à une association de supporters dissoute ou de leur participation aux activités qu’une association ayant fait l’objet d’une suspension d’activité s’est vue interdire. Cette mesure de restriction demeure limitée dans l’espace puisqu’elle ne s’applique qu’à l’enceinte et ses abords immédiats. Elle n’a donc rien de comparable avec l’interdiction de déplacement qui affecte la liberté d’aller et venir, même si le législateur l’a entourée de garanties pour éviter les abus.

3 – Cette nouvelle mesure emblématique peut être mise en œuvre, soit par le ministre de l’intérieur sur l’ensemble du territoire pour les matchs extérieurs [7], soit par les préfets de départements (le préfet de police à Paris) pour les matchs à domicile [8].

Elle est plus redoutable que celle d’interdiction de stade.

4 – D’abord, les conditions à réunir sont moins contraignantes. Un arrêté d’interdiction est illégal s’il n’est pas établi que le supporter constitue une menace pour l’ordre public, soit en raison de son comportement d’ensemble sur plusieurs manifestations, soit parce qu’il a commis un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations, soit encore du fait de sa participation aux activités d’une association suspendue. En revanche, s’il était membre d’une association de supporters dissoute cette seule qualité suffira à établir sa dangerosité.

5 – En ce qui concerne les interdictions de déplacement, la loi n’exige pas que l’intéressé ait eu un comportement antérieur fautif. Il suffira de démontrer qu’il se prévaut de la qualité de supporter d’une équipe ou se comporte comme tel [9] et que sa présence sur les lieux de l’épreuve est « susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public ».

Autrement dit le législateur fait le lien entre l’appartenance à une équipe et les troubles que ses supporters peuvent provoquer. Il appartiendra au juge administratif d’apprécier si cette condition est remplie lorsque l’équipe est réputée pour les actes de violence et d’atteintes aux biens de ses supporters [10] Question de fait qui ne manquera pas de nourrir des débats mais qui viendrait consacrer une véritable présomption de dangerosité.

En clair, il suffira qu’un supporter quelconque vienne soutenir son équipe favorite pour être supposé dangereux dès lors que celle-ci a mauvaise réputation. De surcroît, si on lit bien le texte, l’autorité administrative n’aura pas à démontrer que les troubles pressentis étaient inévitables mais seulement « susceptibles » de se produire. Sa tâche va s’en trouver grandement facilitée car il ne sera pas facile pour un supporter interdit de déplacement de combattre cette présomption devant le juge administratif.

Suffira-t-il qu’il établisse n’avoir jamais fait l’objet d’une interpellation ou d’une mesure de garde à vue ?

6 – Une question ne va pas manquer de surgir : L332-16-1 prévoit que l’interdiction de déplacement peut être collective. Cette disposition permettra-t-elle à l’autorité administrative de prendre une mesure d’interdiction de déplacement contre tous les supporters d’un même groupement ? Le débat va opposer les partisans de la présomption de dangerosité pour lesquels tout membre d’une association ou spectateur d’une équipe dont les supporters sont réputés pour leur violence représente une menace grave pour l’ordre public et ceux, au contraire, qui estiment nécessaire d’en établir la preuve pour chaque supporter interdit de déplacement. Mais dans ce dernier cas, on va forcément en revenir, comme pour l’interdiction de stade, à rechercher le comportement du supporter lors des précédentes manifestations alors que le texte en dispense précisément l’autorité administrative.

7 – L’interdiction de déplacement est d’une ampleur beaucoup plus conséquente que celle d’interdiction. Elle permet, en effet, d’interdire les déplacements de supporters de leur commune de résidence à celle où se déroulera la manifestation. Par principe, en matière de police administrative la règle veut que la liberté soit la règle et l’interdiction l’exception. La mesure de police doit donc être limitée dans le temps, dans l’espace et être motivée pour rester dans un cadre légal. En application de ce principe, l’article 60 de la loi prévoit que « l’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s’applique ».

8 – Parce qu’elle restreint la liberté d’aller et venir, une telle mesure ne peut-être prise arbitrairement. Le législateur a donc prévu des garanties.

D’abord une restriction temporelle. L’arrêté d’interdiction doit mentionner la durée de la mesure. Mais aucune limite maximum n’est fixée. Ce sera au juge administratif de décider au cas par cas si la durée de la mesure est proportionnée à la menace.

A cet égard plusieurs questions ne manqueront pas de lui être posées, comme celle de savoir si l’interdiction de déplacement pouvait s’étendre à plusieurs rencontres. Le préfet étant soumis à l’obligation de justifier le risque de troubles graves pour l’ordre public, il serait logique que la légalité d’une interdiction de déplacement ne puisse concerner que les matchs opposant des équipes dont les duels précédents ont été le théâtre de débordements de la part des supporters des deux camps.

Toutefois, une interdiction de déplacement pour toute la saison ne serait pas forcément illégale si elle est prise contre un supporter ayant déjà fait l’objet d’une mesure d’interdiction. En effet, la limite de 6 mois a été portée à un an. Dans ce cas, on suppose que l’arrêté devra préciser la liste des communes où il lui sera interdit de se rendre les jours où son équipe s’y déplacera car la mesure d’interdiction de déplacement ne doit permettre l’assignation à résidence des supporters !

9 – La deuxième restriction concerne l’application dans l’espace de la mesure. L’arrêté doit, en effet, indiquer les communes de points de départ et de destination auxquelles s’applique la mesure. Là aussi, il faudra s’interroger sur la marge de liberté du ministre pour décider si un seul arrêté suffira pour interdire l’accès aux villes où se disputeront les matchs extérieurs ou s’il faudra un arrêté par rencontre.

10 – Enfin, dernier rempart au risque d’arbitraire, la décision devra être motivée et indiquer « les circonstances précises de fait » qui en dictent l’application. En clair, il faudra préciser de manière circonstanciée la réalité du risque de troubles graves. On ne voit guère comment le faire sans se référer à des précédents. Mais à la différence de l’interdiction de stade où il faut nécessairement se reporter au comportement individuel de la personne interdite (sauf le cas de son appartenance à un groupement dissous), l’appréciation devra porter ici sur la réputation des supporters de l’équipe incriminée.

11 – Ses limites n’ont pas paru suffisantes aux parlementaires de l’opposition. Estimant que la mesure d’interdiction de déplacement portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, ils ont demandé au Conseil constitutionnel de la déclarer inconstitutionnelle. Celui-ci, après avoir relevé que ces mesures « peuvent être contestées par les intéressés devant le juge administratif, notamment dans le cadre d’un référé-liberté » a considéré « qu’eu égard aux objectifs que s’est assigné le législateur et à l’ensemble des garanties qu’il a prévues, les dispositions contestées sont propres à assurer, entre le respect de la liberté d’aller et venir et la sauvegarde de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ».

12 – Il ne serait pas surprenant que les supporters interdits utilisent sans retenue la procédure du référé. La condition d’urgence devrait être facilement remplie si la mesure d’interdiction de déplacement est prise dans les jours précédant le match. Le supporter aura alors le choix entre le référé liberté qui permet au juge, en cas d’atteinte grave et manifestement illégale, à une liberté fondamentale d’ordonner toutes mesures nécessaires à sa sauvegarde [11] et le référé suspension qui aboutit à la suspension de la mesure dans l’attente d’une décision sur le fond [12].

Il faudra donc être attentif à ces recours qui permettront de clarifier la marge de manœuvre de l’autorité administrative dans l’application de cette mesure.

13 – L’efficacité de la mesure d’interdiction est garantie par une sanction pénale. La peine encourue est de 6 mois d’emprisonnement et de 30.000 euros (contre un an et 3.750 euros pour l’interdiction de stade). On retiendra surtout que si le tribunal condamne le supporter qui a enfreint l’interdiction de déplacement, il devra obligatoirement prononcer la peine complémentaire d’interdiction de stade. La sanction est lourde car il est de principe que les peines complémentaires sont facultatives et n’ont donc pas de caractère automatique. Le juge répressif pourra l’écarter mais à condition de motiver spécialement sa décision.

14 – La Loppsi n’a pas institué de nouvelles infractions, si ce n’est pour réprimer l’inobservation de l’interdiction de déplacement. Les mesures de police prennent le pas sur l’arsenal répressif. En effet, elles ne sont pas soumises aux aléas du procès pénal ni au principe de légalité des incriminations. Les statistiques publiées sur le sujet font d’ailleurs surtout référence au nombre de mesures d’interdiction prononcées. On ne sera donc guère surpris d’assister dans les prochains mois à une flambée de mesures d’interdiction de déplacements et à une avalanche de référés !

 

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Avec notamment le décès d’un supporter du PSG mortellement frappé lors de bagarres d’une rare violence entre supporters des tribunes Boulogne et d’Auteuil en marge d’un match OM /PSG.

En précisant que le tribunal doit explicitement indiquer dans sa décision l’autorité ou la personne qualifiée chargée de la mise en application de la peine d’interdiction, la nouvelle rédaction du texte garantit qu’elle sera bien prononcée ce que n’ont pas toujours fait les juridictions répressives. Art. L 332-11 Co.sport.

[3] Cette mesure va permettre aux clubs et sociétés sportives de suspendre les abonnements et de refuser la vente de billets aux supporters interdits. Art. L 332-15 Co. sport.

[4] Art L 332-2 Co.sport.

[5] Art. L 332-19 Co. sport. Les participants à ces actions encourent une peine d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende et les organisateurs une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. Ces peines sont portées respectivement à trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende et à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende si les infractions à l’origine de la dissolution ou de la suspension de l’association ou du groupement ont été commises à raison de l’origine de la victime, de son orientation sexuelle, de son sexe ou de son appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Art. L 332-19 Co. sport.

[6] La prolongation de cette mesure est portée de 12 à 24 mois (soit deux saisons sportives) lorsque, dans les trois années précédentes, le supporter interdit de stade a fait l’objet d’une mesure d’interdiction. Art L 332-16 Co. du sport.

[7]  Art L 332-16-1 Co. du sport.

[8] Art L 332-16-2 Co. du sport.

[9] L’accoutrement d’un supporter, habituellement constitué de maillots et de fanions aux couleurs de son équipe, suffira à l’identifier.

[10] Elle le sera certainement si le supporter a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de stade ou était membre d’un groupement dissous ou suspendu.

[11] Art. L 521-2 du Co. de justice administrative.

[12] A condition que l’auteur du référé fasse valoir un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Art. L 521-1 du Co. de justice administrative.

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