Le toboggan aquatique fait partie de ces équipements ludiques censés attirer une clientèle plus motivée par la recherche de sensations fortes que par la pratique de la natation. Ce type d’installation n’est évidemment pas dépourvu de tout risque car l’utilisateur, une fois lancé ne maîtrise pas sa trajectoire. D’où des collisions entre utilisateurs dans le cours de la descente ou dans le bassin de réception notamment lorsque ceux-ci se succèdent à un rythme soutenu en l’absence de régulation du trafic. En l’occurrence, une jeune fille qui effectuait une descente entre les jambes de son père, avait été blessée en percutant un autre enfant qui se trouvait dans le bassin d’arrivée du toboggan. Dans de telles circonstances, les victimes bénéficient d’une situation avantageuse sur le terrain de la preuve. En effet, par un arrêt du 28 octobre 1991, la Cour de cassation a mis une obligation de sécurité de résultat à la charge des exploitants pour les accidents survenus pendant la descente. Elle dispense ainsi l’utilisateur du toboggan d’avoir à établir une faute de l’exploitant. L’arrêt du 3 février 2011 confirme cette jurisprudence aujourd’hui constante. Toutefois, il mérite l’attention car les circonstances de l’espèce révèlent que l’accident est survenu non pas pendant la descente mais dans le bassin de réception.
1- Il faut rappeler ici que les exploitants d’établissements sportifs sont tenus d’une obligation de sécurité qui, même si elle ne figure pas explicitement dans le contrat passé avec l’usager, est imposée par les tribunaux. Cette obligation de sécurité est normalement une obligation de moyens. En effet, l’exploitant ne peut guère promettre à son client qu’il sera dans tous les cas « sain et sauf » à la fin de l’activité dès lors que celui-ci a une liberté de mouvement. Par voie de conséquence, c’est à la victime de rapporter la preuve que l’exploitant n’a pas tout mis en œuvre pour assurer sa sécurité. En revanche, l’exploitant a une obligation de résultat à sa charge lorsque celle-ci n’a joué qu’un rôle passif dans l’exécution de la prestation dont il avait la maîtrise. C’est sur le terrain de la preuve que la différence entre les deux types d’obligation de sécurité se fait sentir. En effet, lorsqu’il est tenu d’une obligation de résultat l’exploitant est assujetti à une responsabilité de plein droit. Il est automatiquement responsable du seul fait de la survenance du dommage. S’agissant d’une présomption de responsabilité et non d’une présomption de faute, il ne peut se prévaloir d’absence de faute de sa part. Il suffit à la victime d’établir que son dommage a pour cause l’inexécution de la prestation. Elle n’a pas à administrer la preuve d’une faute de l’exploitant.
2- Le critère de distinction entre obligation de moyens et de résultat est fondé sur le comportement du créancier de l’obligation de sécurité. A priori ce critère paraît simple d’application : obligation de moyens si la victime a eu un rôle actif ; obligation de résultat dans le cas contraire. La difficulté tient dans les situations intermédiaires où elle n’est pas complètement passive sans avoir vraiment un rôle actif en raison d’une autonomie limitée. Le toboggan aquatique en est le bon exemple. L’utilisateur doit garder au cours de la glissade une position correcte, éviter de se mettre en travers, voire de freiner dangereusement sa descente et de s’immobiliser avant l’arrivée dans le bassin de réception [1]. Un auteur l’assimile à un « faux actif ». [2] : s’il ne maîtrise pas la trajectoire, l’utilisateur peut réguler sa vitesse. Les tribunaux avaient donc logiquement soumis l’exploitant au régime de l’obligation de moyen jusqu’à ce que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation les désavoue par son arrêt du 28 octobre 1991. Dans cette espèce, la victime avait été heurtée dans le dos par un usager au cours de la descente, alors que dans la présente affaire la collision s’est produite à la fin de la descente dans le bassin d’arrivée du toboggan.
3- Dans un précédent arrêt de 1995 où la victime avait été également blessée alors qu’elle se trouvait dans le bassin de réception du toboggan, la Cour de cassation avait approuvé la cour d’appel ayant jugé « que la victime ne se trouvant plus dans la phase de descente, l’exploitant du toboggan n’était tenu que d’une obligation de sécurité de moyens » [3]. Solution logique puisqu’une fois dans le bassin, l’usager recouvre un rôle actif pour en sortir. C’est d’ailleurs le moyen que soutenait le pourvoi. L’exploitant n’étant tenu que d’une obligation de moyens dans le bassin d’arrivée, il incombait à la victime d’établir la faute de sa part.
4- Pourtant, dans son arrêt du 3 février 2011, la 1ère chambre civile relève que l’accident s’est produit pendant la descente sans faire aucune allusion à l’endroit de la collision. Elle confirme donc implicitement la position de la cour d’appel estimant « que la descente s’entend du point de départ de la glissade jusqu’à la fin de celle-ci dans le bassin d’arrivée ». Pour ne pas dire que la collision s’est produite dans le bassin de réception et se mettre alors en porte à faux avec l’arrêt de 1995, la Haute juridiction considère que la descente n’était pas achevée lorsque s’est produite la collision.
5- Il est difficile de ne pas y voir une correction de sa jurisprudence dont la victime a tout à gagner. Pour autant cette décision vient compliquer singulièrement les choses. En effet, si on adopte le raisonnement des juges, il faut considérer que le passage de l’obligation de résultat à l’obligation de moyen va s’effectuer non pas lorsque l’usager arrive dans le bassin car sa glissade est alors en cours d’achèvement mais à partir du moment où il s’apprête à le quitter ce qui, en pratique, sera difficile à déterminer. Par ailleurs on ne peut guère admettre que l’obligation de l’exploitant soit de résultat pour tout accident survenu dans le bassin car l’usager redevient forcément actif dès qu’il reprend pied à la fin de la glissade.
6- On voit bien là les limites d’une distinction fondée sur le comportement de l’usager. Ne serait-il pas plus pertinent, puisque nous sommes en matière contractuelle, de tenir compte de la volonté des parties ? Dans ce cas il faut admettre qu’une obligation de résultat soit mise à la charge de l’exploitant, même s’il ne maitrise pas le comportement de la victime dès lors que les deux parties se sont mises d’accord sur cette qualification. On peut considérer qu’en font partie les activités ludiques comme les manèges forains, le bob luge et les toboggans aquatiques. Dans ce cas, le client « en est réduit à faire confiance à l’exploitant supposé avoir la maîtrise des risques ». Il ne peut « au regard des circonstances, être présumé avoir accepté de courir le moindre danger » [4]. Certains tribunaux ont d’ailleurs admis qu’un exploitant soit assujetti à une obligation de résultat pour la pratique de certains sports dangereux comme cela a été jugé pour l’organisation d’une randonnée en eau vive présentée par l’exploitant comme « ludique » et « vierge de tous risques » [5]. S’ils avaient appliqué le critère du comportement de l’usager, les juges auraient de toute évidence qualifié de moyen l’obligation de l’exploitant, et fait supporter à la victime la charge de la preuve d’une faute.
7- La chambre criminelle de la Cour de cassation aurait dû aboutir au même résultat dans une espèce où un client du club Méditerranée avait été mordu par une murène, lors d’une plongée subaquatique. Pourtant, dans son arrêt du 1er juillet 1997, elle a mis une obligation de résultat à la charge du club de vacances organisateur de l’activité [6].
8- L’abandon de la distinction fondée sur le comportement du créancier – séduisante en théorie, mais difficile à mettre en œuvre – et son remplacement par le critère de la volonté des parties n’est pas pour demain, comme l’atteste l’arrêt du 3 février ! Quoi qu’il en soit, si la Cour de cassation avait appliqué ce critère, la solution aurait été la même que celle finalement retenue.
9- L’obligation de résultat, si elle ne permet pas au débiteur de s’exonérer par la preuve de l’absence de faute de sa part, lui offre en revanche la possibilité d’établir l’existence d’une cause étrangère exonératoire, comme la faute de la victime. L’exploitant ne s’en était d’ailleurs pas privé estimant que l’enfant stationnait anormalement dans le bassin d’arrivée au moment du choc et qu’il n’avait pas respecté la consigne d’évacuation rapide. La cour d’appel relève que le point de choc n’a pu être localisé avec certitude en l’absence de témoignage direct et qu’en tout état de cause, la consigne d’évacuation rapide ne peut garantir une sortie immédiate du bassin d’arrivée. S’il avait été formellement établi que la jeune victime s’y était volontairement attardée l’exploitant aurait pu obtenir au mieux un partage de responsabilité. Un tel comportement chez un jeune usager est parfaitement prévisible de sorte qu’il aurait manqué la condition d’imprévisibilité de la force majeure qui peut seule produire les effets d’une exonération totale de responsabilité.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
Documents joints:
Cour de Cassation, 3 février 2011
Notes:
[1] En ce sens, Aix-en-Provence, 6 déc. 1989, Sté Aquacity – Dijon 14 nov. 1990, Cap Vert Loisir, Juris-Data n° 048227.
[2] H. Groutel, Resp. civ. et assur. 1992, n° 82, chron. n° 8.
[3] Civ. 1, 30 oct. 1995 pourvoi n° 93-16501.
[4] P. Jourdain, Gaz. Pal. 1993, p. 72 et RTD civ. 1998, p. 117.
[5] St Denis de la Réunion, 23 oct. 2003, Gaz. Pal. 2004, 2667.
[6] Crim. 1er juill. 1997, D. 1997, Inf. rap. 212. Bull. crim. 1997, n° 259, p. 881. D. 1998, somm. p. 199, note P. Jourdain. Sans doute, le terme d’obligation de résultat n’avait pas été explicitement prononcé, mais c’était tout comme, puisqu’il était reproché aux juges du fond d’avoir débouté la victime « sans relever le caractère imprévisible et irrésistible de la présence d’une murène sur les lieux de la plongée ». On ne voit pas très bien pourquoi, comme l’indique l’annotateur de l’arrêt (P. Jourdain. RTD civ. 1998, p. 116) « les juges du fond auraient été tenus de relever les caractères de la force majeure pour décharger le défendeur de sa responsabilité » s’il n’avait été question que d’une obligation de moyen.