L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 27 juin 2011 retiendra l’attention à un double titre. D’abord sur l’appréciation de faute de l’organisateur et ensuite sur l’absence de faute du pilote.

1-Lors d’une séance d’entraînement, le pilote d’un kart perd dans une ligne droite le contrôle de son engin, alors qu’il effectuait un dépassement. Il percute le muret de sécurité puis fait un tête à queue et est projeté contre un feu de signalisation au rebord coupant qui le blesse à la jambe. Il actionne alors l’exploitant en réparation en se prévalant du manquement de celui-ci à son obligation de sécurité.

2-Les juges relèvent d’emblée qu’un forfait ayant été souscrit par la victime, seules les règles de la responsabilité contractuelle s’appliquent. A cet égard, ils rappellent que le débiteur contractuel n’est tenu que d’une obligation de moyens ce qui signifie en clair que la victime a la charge de la preuve d’un manquement de la part de l’exploitant à son obligation de sécurité. Il n’était donc pas possible au pilote accidenté d’invoquer la responsabilité délictuelle et l’article 1384 alinéa 1 du code civil qui aurait eu l’avantage de lui épargner la charge de la preuve d’une faute de l’exploitant. Le gardien d’une installation est, en effet, présumé responsable des dommages causés par celle-ci. Toutefois, le gain aurait été négligeable par rapport à la responsabilité pour faute contractuelle et ceci pour deux raisons. La première, c’est l’obligation pour le gardien d’une chose inerte d’établir son rôle actif. En l’occurrence, démontrer que le dommage avait bien été causé par les feux de signalisation, et non par le choc du karting contre le muret, et que ces feux aux rebords coupants étaient dangereux. La seconde c’est l’habitude prise par les tribunaux d’alléger le fardeau de la preuve en matière contractuelle en renforçant les exigences de sécurité mises à la charge de l’organisateur. L’obligation supposée de moyens prend alors les allures d’une obligation de résultat comme l’atteste un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 16 mai 2006. En l’occurrence, l’installation de filets protecteurs aux extrémités d’un terrain de hockey sur glace, bien que conformes aux normes de la Fédération française de patinage artistique, a été jugée insuffisante. La haute juridiction a estimé que l’association organisatrice du match avait commis un manquement à son obligation contractuelle de sécurité dès lors qu’il existait d’autres solutions techniques récentes satisfaisantes [1]. Une faute peut donc être retenue contre l’organisateur pour une signalisation insuffisamment explicite. Ainsi, un panneau interdisant l’accès du public à une échappatoire pour des véhicules de course a été jugé insuffisant dès lors qu’il existait un passage pour piéton le long du ruban matérialisant l’interdiction qui pouvait laisser penser aux spectateurs qu’ils étaient autorisés à traverser cette zone (Lyon 16 juillet 2009 et notre commentaire).

3- Il est donc acquis que le respect des normes de sécurité fixées par les fédérations sportives ou par l’autorité administrative n’exonère pas l’organisateur de ses devoirs en matière de sécurité s’il est établi qu’il n’a pas pris toutes les mesures de nature à faire disparaître le danger. C’est donc vainement que l’exploitant du karting soutenait que son circuit avait été déclaré conforme aux règles de sécurité internationales. Son devoir de sécurité lui imposait, au contraire, de s’assurer que ces feux, remplaçant les drapeaux rouges qu’agitaient les commissaires pour prévenir les pilotes en cas d’incident, ne pouvaient pas les blesser au cas où ceux-ci percuteraient le muret de sécurité.

4- La seule constatation de la dangerosité intrinsèque des feux de signalisation suffisait donc pour établir l’existence d’une faute. Le lien de causalité entre cette faute et l’accident qui est, faut-il le rappeler, une condition impérieuse à la mise en jeu d’une responsabilité, devenait alors l’enjeu majeur de ce procès. Le débat tournait autour de la question de savoir si le dommage avait été provoqué par le kart ou le feu de signalisation. Selon que l’une ou l’autre hypothèse était retenue, la responsabilité de l’organisateur était engagée ou écartée. Si le dommage résultait du choc du kart sur le muret de sécurité, c’est à la faute de conduite du pilote qu’il fallait l’imputer et non à un manquement de l’exploitant à son obligation de sécurité. C’était précisément la version soutenue par l’exploitant qui faisait valoir que le kart ne s’était pas encastré dans la partie métallique du feu de signalisation, mais l’avait percutée et avait ensuite continué sur sa lancée après le choc. Il en concluait que c’est un morceau de la carrosserie de l’engin qui avait déchiré la jambe droite du pilote.

5-Cette version des faits n’a pas été retenue par les juges qui observent que les photographies prises après l’accident font apparaître que le coté gauche et l’avant du kart ont été entièrement endommagés, alors que le coté droit ne présentait aucune déformation. Ils s’en remettent au rapport de l’expert judiciaire qui estime que le choc initial au niveau du muret n’a pas provoqué de lésion physique et que les blessures au niveau de la jambe droite ne peuvent avoir été occasionnées que par les bords contondants des feux de signalisation.

6-La responsabilité de l’exploitant étant acquise, il pouvait encore s’en exonérer à condition de prouver que la faute du pilote était la cause exclusive du dommage. Pouvait-il reprocher son imprudence à la victime, pour avoir roulé trop vite et doublé un autre véhicule comme il le prétendait ? En relevant que « la vitesse et la performance font partie du sport dénommé karting » la Cour de Paris, qui a d’ailleurs déjà eu l’occasion de statuer en ce sens, admet comme d’autres tribunaux que la recherche de la vitesse par les compétiteurs n’est pas une faute car elle est de l’essence même de la compétition [2].

7-Toutefois cette jurisprudence s’applique, faut-il le préciser, aux accidents survenus en compétition. Or, en l’occurrence, le pilote s’est blessé au cours d’une séance d’entraînement. C’est donc admettre que les compétiteurs prennent les mêmes risques à l’entraînement qu’en compétition ce qui n’a rien de contestable. L’entraînement peut-être tout aussi dangereux que la compétition, dès lors que les sportifs doivent se mettre dans les conditions mêmes de l’épreuve, pour mieux s’y préparer. Le professeur Durry a fait remarquer qu’un basketteur « s’entraîne à tirer au panier, des centaines et des centaines de fois, afin que le geste soit presque automatique au cours des matchs (….). S’il ne le fait jamais à l’entraînement comment les réussirait-il en match ? » et d’ajouter que « la compétition est inséparable de l’entraînement et la même liberté d’esprit doit présider à celui-ci et à celle-là » [3].

8-La Cour de cassation a d’ailleurs admis ce raisonnement dans ses arrêts du 21 octobre 2004 relatif à la responsabilité des groupements sportifs du fait de leurs membres et du 4 janvier 2006 où elle considère que l’inapplication de la loi de 1985 aux accidents survenus entre pilotes automobile vaut également pour les accidents d’entrainement [4].

9-Enfin, le moyen tiré de l’acceptation des risques par la victime, que soulevait encore l’organisateur, n’avait guère de chance de prospérer. En effet l’acceptation des risques ne vaut qu’entre compétiteurs. Elle ne s’applique pas dans les rapports entre organisateurs et compétiteurs. Si un pilote accepte le risque de collision avec un concurrent, en revanche, il n’accepte pas de prendre part à une course ou à un entraînement si l’organisateur ou l’exploitant ne lui garantit pas la sécurité des installations.

10-En définitive, l’exploitant aurait peut-être eu intérêt à appeler en garantie l’installateur des feux de signalisation à qui l’on pouvait reprocher de ne pas les avoir équipés de dispositifs de protection puisqu’ils étaient fixés sur un muret de sécurité ayant précisément pour fonction d’arrêter les véhicules sortant de la piste.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Bulletin d’inscription
Cour de cassation du 16 mai 2006
Cour de cassation du jeudi 21 octobre 2004
Cour de cassation du 4 janvier 2006
Cour d’appel de Paris le 27 juin 2011



Notes:

[1] Civ. 2, 16 mai 2006, Juris-Data n° 033511. Resp. civ. et assur. 2006, comm. 239. RLDC juill. /août 2006 p. 25, obs. B. Legros. La 2ème chambre civile s’était déjà prononcée dans le même sens en reprochant à un moniteur de tennis d’avoir omis de mettre en garde ses élèves contre le risque d’être blessé à l’œil par une projection de balle d’un appareil lance-balles automatique, alors que la méthode de ramassage ininterrompu des balles était admise par la Fédération française de tennis. Civ. 2, 20 juin 1984, Bull. civ. II, n° 112, Juris-Data n° 701085

[2] Ceci explique que les pilotes automobiles ou motocyclistes qui disputent des spéciales sur des routes fermées à la circulation publique ne commettent pas d’infraction au code de la route s’ils enfreignent ses dispositions réglementant la vitesse.

[3] RTD civ. 1979, p. 615 et 616, obs. G. Durry.

[4] D. 2006, jurispr. p. 2444. RTD civ. 2006, p. 337, note P. Jourdain. H. Groutel, resp. civ. et assur. avr. 2006, n° 113. Cah. dr. sport, n° 3, p. 156, note B. Brignon.

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