La pratique du VTT en milieu naturel fait partie des activités sportives qui procurent des sensations fortes très prisées par les pratiquants. Mais il faut compter avec le risque de chute élevé dans ce genre de sport, spécialement lorsqu’il s’adresse à des jeunes insouciants du danger. L’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 2 novembre 2010 qui subordonne l’organisation d’une telle activité à une obligation de sécurité renforcée doit donc être approuvé. En revanche, les juges font une fausse application de l’article 1384 alinéa 5 en retenant la responsabilité de l’organisateur de la sortie en qualité de commettant alors qu’il s’agit d’une responsabilité contractuelle du fait d’autrui.
1-Un adolescent qui participait avec ses camarades à une randonnée en VTT encadrée par un unique animateur, fait une chute dans un fossé et se blesse grièvement. La victime actionne l’organisateur du séjour en responsabilité et obtient gain de cause. La condamnation est sans surprise car l’exposé des défaillances dans l’organisation de la sortie est un modèle du genre ! En revanche la décision pèche par son fondement juridique. Cette espèce relève de toute évidence du domaine de la responsabilité contractuelle et non de la responsabilité des commettants du fait de leur préposé comme l’a faussement retenu l’arrêt.
I- Un manquement indiscutable à l’obligation de sécurité des organisateurs
2-Dans un attendu de principe la cour d’appel précise que « l’organisateur d’un séjour sportif et de loisirs est tenu d’une obligation contractuelle de sécurité à l’égard des jeunes gens qui lui sont confiés et qui lui impose de mettre en oeuvre tous moyens pour éviter qu’un accident puisse se produire ». Bien qu’elle ne le dise pas explicitement, cette obligation de sécurité n’est pas de résultat mais de moyens. L’organisateur ne promet pas que les participants seront sains et sauf au terme de la sortie, mais prend l’engagement de mettre en œuvre toute mesure pour assurer leur sécurité pendant l’activité. C’est le propre même de l’obligation de moyens qui s’applique chaque fois que le créancier de l’obligation de sécurité a un rôle actif, ce qui est évidemment le cas de jeunes sportifs en activité. A la différence de l’obligation de résultat qui est la marque de la responsabilité de plein droit, l’obligation de moyens est la traduction de la responsabilité pour faute et fait supporter le fardeau de la preuve à la victime. Toutefois, sa charge est allégée lorsque les circonstances le justifient. C’est le cas lorsque l’activité pratiquée est connue pour sa dangerosité ou que les pratiquants sont un public à risque, ce qui est le cas des débutants, des jeunes en bas âge inconscients du danger et des adolescents réputés pour leur témérité. Le juge élève alors d’un cran le niveau d’exigence de l’obligation de sécurité. C’est précisément ce que fait la cour de Grenoble en observant d’une part, que « la pratique du VTT présente des dangers liés à l’environnement naturel du terrain sur laquelle elle s’exerce » et, d’autre part, « que les participants sont des adolescents préoccupés de démontrer leur supériorité ou de dissimuler leur appréhension ». Elle met donc une obligation de surveillance renforcée à la charge de l’organisateur qui doit « faire preuve d’une vigilance particulière ».
3-Cette obligation de vigilance renforcée implique, pour l’organisateur, de prendre un certain nombre de mesures de sécurité préalables à l’organisation de toute sortie et pendant le déroulement de celle-ci.
Les mesures de sécurité préalables à la sortie
4-La présente décision se conforme à la jurisprudence dominante qui met habituellement à la charge des organisateurs d’activités sportives trois types de mesures de précaution préalable à l’organisation d’une activité. Les unes concernent la configuration des lieux. C’est l’obligation de reconnaissance préalable de l’itinéraire. Elle figure d’ailleurs implicitement dans les consignes qui ont été données par la direction départementale de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale recommandant aux organisateurs « la préparation de l’itinéraire avec évaluation des difficultés ». D’autres obligations concernent les pratiquants, spécialement s’il s’agit de débutants, à qui doivent être données des consignes de sécurité avant la sortie. A cet égard, la cour d’appel observe que « la randonnée n’avait pas été précédée d’une réunion de préparation et d’information au cours de laquelle les participants auraient reçu les consignes indispensables ».
5-Par ailleurs, selon une jurisprudence classique, l’organisateur doit vérifier les capacités physiques et même psychologiques des participants[1], ce que recommandent également les instructions de la direction départementale. Or l’appréciation des comportements ne peut se faire sans une connaissance préalable du public. Aussi les juges font-il remarquer à juste titre que la sortie étant proposée le deuxième jour du séjour, « les capacités, la prudence ou l’impulsivité des jeunes n’avaient pas encore été exactement appréciées par l’encadrement ». On rapprochera cette remarque d’une observation analogue de la cour d’appel de Paris dans une espèce voisine où l’enfant d’un centre de vacances s’était noyé dans une piscine lors d’une sortie de bains organisée le premier jour du séjour[2].
6-La cour d’appel évoque également la qualification de l’intervenant en observant que l’organisateur ne produit aucune pièce la justifiant. Or la réglementation applicable aux activités sportives organisées dans les accueils collectifs de mineurs subordonne l’encadrement du VTT à des conditions de diplôme[3].
7-En revanche, elle ne juge pas nécessaire de rechercher si le matériel mis à la disposition de la victime présentait la fiabilité indispensable. Pourtant, les freins de l’engin auraient mérité un examen plus approfondi car l’accident est survenu dans une descente, de sorte qu’il aurait été important de savoir si le jeune avait tenté de freiner et si le système de freinage avait normalement fonctionné.
Les mesures de sécurité pendant le déroulement de la sortie
8-L’encadrant est tenu d’une obligation de surveillance rapprochée durant la sortie. C’est le corollaire de l’obligation de vigilance « particulière » qui ne peut s’exercer si tous les participants ne sont pas dans le champ de vision de l’animateur. En l’occurrence cette obligation paraît avoir été respectée car il n’est pas signalé que l’encadrant roulait à distance des participants. Mais les juges ne s’en tiennent pas à la seule vérification d’une surveillance rapprochée de sa part. Ils lui reprochent, également d’avoir commis une erreur de positionnement en se plaçant à l’arrière du groupe, alors qu’il aurait dû le précéder, pour être en mesure de contrôler l’état du chemin et adapter la vitesse du groupe aux risques présentés par le terrain. En effet, l’accident s’est produit dans une descente accusée qui nécessitait une vigilance accrue et donc un positionnement adapté de l’encadrant. Cette exigence est une parfaite illustration de l’expansion de l’obligation de surveillance du moniteur dont on remarquera qu’elle va au-delà des exigences réglementaires qui ne donnent aucune indication sur ce sujet.
9-Il reste à établir que ces manquements ont bien été le fait générateur du dommage. L’arrêt n’y fait pas explicitement allusion alors que la constatation de l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage est une condition sine qua non à la mise en jeu de la responsabilité civile. L’organisateur l’a parfaitement compris qui fait valoir que l’animateur n’aurait pas pu éviter l’accident, même s’il avait été placé en tête du groupe puisque, selon son analyse la chute n’est due ni à une vitesse excessive, ni à l’état du chemin. Si l’enquête ne donne aucune indication sur la vitesse de la victime on peut supposer qu’elle était élevée, compte tenu à la fois du pourcentage de déclivité signalé (d’après les juges elle était comparable à celle de routes empruntées par le tour de France conduisant au Mont Ventoux ou à l’
Alpe d’Huez) et du tempérament fougueux des jeunes adolescents que la cour a pris la peine de relever dans ses motifs. Dans ces conditions, il est raisonnable de penser que l’animateur placé en tête du groupe aurait été en mesure de réguler la vitesse des participants. Si le lien de causalité ne peut pas être établi avec certitude, la jurisprudence admet qu’une forte probabilité de son existence puisse suffire.
II- Un fondement juridique discutable
10-La lecture de l’arrêt ne manque pas de surprendre sur le fondement juridique évoqué. Il est d’abord question, par un attendu de principe, d’un rappel de l’obligation contractuelle de sécurité à laquelle est tenu l’organisateur d’un séjour sportif et de loisirs à l’égard des jeunes gens qui lui sont confiés. Puis les juges concluent leur décision par une déclaration de responsabilité de l’organisateur en « application des dispositions de l’article 1384 alinéa 5 ». C’est faire peu de cas de la règle du non-cumul des responsabilités qui proscrit la superposition des deux régimes de responsabilité contractuelle et délictuelle. Elle les délimite, également, en donnant la primauté à la responsabilité contractuelle chaque fois que ses conditions d’application sont réunies. En l’occurrence, un contrat a bien été passé avec l’organisateur en vue de la participation de la victime à un séjour sportif, d’une part, et l’accident est bien consécutif à l’inexécution de l’obligation de sécurité de l’organisateur du séjour, d’autre part. Dans ces conditions, on a peine à comprendre que le juge fasse état de la responsabilité des commettants du fait de leur préposé alors qu’il s’agissait d’une responsabilité contractuelle du fait d’autrui. La jurisprudence admet, en effet, que l’organisateur répond des fautes commises par toute personne -préposé ou prestataire de service- qu’il inclut dans l’exécution du contrat.
Un pourvoi en cassation fondé sur l’inobservation de la règle du non-cumull aurait eu quelque chance d’aboutir, d’autant que la Cour de cassation s’en est fait à plusieurs reprises, le gendarme au cours des derniers mois[4]. Ainsi, la Cour régulatrice a rappelé à l’ordre une cour d’appel pour avoir retenu la responsabilité d’un club d’art martial sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 alors qu’il s’agissait de responsabilité contractuelle puisque la victime blessée par son entraîneur était un licencié dudit club[5].
Mais on concédera que si le fondement juridique est incorrect, la solution ne serait pas différente sur le terrain de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui sauf si la Cour de cassation décidait de mettre à la charge de l’organisateur la preuve d’une faute distincte de celle de son auxiliaire (comme une erreur d’appréciation dans le choix du moniteur) ce qui ne pourrait être le cas pour un commettant présumé responsable des fautes de ses préposés.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Jean-Pierre VIAL, « Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur », Collec. PUS, septembre 2010
Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne
Documents joints:
Cour d’Appel de Grenoble du 2 novembre 2010
Notes:
[1] Cass.civ. 1, 5 nov. 1996 et Cass. civ. 1, 29 nov. 1994, Bull. civ. I, n° 351 p 253 ; Gaz. Pal. 1, panor. p. 86.
[3] L’arrêté du 25 avril 2012 précise que peut encadrer une sortie en VTT tout animateur titulaire d’un diplôme, d’un titre à finalité professionnelle ou d’un certificat de qualification permettant l’encadrement des accueils collectifs de mineurs ainsi que les fonctionnaires relevant des titres II, III et IV du statut général des fonctionnaires et exerçant dans le cadre des missions prévues par leur statut particulier, ou enseignant dans des établissements d’enseignement publics ou des établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’Etat dans l’exercice de leurs missions. Peut aussi encadrer une sortie en VTT toute personne majeure, déclarée comme faisant partie de l’équipe pédagogique permanente de l’accueil, titulaire soit du brevet fédéral de moniteur VTT délivré par la Fédération française de cyclotourisme soit du brevet fédéral du 2e degré délivré par la Fédération française de cyclisme.
[4] Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 10-28492 et 18 octobre 2012, n° 11-14155.
[5] Cass. civ. 19 février 2013, n° 11-23017.