Le décès d’une compétitrice lors d’une épreuve de descente à ski a offert l’occasion à la Cour de cassation de confirmer la possibilité de mise en jeu de la responsabilité pénale d’un club sportif du chef d’homicide involontaire en l’absence d’identification formelle de l’auteur de l’infraction.  Elle considère que le délit n’a pu être commis que par le président  du ski club organisateur de l’épreuve en l’absence de délégation de sa part. 

1-L’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2013 rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour de Chambéry du 7 juin 2012 vient confirmer notre prémonition. Il suffit  de rappeler ici que la responsabilité des personnes morales est une responsabilité par représentation : elle suppose que soit établie la faute d’un organe ou représentant du groupement. Or la décision contestée avait retenu la responsabilité du ski club sans identifier l’auteur du délit, ce que lui reprochait le pourvoi.

2-Nous avions laissé entendre dans notre commentaire de cette décision « qu’on pourrait admettre que la responsabilité du ski club soit implicitement engagée sans qu’il soit nécessaire de désigner explicitement son président comme auteur de l’infraction dès lors que celle-ci n’a pu être commise que par lui ». C’est chose faite ! La chambre criminelle considère, en effet, que « l’infraction n’a pu être commise, pour le compte de l’association, que par son président, responsable de la sécurité, en l’absence de délégation interne non invoquée devant la cour d’appel ».

3-On ne s’attardera pas sur le moyen du pourvoi reprochant à l’arrêt de ne pas avoir recherché si la faute de la victime n’avait pas constitué la cause exclusive de sa chute mortelle. En effet, il est de jurisprudence constante que celle-ci ne peut exonérer l’auteur de l’infraction qu’à la stricte condition d’être la cause unique du dommage. Ce n’était nullement le cas, en l’espèce, puisqu’il était reproché à l’organisateur d’avoir manqué à ses missions de sécurité et donc d’avoir concouru par sa négligence à la survenance du décès.

4-En revanche, le moyen tiré de la violation de l’article 121-2 du Code pénal paraissait beaucoup plus sérieux. Il reprochait à l’arrêt de s’être borné à énoncer que l’association a commis une faute d’imprudence et de négligence, sans rechercher si cette faute résultait des manquements imputables à un des organes ou représentants de l’association.

5-La question de l’identification de l’auteur de l’infraction est le lieu d’un vif débat entre tenants de la thèse de l’autonomie et  partisans de celle de la représentation. Les premiers considèrent que la faute de la personne morale doit être appréciée indépendamment de celle des personnes physiques[1]. Dans ce cas, on admet que la faute est le résultat d’une négligence collective si bien que la question de son imputation à un dirigeant ou à un représentant est sans intérêt. Pour les partisans de la responsabilité « par ricochet », au contraire, la responsabilité  de la personne morale  n’est que le simple reflet de celles des personnes physiques[2]  : la faute doit avoir été commise par ses organes ou représentants. Elle suffit à engager la responsabilité pénale du groupement sans que doive être établie une faute distincte à sa charge, comme l’a admis la Cour de cassation qui s’est ralliée à cette théorie[3].

6-Toutefois, l’idée que l’imputation de la faute à ses organes ou représentants puisse être déduite des circonstances a fait son chemin. Dans son rapport de 2008, la Cour de cassation indique, à propos des délits non intentionnels, que « l’identification de l’auteur de l’infraction n’est pas nécessaire lorsqu’il est possible de déduire des circonstances de l’espèce que l’infraction n’a pu être commise que par un organe ou un représentant. Il en est ainsi notamment lorsqu’est reproché à la personne morale une faute d’imprudence ou de négligence consistant en la violation d’une disposition législative ou réglementaire s’imposant à elle ». Par ailleurs,  l’article L. 4741-1 du Code du travail impute à l’employeur et à ses représentants le non respect des prescriptions législatives et réglementaires. Enfin, selon une  jurisprudence bien établie « dans les industries réglementées la responsabilité pénale remonte essentiellement au chef d’entreprise »[4].

7- L’imputation par déduction de l’infraction aux organes du groupement lorsqu’est  en jeu la sécurité des personnes a été appliquée par la Cour de cassation par deux arrêts du 20 juin 2006[5] et du 26 juin 2007[6] rendus à l’occasion d’accidents du travail.  Ils confirment les condamnations prononcées après avoir constaté que si les juges du fond ont déclaré les entreprises impliquées coupable de blessures involontaires sans préciser l’identité de l’auteur des imprudences ou négligences constitutives du délit,  « cette infraction n’a pu être commise, pour le compte de la personne morale, que par ses organes ou représentants ».

8-L’arrêt du 11 octobre 2011[7]  a été interprété à tort comme un retour à l’orthodoxie.  En effet, les auteurs de l’infraction ont bien été identifiés : il s’agit de deux agents de maîtrise qui ne s’étaient pas assurés de la mise hors tension d’un poteau électrique. A partir du moment où ils agissaient sans délégation de pouvoir explicite, les juges du fond auraient dû s’expliquer sur leur statut et les attributions propres à en faire des représentants de la personne morale.

9- Le même reproche a été fait à tort  pour l’arrêt du 11 avril 2012[8]. En l’occurrence la chambre criminelle  a estimé que les juges du fond ne pouvaient pas déduire de l’absence de formation pratique et appropriée d’un ouvrier sur les risques spécifiques d’un chantier que ce manquement était imputable aux organes ou représentants de la société.  Sans doute  la formation sur les principes généraux de sécurité à respecter sur les chantiers ne peut qu’être imputée aux organes directeurs de la société.  Mais, il n’est pas évident que sa déclinaison au risque spécifique d’un chantier relève nécessairement de ce niveau hiérarchique.  Dès lors, on peut comprendre que la Cour de cassation ait voulu la démonstration et non la simple affirmation que la personne chargée de cette mission avait bien la qualité d’organe ou de représentant.

10- L’arrêt du 18 juin 2013 vient lever le doute qui s’était installé dans l’esprit des commentateurs à la suite de ceux de 2011 et 2012. La méconnaissance d’une obligation de sécurité implique que son inexécution soit mise à la charge de son dirigeant. L’imputation est déduite de cette constatation de fait et n’a pas à être démontrée
.  L’intérêt de la décision est d’en faire application aux obligations de sécurité propres à l’organisateur d’une compétition sportive alors que les décisions rendues jusque là par la Cour de cassation intéressaient la sécurité des travailleurs.  L’arrêt fait une réserve dans le cas d’une délégation interne. Le délégué désigné pour  prendre en charge la sécurité de l’épreuve devra obligatoirement être identifié. Il  faudra alors établir  qu’il a bien la qualité de représentant au sens de l’article 121-2, c’est à dire  qu’il est « pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires » pour accomplir sa mission[9], ce qui implique nécessairement qu’il dispose d’unpouvoir de décision comme l’évoque la chambre criminelle dans un arrêt du 9 novembre 1999[10]. Aux juges du fond de s’en assurer s’ils ne veulent pas subir la censure de la Cour de cassation.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, « Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur« , Collec. PUS, septembre 2010 :/le-contentieux-des-accidents-sportifs-responsabilite-de-lorganisateur/ » target= »_blank »> pour commander l’ouvrage

Jean Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 

 

 

Jean-Pierre VIAL, « Responsabilité pénale des personnes morales. L’imputation de la faute en question« , ISBL CONSULTANTS, 29 mars 2013

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour de cassation du 18 juin 2013



Notes:

[1] C. Lombois, Droit pénal général, Hachette, coll. « Les fondamentaux », 1994, p. 73 et 74 ; J-H. Robert, Droit pénal général, PUF, 3e éd., 1998, p. 355. C. Ducouloux-Favard, LPA, 7 avr. 1993, p. 7, et  D. 1998, Chron. p. 395.

[2] J-Ch. Saint-Pau D 2000, p. 636.

[3] Cass. crim. 26 juin 2001, Bull. crim. n° 161, Dr. pén. 2002, n° 8, obs. J-H. Robert.Cass. crim. 26 juin 2001, Bull. n° 161.

[4] Cass. crim., 28 févr. 1956, JCP 1956. II. 9304, note De Lestang.

[5] N° 05-85.255 note J-Ch. Saint-Pau, 399, obs. G. Roujou de Boubée et 1624, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2006. 895, note B. Bouloc ; RSC 2006. 825, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2007. 248, obs. B. Bouloc ; JCP 2006. II. 10199, note E. Dreyer

[6] N° 06-84.821, D. 2008. 1573, obs. C. Mascala Dr. pénal 2007, n° 135, note M. Véron ; 15 janv. 2008, n° 07-80.800, Bull. crim. n° 6 ; D 2008. 554, 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2008. 189, obs. C. Saas ; RDT 2008. 247, obs. L. Lerouge ; RTD com. 2008. 638, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2008, n° 71, obs. M. Véron.

[7] N° de pourvoi: 10-87212 ;AJ pénal 2012. 35, note B. Bouloc ; Rev. sociétés 2012. 52, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 825, obs. Y. Mayaud. B. Bouloc,RTD Com. 2012 p. 201.

[8]N° de pourvoi: 10-86974.D. 2012. 1381, note J.-C. Saint-Pau ; ibid. 1698, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2012. 415, obs. B. Bouloc ; Dr. soc. 2012. 720, chron. R. Salomon.  RSC 2012. 375, obs. Y. Mayaud. Hervette et Benouniche, Gaz. Pal.21 juin 2012 n° 173, p. 5. E Dreyer Gaz Pal, 28 juillet 2012 n° 210 p. 17

[9] Crim. 19 janv. 1988, Bull. crim. n° 29 et 11mars 1993, n° 91-80598 ;92-80773 ;90-84931 ;91-80958.

[10] Bull. crim.  1999 ; n° 252 p. 786.

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