Le  refus de suivre les consignes de sécurité données par un moniteur peut avoir des conséquences fâcheuses, comme l’atteste l’arrêt de la cour d’appel de Riom du 12 juin 2013.  En l’occurrence, deux participants à une descente de canyon se sont blessés lors d’un saut qui leur était déconseillé et ont été déboutés de leur demande d’indemnisation. 

1-La descente de canyon est bien connue pour les sensations fortes qu’elle procure à ses adeptes, tout spécialement au moment des sauts, au point que les exploitants en font parfois la page de couverture de leurs brochures publicitaires et la page d’accueil de leur site internet pour allécher la clientèle. C’est dans ces circonstances que deux personnes se sont mises en relation avec un exploitant spécialisé dans ce type de pratique sportive, en vue de faire un parcours d’initiation. Se plaignant de graves lésions dorsales survenues après leur premier saut, elles assignent en responsabilité la monitrice qui encadrait la sortie, en lui reprochant un manquement à ses obligations contractuelles. Déboutées par le tribunal de grande instance du Puy-en-Velay, elles font appel du jugement. La Cour d’appel de Riom confirme la décision dans un arrêt sans surprise qui met en évidence leur mauvaise foi et leur refus d’obtempérer aux consignes de la monitrice.

2-Les appelants lui reprochaient d’avoir manqué à ses obligations d’information, de conseil et de sécurité. C’est l’occasion de rappeler que l’obligation contractée par l’exploitant d’établissement sportif n’est pas seulement de sécurité. Elle est aussi une obligation de renseignement qui vient se greffer sur l’obligation principale de fourniture de la prestation promise. Il en est surtout question dans les pratiques sportives pour les assurances individuelles accident. Le code du sport a en effet explicitement prévu l’obligation, à la charge des fédérations et clubs sportifs, d’en tenir avisés leurs adhérents (l’article 111-2 du code de la consommation dont la portée est générale, prévoit que tout professionnel prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat ou en son absence avant l’exécution de la prestation de services, « mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du service », en l’occurrence les difficultés d’une descente de canyon. A cet égard, les tribunaux rappellent que les pratiquants doivent recevoir « une information complète et loyale »[1] de la part de l’exploitant d’établissement sportif. Ce devoir de renseignement s’explique par le rapport que l’élève entretient avec son moniteur qui repose sur une relation de confiance. Il est la juste compensation du déséquilibre des compétences entre le novice ignorant légitimement les dangers d’une activité et le professionnel qui les connaît nécessairement. Ce déséquilibre est manifeste dans le cas des prestations d’activités sportives de pleine nature offertes à une clientèle occasionnelle à la recherche d’activités ludiques dont le comportement est plus proche de celui d’un consommateur que d’un pratiquant sportif. Le devoir de renseignement rétablit l’égalité entre eux. Il se décompose en une obligation d’information et de conseil.

 

I– L’obligation d’information

3-L’obligation d’information prend naissance au stade de la formation du contrat. Le consentement du pratiquant ne peut pas être éclairé s’il signe sans savoir à quoi il s’engage.  L’information que lui donne l’organisateur de l’activité doit lui permettre de prévenir un vice du consentement qui affecterait de nullité le contrat ou pourrait susciter de sa part une action en réparation. Les clients d’un organisateur de descentes en canyon doivent être avertis des difficultés du parcours. Cette obligation de renseignement n’est qu’une obligation de moyens. En effet, elle ne peut s’exécuter efficacement qu’à condition de réciprocité. L’exploitant ne sera en mesure de fournir un conseil avisé que s’il a été correctement renseigné par son élève sur ses intentions et son niveau. « Pour conseiller utilement autrui, il faut être informé soi-même »[2]. En l’espèce, les deux appelants ont indiqué vouloir effectuer un parcours sportif, ce qui pouvait laisser supposer, comme le relèvent les juges, leur volonté d’effectuer des sauts. Dans ces conditions, la monitrice a correctement rempli son devoir de renseignement en leur proposant un parcours comprenant des toboggans, sauts dans des cascades dont un d’environ 10 mètres. Ceux-ci savaient donc à quoi s’en tenir sous réserve, bien entendu de l’exactitude de ces informations. Le danger peut, en effet, être sous-estimé par l’exploitant qui ne veut pas effrayer ses clients. Plus grave, il peut y avoir tromperie de sa part. Rien de tel dans la présente espèce. La monitrice n’a pas induit en erreur ses clients puisque d’autres professionnels du secteur ont considéré que le parcours proposé était bien d’initiation et que le bureau des guides de Grenoble le présentait comme une formule de découverte, idéal pour l’initiation.

En revanche, elle ne s’est pas inquiétée de leur niveau puisque l’arrêt révèle qu’elle l’ignorait au départ du groupe. Or il s’agit d’une information capitale que tout exploitant doit recueillir pour l’exécution de l’obligation de sécurité. En effet, celle-ci implique de ne pas surestimer les capacités des pratiquants et de leur proposer des exercices adaptés à leur niveau. Toutefois cet oubli ne portait pas à  conséquence en l’espèce dès lors que le parcours  proposé ne présentait pas de difficultés particulières pour des débutants, que le saut de 10 mètres était facultatif et qu’il y avait de nombreux échappatoires offrant une alternative pour les participants souhaitant éviter les sauts.

4-L’obligation d’information continue à s’appliquer en cours d’exécution du contrat. Le moniteur doit signaler les obstacles qui peuvent surgir sur le parcours. Ainsi il a été reproché à un moniteur de ski de ne pas avoir mis en garde ses élèves sur l’existence d’une barre rocheuse non signalée[3] à un autre de ne pas leur avoir signalé des fissures naturelles[4] et à un guide de haute montagne de ne pas avoir alerté les participants de la présence de blocs de pierre instables[5]. Toutes difficultés qui peuvent se présenter sur une descente de canyon et dont les participants doivent être prévenus. S’agissant de simples mises en garde, elles ne peuvent, cependant, être assimilées au devoir de conseil.

 

II- Le devoir de conseil

5-Proche de l’obligation d’information, le devoir de conseil s’en distingue par sa plus grande intensité.  Il ne suffit pas d’alerter le participant sur un danger pour qu’il redouble d’attention ; il faut en outre le conseiller sur la conduite à suivre.  L’obligation d’information éclaire le consommateur sur le choix d’un produit ou d’un service mais sans qu’il soit décidé à sa place. Le devoir de conseil, en revanche, est plus directif puisqu’il indique la décision à prendre. C’est le cas pour les sauts à effectuer dans une descente de canyon. Le moniteur doit formellement déconseiller à un novice ceux techniquement et psychologiquement difficiles à exécuter. En effet, le profane, comme l’étaient nos deux appelants, n’est pas en capacité  d’apprécier les sauts qu’il est capable d’effectuer sans danger et ceux qui l’exposent à un risque d’accident. C’est donc au moniteur, en qui il a mis toute sa confiance, de lui indiquer la décision à prendre.
« Le devoir de conseil comprend aussi celui de déconseiller »[6], ce qu’a fait précisément la monitrice en invitant les deux victimes à ne pas effectuer le premier saut. Deux raisons motivaient sa décision. D’une part, la hauteur du saut d’une dizaine de mètres qui présentait des difficultés techniques. D’autre part, le niveau des deux appelants qu’elle n’avait pas pu encore évaluer, car il s’agissait du premier obstacle à franchir en début de parcours.

6-L’obligation de conseil n’est pas de résultat. Le client participant activement à l’exécution du contrat est libre de son choix et d’ignorer la mise en garde. Or c’est justement ce qui s’est passé : les deux victimes ont refusé l’alternative proposée d’une descente en rappel et ont sauté. Les juges auraient pu s’en tenir là pour les débouter. Ils ne se sont pourtant pas contentés de cette circonstance pour en déduire l’absence de faute du moniteur. Ils ont également relevé que les participants avaient « bien reçu les consignes techniques de saut nécessaires » ce qui revient à dire que la monitrice avait correctement exécuté son obligation de sécurité.

 

III- L’obligation de sécurité

7-Il y a un lien évident entre les obligations d’information et de conseil et l’obligation de sécurité à chaque fois qu’elles permettent au créancier d’être prémuni contre un dommage à sa personne comme c’était le cas en l’espèce. Elles sont alors absorbées par l’obligation de sécurité dont elles deviennent une des composantes.

8-L’obligation de sécurité de l’organisateur d’activités sportives est par principe une obligation de moyens dont la charge d’établir l’inexécution incombe à la victime. Certains tribunaux y voient une application de la théorie de l’acceptation des risques. Le pratiquant sportif, spécialement dans la pratique des sports dangereux, accepte le caractère aléatoire du contrat. Il admet que le moniteur ne peut lui promettre avec certitude qu’il sera sain et sauf au terme de l’activité. Ainsi en exprimant leur volonté de faire un parcours sportif, les appelants ont admis que l’obligation de sécurité du moniteur ne portait que sur des moyens (sécurisation de l’activité) et non sur un résultat (absence de dommage). Le fondement le plus classique attribué à l’obligation de moyens est celui du rôle actif de l’élève, comme le souligne d’ailleurs l’arrêt. Le moniteur qui encadre la descente d’un canyon n’a pas la complète maitrise de la prestation comme peut l’avoir un transporteur. Le déroulement de l’activité ne dépend pas uniquement de lui mais également du comportement de son élève qui peut commettre une maladresse. Dans ces conditions, il ne peut pas s’engager à mettre ses clients totalement à l’abri d’un accident. En revanche, il promet de prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires et notamment de donner les consignes pour l’exécution du saut. A la différence de l’obligation de résultat ou sa responsabilité est engagée du seul fait de la survenance d’un accident, l’inexécution de l’obligation de moyens suppose qu’il n’a pas mis en oeuvre les mesures de sécurité promises pour l’éviter. A charge, alors, pour la victime d’en établir la preuve.

9-Le degré d’intensité de l’obligation de moyens varie en fonction de la nature du sport pratiqué. Elle est « appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »[7].  Le canyoning en fait assurément partie, comme l’évoque un jugement du tribunal de grande instance d’Ajaccio[8]. La possibilité de crue brutale, la hauteur de certains sauts, le risque d’accident à la réception d’une chute, de noyade ou d’aspiration par un siphon ne sont pas négligeables et peuvent justifier le renforcement de l’obligation de sécurité. Celui-ci se caractérise par l’expansion de son contenu : des mesures spécifiques de précaution  doivent être prises aussi bien dans la phase préparatoire de l’activité que durant son déroulement.

10-Avant la sortie, le moniteur doit s’assurer que les conditions météorologiques sont favorables en raison du risque de crue soudaine ; que le parcours choisi est adapté au groupe qu’il encadre et que les participants sont correctement équipés. Pendant la sortie, il doit veiller, pour chaque saut de cascade, que la configuration des lieux permet de les effectuer sans risque d’accident. Un moniteur a été jugé responsable  pour s’être dispensé de vérifier la profondeur d’une vasque  dont le fonds était insuffisant pour que la réception se fasse sans danger[9]. Par ailleurs, il doit donner des consignes sur la manière de sauter. En l’occurrence, l’arrêt déduit des déclarations des participants et de celles de la monitrice qu’ils les ont bien reçues et que l’entrée dans l’eau s’est faite les pieds devant et sans heurter l’obstacle. A cet égard une cour d’appel a jugé utile de préciser que le moniteur doit sauter en premier dans la vasque afin de sonder chaque marmite avant le saut des membres du groupe[10].

11-Enfin, le moniteur a une obligation de secours en cas de survenance d’un dommage. A cet égard, les juges relèvent que la monitrice a proposé après l’incident, de conduire les deux victimes à l’hôpital ce qu’elles ont refusé. Ils précisent même qu’elle les a accompagnées jusqu’au sentier qui menait à leur véhicule et leur a vivement conseillé de se rendre à l’hôpital pour examen. Rien ne peut donc lui être reproché sur ce plan.

12-Les victimes n’étant pas parvenues à rapporter la preuve d’une faute de la monitrice, celle-ci se trouvait nécessairement mise hors de cause. Il en eut été autrement si l’obligation de sécurité avait été de résultat. La responsabilité de la monitrice aurait alors été engagée du seul fait de la survenance du dommage.  C’est l’effet de la présomption de responsabilité qui n’est cependant pas irréfragable. La monitrice aurait pu la combattre de deux manières.  D’abord, par les attestations des deux témoins à qui l’une des deux victimes avait confié qu’elle avait déjà eu des problèmes de dos. Ceux-ci préexistant à l’incident, il y avait alors un doute légitime sur le lien de causalité entre les blessures alléguées et le saut incriminé. Ensuite, en imputant la survenance du dommage à la faute de la victime car l’accident aurait été évité si celle-ci avait obtempéré aux consignes de la monitrice.

13-Il reste à souhaiter aux deux victimes d’avoir souscris une assurance individuelle accident personnelle, faute de quoi elles ne pourront prétendre à l’indemnisation de leur dommage.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Cour d’Appel de Riom, 12 juin 2013
Tribunal de Grande Instance d’Ajaccio, 1 oct. 2009  

Nouvelle Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS du 10 février 2014, animée par Jean- Pierre VIAL  : « Réforme des rythmes scolaires: quelles responsabilités pour les opérateurs municipaux et associatifs?« .

 

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Cour d’Appel de Riom, 12 juin 2013
Tribunal de Grande Instance d’Ajaccio, 1 oct. 2009



Notes:

[1] Versailles, 10 nov. 1998, Juris-Data n° 049098. L’exploitant d’un circuit de moto-cross doit informer les utilisateurs sur les spécificités du parcours – Besançon, 14 sept. 1999, Juris-Data n° 044883. Le moniteur de ski doit les avertir des risques de la randonnée et des conditions d’aptitude physique et d’expérience nécessaires Paris, 3 févr. 1982, Juris-Data n° 021162. En ce sens également,  Aix-en-Provence, 4 janv. 2000, Gaz. Pal 2000, somm. 1772 pour l’organisation d’une randonnée en montagne.

[2] P. Le Tourneau. L. Cadiet, Droit de la responsabilité, n° 1569 Dalloz action 1996.

[3] Civ.1, 9 févr. 1994, Bull. civ. I, n° 61, p. 48. Gaz. Pal. p. 1994, panor. p. 158. JCP G, 1994, 22313, p. 335, note           D. Veaux. RJE sport. mars 1995, n ° 34, p. 55 note J. Mouly.

[4] Chambéry, 12 mai 1998, Leclef c/ UCPA.

[5] Pau, 18 oct. 1994, 2ème ch. n° 4389/94 CAF.

[6] P. Le Tourneau. L. Cadiet, Droit de la responsabilité, n° 1573. Dalloz action 1996.

[7] Civ 1, 16 oct. 2001, n° 99-18221, Bull civ I, n° 260 p. 164.

[8] 1 oct. 2009 ; RG n° 08/00972.

[9] TGI Ajaccio précité.

[10] CA Chambéry, 21 oct. 2003, RG n° 01/01544. Juris-Data n° 233885.

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