L’arrêt du 4 novembre 2010 fera date car il porte un coup sérieux à la théorie de l’acceptation des risques. Dans un attendu de principe la Cour de cassation affirme qu’on ne peut l’opposer à la victime d’un dommage causé par une chose, en l’occurrence une motocyclette, dont le pilote avait renversé un autre motocycliste au cours d’un entraînement sur un circuit. Cette décision qui constitue un revirement de jurisprudence met fin au refoulement de l’article 1384 alinéa 1 dans les accidents sportifs. Désormais ce sont les règles du droit commun qui vont s’appliquer avec l’immense avantage pour les victimes d’être dispensées de la preuve d’une faute de l’auteur de l’accident.

1- L’acceptation des risques fait à nouveau l’actualité jurisprudentielle. Cette théorie qui a déjà fait couler beaucoup d’encre s’applique habituellement aux personnes qui s’adonnent délibérément à des activités dangereuses. On lui attribue le pouvoir de refouler les régimes de responsabilités sans faute comme celui du fait des choses. Hormis le cas où le risque serait anormal, comme le risque de mort, les compétiteurs renoncent par une sorte de convention tacite au bénéfice de l’article 1384 alinéa 1 du code civil. Dès lors, la victime ne peut actionner l’auteur de l’accident que sur le fondement d’un régime de responsabilité pour faute dont la charge de la preuve lui incombe. Les dispositions de la loi du 3 juillet 1985, qui ont mis en place en faveur des victimes d’accidents de la circulation un régime de responsabilité sans faute encore plus favorable que celui de l’article 1384 alinéa 1, ont pour les mêmes raisons, été jugées inapplicables aux pilotes automobiles et motocyclistes [1].

2- Toutefois ce refoulement ne concernait, jusqu’à présent, que les accidents survenus en course. La présente collision entre les deux motocyclistes s’étant produit à l’entraînement, la victime avait quelques raisons de penser que les motifs d’exclusion de la loi de 1985 concernaient l’épreuve elle-même et non sa préparation. La cour d’appel de Versailles l’approuve. Contre toute attente, la Cour de cassation lui donne tort au motif que l’accident n’est pas un accident de la circulation [2].

3- Devant ce refus, le pilote accidenté s’en remet alors aux dispositions du droit commun devant la cour de renvoi. Son action n’avait guère de chance d’aboutir sur le fondement de l’article 1382 car il avait alors la charge d’établir la faute du pilote. Or comme l’avait relevé la cour d’appel de Paris, il ne pouvait être jugé coupable d’avoir choisi la trajectoire qu’il estimait propre à améliorer ses performances en l’absence de règle imposant à un pilote de ne rouler que sur une partie de la piste. De surcroît, il était difficile de lui reprocher un défaut de maîtrise de son engin, car n’étant soumis à aucune limitation de vitesse, il avait pu légitimement être surpris, de trouver sur la piste à environ 120 mètres de la sortie du virage l’autre pilote poussant la motocyclette d’un autre coureur, à la vitesse anormalement réduite de 20 km/h.

4- En revanche, la pilote accidenté pouvait espérer obtenir gain de cause sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1. Ce régime de responsabilité applicable aux accidents provoqués par le fait d’une chose est particulièrement avantageux pour les victimes qu’il dispense de la charge de la preuve d’une faute du gardien de la chose. De surcroît, il s’appliquait jusque là aux accidents sportifs survenus hors compétition. Il avait été, ainsi, précédemment jugé, à l’occasion d’une collision entre cyclotouristes, qu’il n’y a pas d’acceptation des risques entre amateurs animés du seul désir de s’entraîner [3]. Pourtant, la cour de Paris relève que l’acceptation des risques à l’entraînement entre concurrents fait obstacle à l’article 1384 alinéa 1 [4].

5- Cette décision est à son tour censurée par l’arrêt de la 2ème chambre civile du 4 novembre 2010. Son attendu de principe retiendra l’attention. Par sa généralité, il englobe tous les accidents sportifs survenus ou non en compétition. C’est bien d’un revirement de jurisprudence dont il est question. Désormais, l’auteur d’un accident sportif provoqué par la chose dont il a la garde ne pourra plus opposer à sa victime l’acceptation des risques y compris pour les accidents survenus en compétition.

6- La cour de renvoi aura à apprécier si les conditions d’application de l’article 1384 alinéa 1 sont, en l’occurrence, réunies. On peut supposer que l’auteur de l’accident avait bien la garde de sa motocyclette au moment de l’accident c’est à dire l’usage, le contrôle et la direction. Il n’en irait autrement que s’il avait la qualité de préposé et agissait sous les ordres d’un employeur exploitant une écurie motocycliste car il est de jurisprudence constante que le préposé n’a pas la qualité de gardien. Le fait de la chose ne devrait pas faire non plus de difficulté puisqu’il est présumé pour les choses mobiles ce qui était le cas dans la présente espèce où la motocyclette du pilote était entré en collision avec la victime.

7- S’agissant d’un régime de responsabilité sans faute, l’auteur de l’accident ne peut s’exonérer en établissant qu’il n’a pas commis de faute. Il n’aura donc guère d’autre alternative pour combattre la présomption de responsabilité que d’établir un cas de force majeure ou la faute de la victime. A cet égard, la cour de renvoi devra examiner si le fait qu’il a été surpris par la présence de la victime poussant à faible allure un autre pilote en panne constituait un événement imprévisible et irrésistible ou tout au moins une faute de la victime dès lors que le circuit était équipé d’un couloir permettant un retour aux stands en toute sécurité.

 

Jean-Pierre VIAL Docteur en droit Inspecteur de la jeunesse et des sports

En savoir plus :

Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur Un ouvrage de M Jean-Pierre Vial, Ed. Cadre Territoriale – septembre 2010 : voir en ligne

Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Civ. 2e, 28 févr. 1996, Bull. civ. II, n° 37 ; Resp. civ. et assur. 1996.comm.168 et chron.22, H. Groutel

[2] Civ 2e, 4 janv. 2006 Bull. Civ. 2006 II n° 1 p. 1. D. 2006, n° 35, p. 2443-2445, obs. J. Mouly

[3] Civ 2, 22 mars 1995, D 1998, som p 43 obs. Mouly

[4] Paris, 17 mars 2008

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