Un enfant de 5 ans victime de noyade dans la partie la plus profonde d’une piscine municipale est atteint d’hémiplégie. Un adolescent de 14 ans plonge d’une digue et se retrouve tétraplégique. La Cour administrative d’appel de Lyon condamne la commune pour défaut de surveillance dans la première affaire (arrêt du 6 mai 2010) et déboute la victime dans la seconde (arrêt du 8 avril 2010). Dans chacune de ces espèces, il était question d’un défaut d’aménagement de l’ouvrage (I) : insuffisance de protection de la grille de séparation des deux bassins dans la première et défaut de signalisation du danger dans la seconde. La noyade de l’enfant a également fait l’objet d’un débat sur les conditions d’exercice de la surveillance des bassins (II).

I-Le défaut d’aménagement de l’ouvrage public

1-Le régime de responsabilité applicable à une piscine et à une digue est celui des ouvrages publics. Ces installations réunissent en effet les critères constitutifs de l’ouvrage public. Elles sont bien le résultat d’un travail de l’homme et non de la nature. Il s’agit d’équipements immobiliers même si la question aurait pu se poser dans la première espèce pour la grille de séparation entre les deux bains de l’unique bassin. Toutefois, un bien mobilier est considéré comme un ouvrage public s’il constitue l’accessoire d’une installation immobilière et n’en est pas dissociable. L’accessoire suit alors le principal, ce qui était le cas en l’occurrence. Enfin l’ouvrage doit être affecté à un intérêt général indiscutable dans les deux espèces.

2-Le régime de responsabilité applicable aux ouvrages publics est celui d’une faute présumée mise à la charge du propriétaire de l’installation. Elle est avantageuse pour la victime qu’elle décharge du fardeau de la preuve. En effet, l’installation est présumée avoir mal fonctionné. Le renversement de la charge de la preuve met la commune dans l’obligation d’établir l’absence de défectuosité de l’ouvrage.

3-La présomption «  de défaut d’entretien normal » doit être comprise au sens large. Elle concerne aussi bien le défaut de conception de fabrication, d’entretien et de signalisation des dangers de l’installation que son incapacité à remplir sa fonction. Dans la première espèce, les deux parties étaient en désaccord sur le rôle imparti à la grille de séparation entre les deux bains. Simple délimitation en vue de matérialiser une différence de profondeur entre le petit bain et la partie plus profonde du bassin pour la commune. Barrière de sécurité destinée à empêcher le passage des usagers pour les parents.

4-Le tribunal administratif avait donné raison à la commune et conclu à un défaut d’aménagement normal de l’ouvrage après avoir observé que la grille était facilement franchissable et, par conséquent, n’offrait pas de protection adaptée aux dangers encourus par les jeunes enfants ne sachant pas nager. La Cour d’appel considère, au contraire, à la lumière de l’instruction, que la grille litigieuse n’avait pas pour finalité d’empêcher le passage d’usagers entre les deux bains mais seulement de délimiter un petit bain et un bassin moyen de sorte qu’elle aurait normalement rempli sa fonction. Dans ces conditions, il aurait été utile de rechercher si la signalisation des profondeurs entre les deux parties du bassin était suffisamment visible pour alerter les usagers, faute de quoi l’ouvrage aurait été affecté d’un défaut d’entretien normal. Mais la question n’ayant pas été soulevée, il est impossible de conclure sur ce point.

5- Dans l’autre espèce où un adolescent avait heurté un rocher en plongeant d’une digue, la commune n’a pas eu grande difficulté à combattre la présomption de défaut d’entretien de l’ouvrage. Il lui a suffit, en effet, d’établir que la victime avait fait un usage anormal de l’ouvrage. En effet, une digue n’est pas un plongeoir. Ainsi que l’a encore récemment indiqué le Conseil d’Etat, à partir du moment où le plongeur l’utilise comme plongeoir alors qu’il s’agit d’un équipement non spécialement prévu à cet effet, il lui appartient de s’assurer au préalable de la possibilité de le faire sans danger [1]. On trouve une jurisprudence semblable pour les plongeons effectués à partir d’un ponton [2] ou d’une jetée [3] qui sont considérés comme des utilisations anormales de l’installation.

6-La faute de la victime n’est pas seulement d’avoir fait une utilisation anormale de l’ouvrage, c’est aussi d’avoir plongé malgré la présence de rochers visibles ou perceptibles à un endroit dont elle ne pouvait méconnaître la dangerosité pour y avoir passé l’après midi. Il y a donc une double imprudence de sa part. Si on y ajoute le manque de vigilance des accompagnateurs qui l’ont laissé sans surveillance, on peut comprendre que les juges y aient vu la cause exclusive du dommage. Toutefois, aucune signalisation n’ayant alerté les baigneurs sur le danger de l’ouvrage pourtant régulièrement fréquenté en période saisonnière, il eut été logique de décider d’un partage de responsabilité. En réalité, le rejet de la demande s’explique par l’application classique de la théorie de la causalité adéquate en vertu de laquelle le juge administratif ne retient que les causes décisives du dommage -en l’occurrence la gravité de la faute commise par la victime et ses accompagnateurs- et élimine celles qui n’ont été que l’occasion du dommage comme le défaut de signalisation [4].

II- Le défaut de surveillance

7-A la différence du régime de responsabilité pour faute présumée, celui applicable au fonctionnement du service public relève d’une responsabilité pour faute prouvée. Les parents dont l’enfant s’était noyé, avaient donc à leur charge d’établir le défaut d’organisation des secours et du service de surveillance de la piscine dont ils se prévalaient dans leur demande d’indemnisation. Le premier moyen a été facilement écarté puisque l’instruction n’a pas fait apparaître que les soins de réanimation prodigués à la victime aient été défaillants. En revanche, les circonstances dans lesquelles l’accident s’est produit vont singulièrement faciliter la tâche des parents pour l’administration de la preuve.

8-Tout montre, en effet, que la surveillance était singulièrement relâchée puisque l’enfant a été secouru à deux reprises par des usagers. Une première fois en fin de matinée après être tombé dans le petit bassin et la seconde fois, au moment de l’accident, où il est découvert dans la partie la plus profonde du petit bassin de la piscine flottant à la surface de l’eau sur le ventre. L’instruction révèle que le maître nageur sauveteur chargé de sa surveillance se trouvait, à ce moment là, distant d’une dizaine de mètres du bord du bassin à l’abri d’un préau en compagnie d’un agent de sécurité.

9-Le fait que l’alerte soit donnée par un usager ne révèle pas nécessairement une défaillance du service de surveillance s’il est établi que l’accident s’est produit dans un délai très court, comme le relèvent en l’espèce les juges, et que la victime a été rapidement secourue [5].

10-Dans ces conditions, il faut rechercher s’il y a bien un lien de causalité entre le manque de vigilance du surveillant de bain et le décès. La causalité est habituellement établie lorsqu’un certain temps s’est écoulé entre le début de la noyade et le décès. On peut considérer, en effet, que si le maître nageur avait été vigilant il aurait pu intervenir à temps. En revanche, lorsque le délai a été très court le lien de causalité est plus difficile à établir. Le fait qu’aient été constatées chez l’enfant des lésions pulmonaires consécutives à l’inhalation de liquide, pourrait laisser penser à une noyade par submersion et donc à l’existence de cette fameuse causalité. Mais rien dans les circonstances de l’espèce n’indique que le malheureux se soit débattu comme le font habituellement les victimes de ce type de noyade. C’est sans doute la raison pour laquelle une noyade par hydrocution, où la victime coule à pic, paraissait plus plausible à la commune, d’autant que, selon ses observations, l’enfant était resté exposé au soleil une bonne vingtaine de minute. Mais il est impossible de trancher entre ces deux versions sans rapport d’autopsie faisant état des circonstances précises de l’accident et du décès. Cette information est pourtant essentielle pour la détermination du lien de causalité. En effet, s’il était établi qu’une surveillance normale du bassin n’aurait pas empêché le décès pour cause de mort subite, il n’aurait pas été possible de retenir la responsabilité de la commune du fait de l’absence de causalité.

11-Dans l’incertitude sur le lien de causalité, il est difficile de suivre les juges lorsqu’ils affirment que la brièveté de survenance de l’accident n’en révèle pas moins une faute dans les conditions de surveillance de la piscine. Ou alors, il faut admettre qu’ils présument l’existence du lien de causalité comme cela a pu être jugé lorsque le « risque est hautement prévisible [6] ».

12-Mise à part cette réserve, on approuvera leur décision d’un partage de responsabilité évalué à la moitié des conséquences dommageables de l’accident, dès lors que le défaut de surveillance de la gardienne de l’enfant entre pour une part non négligeable dans la survenance de la noyade et de l’hémiplégie qui s’en est suivie pour la victime.

13- Contrairement à la position défendue par les parents de la victime, ceux qui ont en charge la garde d’enfants mineurs ne sont pas dispensés de leur obligation de surveillance en raison de la présence de surveillants de bains comme cela a été jugé pour des moniteurs de centres de loisirs. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence considère que « le contrat liant le père à la colonie ne saurait momentanément être occulté, pendant le temps de la baignade au profit de celui passé entre ladite colonie et la piscine municipale » [7]. Il est donc acquis que pendant le bain « les animateurs continuent à avoir un rôle de surveillance à l’égard de leur groupe d’enfants alors que les maîtres nageurs doivent de leur côté surveiller l’ensemble des nageurs de la piscine » [8]. Le Conseil d’Etat s’est prononcé dans le même sens à propos de la faute de surveillance de la mère d’un enfant noyé. Dans l’arrêt Addichane, il impute pour moitié l’accident à l’imprudence de la mère « qui s’est rendue à la piscine avec quatre jeunes enfants dont seul l’aîné savait un peu nager et n’a pu exercer sur eux une surveillance suffisante » [9]. On retrouve des circonstances semblables dans la présente espèce puisque la tante de la jeune victime avait également sous sa surveillance trois autres enfants âgés de 1 à 12 ans. Le fait qu’elle se trouvait à une cinquantaine de mètres du bassin, occupée par son bébé au moment de l’accident illustre parfaitement son incapacité à assurer la surveillance des enfants qu’elle avait à sa charge.

14-L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon retenant la faute de surveillance de la gardienne de l’enfant se situe donc dans la droite ligne de cette jurisprudence. Il laisse une marge d’appréciation au juge en indiquant qu’il doit être tenu compte notamment de l’âge et du comportement de l’enfant. Si les parents n’ont pas à exercer de surveillance constante sur leurs adolescents, en revanche une surveillance rapprochée s’impose pour des enfants en bas âge comme l’était la victime âgée de 5 ans qui, de surcroît, ne portait ni brassards ni bouée et ne savait pas nager.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CAA Lyon 6 mai 2010
CAA Lyon 8 avril 2010



Notes:

[1] CE 26 févr. 2010 n° 306031, ville de Marseille.

[2] CE 9 févr. 1972 Mme Edel, Rec. Leb.tables p. 998. CAA Bordeaux 22 juill. 1996, Juris-data n° 048315, Repaire. CAA Marseille 2 mai 2005, n° 02MA01709, ville de Marseille.

[3] CAA Bordeaux 27 mars 2000, Monanteau.

[4] Ainsi, l’imprudence de la victime arrivée en courant de la fosse à plongeon et qui a plongé précipitamment dans le bassin sans s’assurer qu’elle pouvait le faire sans danger a été jugée comme la cause exclusive de ses blessures, bien que les panneaux situés de chaque côté du bassin interdisant aux usagers de plonger n’étaient pas visibles de tous les baigneurs (CAA Nantes 8 juin 1995 n° 93NT OO126, ville de Deauville). De même, la faute d’une particulière gravité de celui qui utilise un plongeoir à marée basse malgré les difficultés d’accès au premier barreau du plongeoir du fait de l’abaissement du niveau de la mer et les avertissements lancés par d’autres baigneurs suffit pour écarter la faute imputable à l’absence de surveillance de la plage le jour de l’accident. (CAA Nantes 29 nov. 1990, n° 89 NTOO423 Ville de St Marie sur Mer).

[5] En ce sens, CAA Nancy, 9 avr. 1992, Consorts Pedron. CAA Nancy, 30 nov. 1993, commune de Montbard, Juris-data n° 045836. CE 6 juin 1975, Epoux Schreiber, CE 5 oct. 1973, ville de Rennes. CE 19 mai 1983, Policardo. D 1884.I.R.335 (note Moderne et Bon).

[6] Ainsi la noyade apparaît comme la conséquence prévisible du bain pris par un jeune qui ne sait pas nager et vient d’être déplâtré d’un bras dans une eau profonde, boueuse et de surcroît signalée comme dangereuse, (Aix en Provence 7 juillet 1993, Juris data N° 046947). De même, un exploitant « créé une situation dangereuse » en permettant aux usagers insuffisamment prévenus de penser qu’il est possible de plonger dans n’importe quelle partie du grand bain alors que la profondeur de l’eau est insuffisante à 3 mètres de la corde le séparant du petit bain (Civ-1-7 mars 1966. Association « Les Enfants de Neptune » Bull. Civ. 1re p 129).

[7] Aix en Provence 29 nov. 1991, Dauphin, Juris-data n° 049578.

[8] Trib. corr. Paris 10 juill.1989 Ramdani c/ Boquet. Dans le même sens, Nouméa 30 mars 1993, Commune de Nouméa « Attendu que le fait que l’activité ait été exercée à la piscine municipale comprenant un personnel de maîtres nageurs ne saurait exonérer Madame M, l’organisation devant être conçue et réalisée de manière complémentaire avec celle existant à la piscine municipale, de telle sorte qu’un nombre d’adultes suffisant assure en permanence l’encadrement d’enfants ».

[9] CE 7 décembre 1984. Dans le même sens TA Clermont Ferrand, Epoux Marolles 25 mars 1989. Il est reproché aux parents de s’être tenu à une dizaine de mètres de la berge alors la victime était un enfant en très bas âge.

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