Très prisées des spectateurs, les épreuves spéciales des rallyes automobiles les exposent au risque de collision, en cas de sortie de route d’un concurrent comme cela s’était produit dans l’espèce jugée par la Cour d’appel de Lyon. La victime avait actionné en responsabilité le pilote sur le fondement de la loi de 1985 relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation (I). Sa demande fut rejetée par les premiers juges qui imputèrent l’accident à son imprudence en la qualifiant de faute inexcusable (II). La Cour d’appel infirme le jugement dans son arrêt du 16 juillet 2009. Elle considère, en parfait désaccord avec celui-ci, qu’il n’y a aucune faute du spectateur, mais au contraire, une défaillance de l’organisateur à qui est reproché l’ambigüité de la signalisation à l’endroit de l’accident. Cette décision ouvre à la victime la voie de l’indemnisation par le pilote et permet à celui-ci d’être relevé de sa condamnation par l’organisateur, à qui incombe la charge définitive de la dette (III).

I – Responsabilité du pilote

Comme il est fréquent dans ce genre de litige, le spectateur accidenté avait actionné l’organisateur et le pilote. Le succès de l’action contre l’organisateur n’était pas garanti car subordonné à la preuve d’un manquement à son obligation de sécurité. Celle susceptible d’être engagée contre le pilote sur le fondement des articles 1382 et 1383 n’avait également guère plus de chance d’aboutir car il aurait fallu prouver une faute de conduite de sa part. La recherche de la vitesse faisant partie des finalités d’une course automobile, il est peu probable qu’un excès de vitesse ait pu lui être reproché dans la présente espèce, d’autant que l’existence d’un échappatoire au lieu de l’accident montrait bien qu’à cet endroit les sorties de route étaient prévisibles. En revanche, l’action fondée sur la loi du 3 juillet 1985, qui s’applique aux accidents de la circulation provoqués par des véhicules terrestre à moteur, avait plus de chance de succès. Le doute qui a pu exister un temps sur l’application de cette loi aux accidents de course automobile survenus sur un circuit fermé à la circulation a été levé par la Cour de cassation. Elle a estimé que cette circonstance n’était pas de nature à faire perdre son caractère d’accident de la circulation à une collision entre un concurrent et un spectateur [1]. La loi de 1985, qui ne s’applique pas entre pilotes automobile pour cause d’acceptation des risques [2], présente un double avantage pour le spectateur. D’abord, s’agissant d’une responsabilité de plein droit, elle le dispense d’avoir à rapporter la preuve d’une faute du conducteur. Ensuite, à la différence du droit commun de la responsabilité du fait des choses qui permet au défendeur d’opposer à la victime sa faute d’inattention ou même une simple maladresse de sa part, la loi du 5 juillet 1985 limite singulièrement les possibilités d’exonération du conducteur. Celui-ci ne peut lui opposer que sa « faute inexcusable » et à condition qu’elle ait été « la cause exclusive de l’accident » (article 3).

II – Faute de la victime

Un des éléments clef du débat dans cette affaire concernait précisément le degré de gravité de la faute reprochée à la victime. Les premiers juges avaient estimé qu’en se plaçant à un endroit interdit, elle « avait adopté un comportement présentant toutes les caractéristiques de la faute inexcusable ». Cette qualification n’était pas sans conséquence puisque la loi de 1985 n’offre pas d’autre possibilité au conducteur que ce moyen d’exonération. C’est ici le lieu de rappeler, comme le fait la Cour d’appel, que la faute inexcusable est définie comme celle « volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » [3]. En l’occurrence, la faute commise par le spectateur était-elle d’une exceptionnelle gravité ? Il est permis d’en douter. Dans les accidents de rallye, des fautes inexcusables ont été relevées quand les spectateurs ne se sont pas exécutés malgré un rappel à l’ordre des organisateurs [4]. Or nulle part, il n’est fait état de tels avertissements verbaux dans l’arrêt du 16 juillet 2009. Il est vrai qu’un panneau mentionnant « interdit au public » était implanté à l’entrée de l’échappatoire. Mais les juges relèvent qu’un ruban plastifié rouge et blanc le traversait à 40 mètres environ du circuit et qu’à l’arrière de cette rubalise se trouvait un passage pour piétons. Ils en concluent que la victime avait pu croire en toute bonne foi que « s’il était interdit de se placer entre le circuit et la rubalise, (…) il était licite de se placer derrière celle-ci ». Une telle erreur d’appréciation a déjà été admise par les tribunaux, notamment dans une espèce où il a été jugé que des spectateurs pouvaient croire que leur position, très en retrait de la chaussée, leur offrait une marge de sécurité suffisante [5]. La faute n’était donc pas, en l’occurrence inexcusable. Fallait-il cependant considérer comme l’a fait la Cour d’appel quelle était inexistante et imputer le dommage à la faute exclusive de l’organisateur, il est aussi permis d’en douter (voir infra) Quoiqu’il en soit, même si la cour d’appel avait suivi l’analyse des premiers juges, il fallait établir que cette faute était la cause exclusive de l’accident [6]. C’est le deuxième barrage dressé par le législateur pour limiter les possibilités d’exonération du conducteur. La faute inexcusable est nécessaire mais insuffisante. Le tribunal de grande instance avait estimé que la condition d’exclusivité de la faute était remplie. La victime soutenait, au contraire, que la longueur insuffisante de l’échappatoire et les défaillances techniques du véhicule étaient à l’origine de l’accident. La cour d’appel lui donne en partie raison puisqu’elle observe dans la relation des faits que le véhicule incriminé à quitté le circuit « à la suite d’une défaillance technique ». Il pourrait donc être reproché un défaut d’entretien au pilote. Par ailleurs, les circonstances de l’espèce, exposées en détail par la Cour d’appel, révèlent qu’il y a bien eu manquement de l’organisateur à son obligation de sécurité. Ces diverses constatations attestant que l’accident ne pouvait être imputable au seul fait du spectateur suffisaient pour ouvrir son droit à l’indemnisation y compris si le Cour d’appel avait relevé une faute de sa part.

III-Faute de l’organisateur

En première instance, le pilote actionné par le spectateur avait appelé en garantie l’organisateur de l’épreuve. Cet appel en garantie fut déclaré sans objet par les premiers juges qui avaient imputé le dommage à la faute exclusive de la victime. Cette analyse ayant été remise en cause par les juges d’appel pour absence de faute de celle-ci, la question de la responsabilité de l’organisateur se posait donc à nouveau. Il faut rappeler ici que les organisateurs de manifestations sportives sont assujettis à une obligation de sécurité. Cette obligation est de moyens. L’organisateur ne s’engage pas vis-à-vis des compétiteurs et spectateurs à l’achèvement de la compétition sans accident, ce qui équivaudrait à souscrire une obligation de résultat, mais à prendre les mesures nécessaires pour la protection des participants. Par voie de conséquence, sa responsabilité ne peut pas être établie du seul fait de la survenance du dommage. La victime (ou l’appelant en garantie) doit rapporter la preuve d’une faute de sa part. Dans les sports de compétition à haut risque comme le sont les courses automobiles, la charge de cette preuve est allégée par les tribunaux qui ont tendance à retenir plus facilement la faute de l’organisateur. La présente espèce l’atteste puisqu’il ne pouvait pas lui être reproché de n’avoir accordé aucune attention à la sécurité des spectateurs. Des mesures avaient été prises. Un panneau mentionnant « interdit au public » était implanté à l’entrée de l’échappatoire ; en outre, cette interdiction avait été matérialisée par un ruban le traversant sur toute sa largeur à une distance d’une trentaine de mètres du circuit. Il avait cependant échappé à l’organisateur que le passage pour piéton derrière cette rubalise pouvait laisser penser aux spectateurs qu’ils étaient autorisés à traverser cette zone et, le cas échéant, y stationner comme l’avait fait la victime. Il a donc suffit d’une simple confusion dans la signalisation pour que la faute de l’organisateur soit retenue. Cette faute était-elle la cause exclusive du dommage ? Derrière cette question, il y avait l’enjeu d’un partage de responsabilité. En effet, si une faute de la victime avait été établie, l’organisateur aurait pu l’opposer au pilote ou à son assureur exerçant leur recours après avoir indemnisé la victime [7]. N’y avait-t-il pas une voie moyenne entre la faute inexcusable retenue par les premiers juges et l’absence totale de faute admise par la Cour d’appel ? Sans doute était-il déraisonnable de qualifier la faute du spectateur d’inexcusable en raison de cette fameuse ambigüité de la signalisation qui l’avait induit en erreur. Pour autant, le panneau d’interdiction au public et la nature même de l’échappatoire n’auraient-ils pas dû le mettre en alerte ? Etait-il vraiment prudent de stationner en avant d’un panneau d’interdiction alors que tout spectateur d’un rallye automobile ne peut méconnaitre les risques de sortie de route des concurrents ? Le grand public sait bien, et spécialement des amateurs de ce type d’épreuves, qu’elles sont endeuillées de nombreux accidents dont les principales victimes sont des spectateurs. Si l’arrêt, qui ne retient aucune faute contre le spectateur, ne convainc pas, en revanche, il est inattaquable sur l’absence de faute du pilote. Il est parfaitement juste de dire que la présence d’un spectateur sur un échappatoire a constitué pour lui un cas de force majeure. D’une part, l’événement était bien imprévisible car il n’est pas normalement envisageable pour un pilote de se trouver face à face avec un spectateur sur une zone réservée aux concurrents qui perdent le contrôle de leur véhicule. D’autre part, il lui était impossible d’éviter le spectateur puisqu’en effectuant une sortie de route il avait perdu le contrôle de son véhicule. La condition d’irrésistibilité paraissait donc bien satisfaite. S’il ne pouvait opposer ce cas de force majeure à la victime comme le prévoit la loi de 1985 (article 2), en revanche, le pilote avait tout le loisir d’opposer ce moyen d’exonération à l’organisateur et éviter ainsi un partage de responsabilité. Voilà pourquoi, la Cour d’appel après avoir énoncé « que la victime avait droit à être intégralement indemnisée par le conducteur du véhicule » conclut très logiquement au relèvement par l’organisateur de l’intégralité des condamnations prononcée contre le pilote. S’il faut approuver cette décision pour avoir retenue la responsabilité de l’organisateur, on regrettera, cependant, que la totalité de la dette de réparation demeure à sa charge alors que le spectateur aurait du, à notre avis, en supporter une partie.

 

Jean- Pierre Vial, Inspecteur Jeunesse et Sport

Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Crim. 16 juill. 1987, Bull. crim. no 294. Cass. 2e civ. 10 mars 1988, Bull. civ. II, no 59 (collision entre un coureur motocycliste et un spectateur)

[2] Civ. 2, 28 févr. 1996, Bull. civ. II, no 37.

[3] Civ. 2, 20 juill. 1987, Bull. civ. II, n° 160 et 161, Gaz. Pal. 1988, 1, p. 26, obs. F. Chabas.

[4] Aix-en-Provence, 29 nov. 1988, Juris-Data n° 050915.

[5]  En l’occurrence, ils étaient placés à proximité d’un virage, le long du portail d’une ferme situé en retrait de 5 mètres de la route. Douai, 14 sept. 1990, Juris-Data n° 049115.

[6] Selon l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985, les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées de leurs dommages corporels, « sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident ».

[7] La Cour de cassation considère que le conducteur du véhicule condamné à réparer le dommage causé à un tiers ne peut exercer un recours contre un co-auteur n’ayant pas la qualité de conducteur (en l’occurrence l’organisateur) que dans la limite de la part de responsabilité encourue par ce dernier à l’égard de la victime. Civ 2, 10 mars 2004, Bull. civ. II, n° 95.

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