Les arrêts des cours d’appel de Versailles (5 mars 2015 R.G. n° 13/01503) et de Rennes (24 juin 2015 R.G n° 14/00513) apportent un nouvel éclairage sur les modalités d’exécution de l’obligation d’information des groupements sportifs en matière d’assurance contre les accidents corporels dont il a été plusieurs fois question dans nos commentaires (news du 26 février 2015 et du 26 février 2014). Ils s’acquittent de leur obligation d’information à l’égard des licenciés ordinaires en leur faisant parvenir une documentation détaillée et une demande de licence où les intéressé déclarent avoir pris connaissance des garanties d’assurances complémentaires. En revanche, les clubs ne peuvent se contenter de cette formalité pour les sportifs de haut niveau. Ils doivent leur fournir une information personnalisée. A cette condition, ils pourront établir que ceux-ci ont acquis une connaissance effective de l’intérêt à souscrire de telles garanties.
1-Lors d’une compétition de bicross, un des participants est gravement blessé à la cheville. Il assigne alors la Fédération Française de cyclisme en réparation de son préjudice en lui reprochant d’avoir manqué à l’obligation d’information et de conseil à la charge des groupements sportifs. Plus précisément il fait valoir que, contrairement aux prescriptions de l’article L 321-4 du code du sport. Cette obligation, souvent négligée, a suscité de fréquents rappels à l’ordre de la Cour de cassation reprochant notamment aux fédérations sportives de conclure un contrat d’assurance de personne de groupe, sans informer leurs adhérents de l’étendue de la garantie ainsi procurée et de leur intérêt à souscrire une garantie plus étendue[1] notamment contre les risques particuliers et élevés, qu\’entraîne la pratique du sport de compétition[2].
5-Si les fédérations ont retenu la leçon et prennent garde aujourd’hui d’informer leurs adhérents, ce sont les modalités formelles de cette information qui suscitent encore des litiges. Sous l’empire de la loi du 16 juillet 1984 modifiée, les groupements sportifs devaient tenir à la disposition de leurs adhérents des formules de garantie. La loi du 6 juillet 2000 a rompu avec cette exigence allégeant du même coup la charge des groupements.
6-Dans la pratique, cependant, lorsque la fédération a souscrit une police de groupe pour le compte de ses licenciés, les clubs continuent à transmettre la proposition de garantie venant de la fédération. Pourtant, le contentieux ne s’est pas tari, comme l’attestent les deux arrêts des cours d’appel de Rennes et Versailles. Il s’explique par une information insuffisante sur les propositions de garantie. Les victimes reprochent aux fédérations de ne pas avoir été correctement avisées de la possibilité de souscrire des garanties complémentaires. Ainsi, il a été jugé, que la mention portée sur une licence de la Délégation nationale des sports équestres selon laquelle « le titulaire déclare avoir pris connaissance … des conditions du contrat » ne satisfaisait pas aux exigences de la loi[3]. Même rappel à l’ordre de la Cour de cassation à propos d’un emplacement sur la licence portant la mention « Timbre surprime, en cas d’option pour une garantie supérieure ». Là encore, la Haute Juridiction a estimé que le club de cyclisme mis en cause n’établissait pas que la victime avait été informée de la faiblesse de la garantie et de possibilité d\’opter pour une garantie supérieure[4]. On relèvera au passage que la Cour de cassation se montre particulièrement protectrice envers les sportifs puisque ce ne sont pas à eux de prouver l’inexécution du devoir d’information par leur fédération, mais à celle-ci de rapporter la preuve qu’elle s’en est acquittée.
7- Aussi, les fédérations ont-elles pris les devants en se préconstituant cette preuve par des mentions figurant sur la demande de licence. Ainsi, les arrêts rendus par les cours d’appel de Versailles et de Rennes révèlent que les imprimés des Fédérations Française de Cyclisme et d’Haltérophilie comportent la mention : « je reconnais avoir pris connaissance des garanties d’assurances liées à la licence ainsi que des possibilités de garanties complémentaires offertes par l’assureur » (qui figure au dos de la demande). Si la cour de Rennes a jugé ces précautions probatoires suffisantes, celle de Versailles, en revanche, est d’un avis contraire.
8-La comparaison entre les deux décisions est éclairante. Dans les deux cas, les juges ont estimé que les supports informatifs n’encourraient pas de critique. La cour de Rennes relève que le club et la fédération se sont acquittés de leur obligation d’information à la fois par la mention déclarant que le licencié a pris connaissance des garanties d\’assurances liées à la licence et par le règlement intérieur du club avisant ses adhérents qu’ils sont couverts pour les accidents corporels et ont la possibilité de s’assurer pour des garanties supplémentaires. De son côté, la cour de Versailles admet que le contenu des supports informatifs diffusés par la FFC était « parfaitement clair y compris pour un jeune majeur à condition de s’astreindre à en prendre connaissance ». Pourtant les deux juridictions aboutissent à des solutions diamétralement opposées. Celle de Rennes rejette les prétentions de la victime tandis que celle de Versailles retient la responsabilité de la fédération.
9-La cour de Versailles observe que « les obligations de la FFC ne sauraient se limiter, dans le cas présent, à l’envoi d’une documentation précise et détaillée ». Cette affirmation d’une obligation de moyens alourdie s’explique de trois manières à l’examen des motifs invoqués par les juges. D’abord, la dangerosité de ce sport dont « il n’est pas contesté qu’il s\’agit d’un sport acrobatique consistant à franchir des obstacles en vélo de bicross ». Ensuite le fait qu’il soit pratiqué à un haut niveau puisque le jeune champion « était conduit, à participer à des épreuves de niveau international et ainsi à prendre des risques encore plus élevés ». Enfin, la victime, membre d’un pôle d’entrainement géré par la fédération, était « totalement prise en charge sur le plan scolaire, médical et au quotidien » pour la préparation aux compétitions internationales.
10-C’est donc bien la différence de niveau sportif qui explique la différence d’appréciation entre les deux juridictions. Dans un cas, la victime est un licencié ordinaire. Dans le second, il s’agit d’un sportif de haut niveau, champion de France en 2004 et sélectionné pour faire partie du collectif Equipe de France de BMX pour 2006.
11-L\’envoi d\’une documentation précise et détaillée a donc été jugé insuffisant pour l’information de ce jeune champion. Il eut fallut, selon l’arrêt, que la fédération « apporte un soin particulier à la délivrance d’une information personnalisée dans un tel contexte, qui ne pouvait se limiter à la seule signature, sans réflexion suffisante, de la demande de souscription d’une licence, par l’intermédiaire de son club sportif ». Comme le précise, en substance, la cour de Rennes « la dangerosité d’un sport commande le niveau des exigences attendues de l’organisateur pour satisfaire à son obligation ». La fédération ne peut se contenter d’une déclaration écrite signée de la main de l’intéressé attestant qu’il a pris connaissance de l’offre d’assurance comme preuve de l’exécution de son obligation d’information. Elle doit s’assurer « par une information personnalisée » que la connaissance par le licencié de l’intérêt qu’il avait à souscrire des garanties complémentaire est « effective ». Cependant, rien n’est dit de la forme qu’elle devra prendre.
12-. On peut admettre que la fédération et le club s’acquittent de cette formalité en rapportant la preuve d’un entretien personnalisé avec l’intéressé (ou ses parents) au cours duquel lui sont présentées les différentes formules de garantie et l’intérêt de souscrire à celle la plus adaptée au niveau sportif de l’intéressé. L’obligation d’information se double alors d’une obligation de conseil qui trouver sa source dans l’obligation de sécurité renforcée qui s’applique aux organisateurs de sports dangereux.
13-Dans son arrêt de principe du 16 octobre 2001, la 1ère chambre civile a, en effet, rappelé « que le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »[5]. C’est en vertu de cette obligation de sécurité alourdie que les exploitants d’établissements sportifs sont tenus de veiller non seulement à l’aptitude physique de leurs clients néophytes mais également à leur capacité psychologique à pratiquer l’activité[6]. Ne peut-on pas appliquer le même raisonnement aux sportifs de haut niveau ? Il y aurait une double raison à cela. D’une part, la compétition les contraint à prendre des risques qui les exposent à un danger accru, spécialement pour les sports acrobatiques ou de contact. D’autre part, les fédérations sportives assurent le couvert, l’hébergement, le suivi médical et la scolarité des sportifs accueillis dans leurs pôles d’entraînement. Il n’y aurait donc rien d’anormal à leur imposer une obligation de conseil. Allant plus loin, pourquoi ne pas mettre à leur charge l’obligation de souscrire pour le compte de leurs champions des garanties d’assurance contre les accidents corporels à la mesure des risques qu’ils courent comme l’imposaient les arrêtés de 1962. Le retour à cette exigence[7] par le biais de l’obligation de sécurité serait la juste contrepartie des avantages qu’ils tirent des performances de leur élite sportive.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Cour d’Appel de Versailles, 5 mars 2015 R.G. n° 13/01503
Cour d’appel Rennes, 24 juin 2015 R.G n° 14/00513
Documents joints:
CA RENNES 24 JUIN 2015
Cour d’Appel de Versailles, 5 mars 2015 R.G. n° 13/01503