L’obligation de sécurité des centres équestres se mesure, pour l’essentiel, en considération du niveau des élèves (lire notre commentaire). Les cours d’appel de Grenoble (20 janvier 2015) et de Rennes (25 mars 2015) en administrent une nouvelle fois la preuve. Renforcée pour les débutants, l’obligation de sécurité est normalement allégée pour les pratiquants expérimentés. Une fois ce principe affirmé tout est affaire de circonstances et d’appréciation des juges.
1-On ne compte plus les chutes à cheval dans l’apprentissage de l’art équestre. Elles font partie de l’ordinaire d’un débutant. Cependant, lorsqu’elles provoquent des blessures, les victimes ont tendance à vouloir établir qu’elles n’étaient pas inévitables, comme faisant partie de l’apprentissage, mais bien la conséquence d’une faute de l’exploitant. Voici précisément deux espèces, où elles le rendent responsable des blessures occasionnés par une chute. Dans la première (Grenoble 20 janvier 2015), la victime invoque la responsabilité de plein droit du centre équestre sur le fondement de l’article 1385 du code civil ; elle soutient, dans la seconde (Rennes 25 mars 2015), que le moniteur a manqué à son obligation de sécurité sur le fondement de l’article 1385 du code civil. Selon ce texte le gardien d’un animal est, en effet, responsable du seul fait du dommage causé par celui-ci ce qui permet à la victime de faire l’économie de la charge de la preuve d’une faute.
3-Il est des situations, comme la présente, ou la délimitation entre responsabilité contractuelle et délictuelle est imprécise et où on hésite à qualifier de relation contractuelle ou de simple relation de fait celle qui unit l’auteur du dommage à la victime. Il faut donc s’interroger sur le concept de contrat. Il est d’abord un accord de volontés entre des personnes. Mais cet accord de volontés doit être générateur d’obligations. Aux termes de l’article 1101 du code civil « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». En l’occurrence, les parties n’ont pas exprimé clairement leur volonté de s’engager dès lors qu’il s’agissait de la participation à un cours à titre d’essai, prestation pour l’exécution de laquelle il n’est pas d’usage de rédiger un contrat. Il faut donc rechercher, à la lumière des circonstances, s’il y a eu une volonté de s’engager de la part du centre équestre. Si on ne s’oblige pas dans le cadre des relations amicales[1], il en va différemment ici où l’organisateur de la leçon est un professionnel. A partir du moment où il a accepté de donner une leçon, il était tenu par l’obligation de sécurité afférente à tout prestataire de service sportif. C’est ce que veut dire implicitement la cour d’appel de Grenoble lorsqu’elle déduit l’existence d’une relation contractuelle avec le Centre Equestre du seul fait que la chute de cheval s’est produite au cours d’une leçon d’équitation. Peu importe qu’elle ait été donnée à titre gratuit ou onéreux.
4-Il y avait encore une autre raison d’écarter l’application de l’article 1385, fondée cette fois-ci sur ses conditions de mise en œuvre. On rappelle que le responsable désigné est le propriétaire de l’animal ou celui qui l’a sous sa garde. La notion de garde de l’animal étant calquée sur celle applicable à la responsabilité du fait des choses, il faut admettre qu’est gardien de l’animal celui qui en a l’usage et exerce sur celui-ci un pouvoir de contrôle et de direction. Normalement ces pouvoirs sont exercés par le propriétaire de l’animal sauf s’il est établi que celui-ci les a transférés à un tiers. Or il a été jugé qu’une personne qui monte un cheval dans le but d’en faire l’essai, exerce temporairement un pouvoir de direction sur l’animal. Pourtant, elle n’en acquiert pas la garde si l’essai s’est déroulé en présence du propriétaire resté sur les lieux et sous son contrôle[2]. On fera également remarquer que, dans le cadre d’une reprise, les chevaux et leurs cavaliers agissent sous les ordres du maître de manège. Celui-ci exerçant un contrôle sur leurs évolutions, on peut admettre que les montures ne se trouvent pas sous la garde de ceux qui les montent mais sous la garde du maître de manège. Plus généralement, un cavalier débutant, comme c’était le cas de la jeune victime, n’a pas matériellement de pouvoir de contrôle et de direction sur l’animal. Ainsi, la cour d’appel de Toulouse a estimé que le propriétaire d’un cheval monté par un cavalier novice et inexpérimenté en sa présence et dans son enclos avait conservé la garde de l’animal[3].
5-La voie de la responsabilité délictuelle ayant été écartée, il appartenait aux juges de vérifier si l’accident provenait bien de l’inexécution d’une obligation du contrat. A cet égard, c’est d’obligation de sécurité dont il va être question puisque les victimes réclamaient réparation d’un dommage corporel.
II- Obligation de sécurité de l’exploitant
6-Le critère du rôle actif du créancier conduit nécessairement à qualifier d’obligation de moyens l’obligation de sécurité de l’exploitant de centre équestre. Par voie de conséquence, la victime doit supporter la charge de la preuve d’une négligence ou d’une imprudence de sa part. Toutefois, selon une jurisprudence constante, la pratique des sports à risque a une incidence sur l’intensité de l’obligation de sécurité. Dans un arrêt de principe du 16 octobre 2001, la 1ère chambre civile a rappelé « que le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »[4]. Pour sa part, la cour d’appel de Grenoble évoque ici une « obligation renforcée et proche de l’obligation de résultat ». L’emploi du terme « obligation renforcée » est inapproprié car il s’applique à la responsabilité pour faute présumée qui se caractérise par un renversement de la charge de la preuve. Or l’exploitant n’est pas présumé fautif et n’a donc pas à établir l’absence de faute de sa part.
7-Il est donc préférable de parler d’obligation de moyen « alourdie ». Celle-ci facilite la tâche de la victime dans la mesure où le juge se montre particulièrement exigeant sur les précautions que doit prendre l’encadrement pour prévenir tout dommage. Ainsi, la Cour de cassation a reproché à un moniteur de parapente de ne pas s’être assuré que son élève n’était pas en état physique et psychologique d’effectuer le saut[5] et à un moniteur de ski de ne pas avoir prévenu les pratiquants de la présence d’une barre rocheuse et d’avoir omis d’attirer leur attention sur la mauvaise qualité de la neige alors, pourtant, qu’il s’agissait de sportifs de haut niveau qui ne pouvaient ignorer le danger [6]. En somme, à partir du moment où le moindre écart de comportement est sanctionné il est juste de dire que l’obligation de l’exploitant est proche de l’obligation de résultat.
8-A la différence de celui qui, ignorant tout de l’équitation, vient uniquement pour le plaisir d’une promenade à dos de cheval, l’élève qui prend un cours ne peut espérer apprendre à monter à cheval sans risquer de tomber. L’apprentissage d’un sport nécessite d’être soumis à des difficultés croissantes afin de pouvoir acquérir, progressivement, une certaine autonomie. On ne peut donc reprocher à un moniteur d’avoir soustrait son élève à toute embûche pour faciliter la levée des inhibitions. Cependant, s’il fait partie de sa mission d’aider les débutants à surmonter leur peur, il ne doit pas les mettre « en présence d’obstacles disproportionnés par rapport à son aptitude à les surmonter »[7] . En l’occurrence, les juges ont considéré que le moniteur avait commis une erreur d’appréciation en faisant effectuer un galop à un cavalier dès sa deuxième leçon. Les tribunaux considèrent habituellement que soumettre des débutants à cette allure lors d’une promenade équestre sans aucune préparation préalable en manège est constitutif d’une faute[8]. Aucune règle ne définit précisément le nombre d’heures d’initiation préalable avant de lancer un novice à l’allure du galop. Tout est donc question d’appréciation qui peut varier d’un tribunal à l’autre. Cependant si on admet que la survenance d’une chute est difficilement évitable pour l’apprentissage du galop, l’essentiel est qu’il n’en résulte pas de conséquences graves. Comme l’a estimé la cour d’appel de Paris, la pratique du galop dans un manège ne présente pas de danger particulier après quelques heures d’apprentissage à partir du moment où le manège est fermé et le sol suffisamment souple ce qui semblait être le cas dans l’espèce commentée[9].
9- A l’exploitant qui soulevait le moyen tiré de l’acceptation des risques la cour de Grenoble réplique que « l’acceptation d’un risque de chute ne pouvait être opposée à la victime dans le cadre d’une séance d’essai ». Si ce moyen peut, en effet, être opposé à des sportifs expérimentés parfaitement conscients des dangers propres à leur discipline, il ne peut prospérer contre des néophytes qui ne sont pas capables de les évaluer. Ce n’est que dans le cas où un novice aurait pris sciemment des risques excessifs en acceptant de participer à une activité particulièrement dangereuse sans préparation préalable qu’on pourrait lui reprocher son imprudence. Or participer à une séance d’essai encadrée par un moniteur n’a rien de déraisonnable.
10-Dans la 2ème espèce, la victime n’était pas une débutante. Malgré son jeune âge (11 ans) elle était déjà titulaire du galop 3 et préparait le galop 4 après avoir effectué trois ans d’équitation. Il faut voir dans cette circonstance le motif décisif du rejet de la demande de réparation formée par ses parents. Ceux-ci avaient fait valoir, sans en rapporter la preuve, que « les bêtes étaient énervées en raison notamment de l’absence du moniteur au début du cours » ; « que le groupe était hétérogène » et « le nombre de cavaliers, une dizaine, étant trop important pour la taille du manège ». En outre, ils soutenaient que le cheval qui précédait celui monté par leur fille donnait des coups de sabot. Le niveau atteint par la victime lui permettait certainement, en supposant que son cheval fut énervé, de maitriser l’animal. De même, il ne peut être reproché à l’exploitant de lui avoir remis un petit cheval au lieu et place d’un poney car la cavalière avait atteint le niveau pour le chevaucher. De surcroît, elle connaissait l’animal pour l’avoir déjà monté.
11-Comme dans l’autre espèce, la question s’est également posée de savoir si les exercices effectués au cours de la reprise étaient en adéquation avec le niveau des cavaliers. Mais aucune circonstance de l’espèce ne révèle que le moniteur avait surestimé les capacités physiques de la victime.
12-Enfin, si le moniteur s’est momentanément absenté pour montrer à un livreur de paille le lieu où la déposer, il n’est pas établi que l’accident soit survenu pendant cette absence, de sorte qu’en la supposant fautive cette circonstance, sans lien de causalité avec le dommage, ne peut être retenue.
Documents joints:
Cour d’Appel de Rennes, 25 mars 2015
Cour d’Appel de Grenoble 20 janvier 2015
Notes:
[1] Toulouse, 29 octobre 1996 RG n° 95/02997. Ainsi, la Cour de cassation a estimé qu’aucun contrat n’avait été passé entre une personne qui prodiguait des conseils bénévoles pour la monte d’un cheval à une cavalière qui avait chuté. Civ, 2, 21 mai 1997, n°95-19118 bull. civ.1997 II , n° 156 p. 90.