Les décisions des autorités municipales ne peuvent être livrées à l’arbitraire. La loi exige que celles retirant une décision créatrice de droits soient motivées. Aussi, la décision prise par un maire de retirer à un club de judo les créneaux horaires d’utilisation d’un dojo municipal sans faire apparaître ni les textes sur lesquels elle repose ni les circonstances de droit retenues, est annulée par la cour administrative d’appel de Versailles pour vice de forme. En revanche, la légalité interne de la décision est confortée. Pour la cour, elle n’est affectée ni d’une erreur de droit ni d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle est justifiée par les nécessités de l’administration des locaux communaux (CAA Versailles 6 novembre 2014).
1-Le maire d’une commune décide de retirer à une association de karaté ses créneaux d’utilisation du dojo municipal. Il lui ordonne de récupérer ses effets et de restituer les clés de la salle. Le club saisit alors le juge administratif et obtient l’annulation de la décision ainsi que l’octroi de dommages et intérêts en contrepartie du préjudice causé par cette décision.
2-La commune fait appel en déposant deux requêtes. La première contre la régularité du jugement, la requête introductive d’instance n’ayant pas été communiquée par lettre remise contre signature en violation des dispositions de l’article R. 611-3 du code de justice administrative. Elle obtient gain de cause sur ce point.
La seconde requête porte sur l’illégalité des décisions du maire tant sur le plan de la légalité interne que sur celui de la légalité externe. La légalité interne de la décision est confirmée. En revanche, son illégalité externe est relevée en l’absence de motivation. Il s’ensuit une annulation pour vice de forme et la condamnation de la commune à verser à l’association, privée de Dojo pendant 2 saisons, une indemnité de 5000 euros en réparation des atteintes à son image et à sa réputation.
I-La légalité interne de l’arrêté confirmée
3-Le club prétendait que le maire s’était rendu coupable d’atteinte à l’égalité de traitement des associations et d’un détournement de pouvoir.
Atteinte à l’égalité de traitement
4-L’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales précise que le maire détermine les conditions dans lesquelles les locaux communaux mis à disposition des associations, syndicats ou partis politiques peuvent être utilisés, en fonction des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public. Les juges constatent d’abord que dans la présente espèce, la décision litigieuse ne porte pas atteinte par elle-même à la liberté d’association ou de réunion. En effet, elle n’a pas pour objet d’interdire aux membres de cette association de se réunir et de pratiquer leur activité. Toutefois, on peine à voir comment un club de karaté pourrait continuer à fonctionner sans équipement mis à sa disposition.
5-Pourtant, les juges considèrent que cette décision était suffisamment motivée par les nécessités de l’administration des locaux communaux. Elle relève, en effet, que le club avait connu des difficultés sérieuses de gestion ayant perturbé le calendrier des cours de karaté qu’il dispensait et donné lieu à des dissensions publiques entre ses membres. La bonne administration des biens municipaux suppose une pleine utilisation des installations sportives mises à disposition des clubs sportifs. En l’occurrence, la « perturbation du calendrier des cours de karaté » donne à penser que certains cours ont été annulés. Compte tenu de la forte demande qui s’exerce sur les communes pour la mise à disposition d’équipements sportifs et de ses conséquences sur la répartition des créneaux horaires, un maire peut légitimement décider d’en retirer le bénéfice à une association qui ne le respecte pas.
6-Dans ces conditions, l’atteinte au principe de l’égalité des usagers du domaine public dont se prévalait le club avait peu de chance d’être retenue. En effet, à plusieurs reprises, le juge administratif a annulé des refus d’attribution d’équipements municipaux mais l’a toujours fait après avoir constaté que ces mesures n’étaient justifiées ni par les nécessités de l’administration communale ni par celles du maintien de l’ordre public[1].
Détournement de pouvoir
7-Le club de judo prétendait encore que la décision contestée caractérisait un détournement de pouvoir. C’est l’occasion de rappeler que ce motif d’annulation est fondé sur l’idée que la décision litigieuse a été prise pour des motifs étrangers à ceux dont s’en prévaut l’auteur. La preuve en est difficile à rapporter mais le juge peut la déduire des circonstances. C’est ce qui a été jugé dans une espèce où le maire refusait de renouveler à un club de danse l’autorisation d’occuper les locaux loués à titre précaire au motif qu’il y avait nécessité de les réaffecter aux services municipaux de la commune. En l’occurrence, le fait que les autres associations de danse continuaient à utiliser ces locaux pour y exercer leurs activités a révélé selon les juges l’existence d’un détournement de pouvoir (CA Paris, 16 avril 1998 n° 96PA02311). En revanche, dans la présente espèce, le motif tiré du détournement de pouvoir n’avait pas de raison d’être retenu dès lors que la décision avait été prise sur le fondement des perturbations dans l’utilisation des créneaux horaires.
Vice de forme
8-Selon l’article 1 de loi du 11 juillet 1979 « ( …) doivent être motivées les décisions qui : (…) retirent ou abrogent une décision créatrice de droits « . Par ailleurs, l’article 3 ajoute que « La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». Or la cour de Versailles relève que les deux décisions contestées « ne font apparaître ni les textes sur lesquels elles reposent ni les circonstances de droit retenues par le maire pour justifier le retrait des créneaux horaires attribués à l’association ». Dans ces conditions, l’annulation pour vice de forme devenait inévitable dès lors que seule l’urgence absolue, qui n’était pas établie en l’espèce, aurait pu justifier le défaut de motivation[2].
9-Il reste un point à examiner. Le tribunal administratif avait fait injonction à la commune d’attribuer à l’association des créneaux horaires d’accès au dojo, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard. La cour d’appel rappelle qu’en vertu de l’article L. 911-1 du code de justice administrative la juridiction saisie de conclusion pour la mise en œuvre d’une mesure d’exécution par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prescrit une telle mesure si sa décision implique nécessairement qu’elle soit prise. En l’occurrence, elle estime que l’annulation de la décision litigieuse n’implique pas nécessairement que le maire attribue à l’association de nouveaux créneaux d’occupation du dojo municipal. Si la commune est bien seule juge pour prendre une telle décision en considération des besoins des autres clubs sportifs, de l’effectif de l’association et de ses conditions de fonctionnement, il faut, cependant, se demander si l’annulation de la décision de retrait n’implique pas l’obligation de réexaminer sa demande du club. La mesure d’injonction aurait pu alors porter non pas sur l’attribution de nouveaux créneaux horaire à l’association mais sur une nouvelle étude de sa situation.
Documents joints:
CAA Versailles 6 novembre 2014
Notes:
[1] C’est ainsi qu’ont été annulés les refus opposés à la demande d’une association qui voulait tenir une réunion dans une salle de l’hôtel de ville habituellement mise à disposition des associations (CE 21 mars 1979, n° 07117) et à une association non subventionnée dans une commune où une délibération d’un conseil municipal réservait aux seules associations subventionnées l’utilisation gratuite des salles municipales de sports (CAA Nantes, 30 déc. 1999, n° 97NT00499).