Trois décisions de jurisprudence récentes viennent rappeler que les installations sportives ne sont pas sans risques pour les utilisateurs. En l’occurrence, les victimes accidentées mettaient en cause leur défectuosité. Dans la première espèce, le revêtement d’un escalier constituait l’objet du litige. Dans la seconde, il était question d’une fosse non signalée située à l’arrière du bâtiment d’un tennis club et, dans la troisième, de la margelle d’une piscine jugée anormalement glissante. Dans ce type de contentieux, les chances d’obtenir réparation dépendent pour beaucoup du régime de responsabilité applicable. A cet égard, il est préférable pour les victimes, qu’elles n’aient pas contracté avec l’exploitant ou que le dommage ne survienne pas à l’occasion de l’exécution du contrat.
La situation des victimes au regard du droit de la responsabilité diffère, en effet, selon que le litige relève du domaine contractuel ou extracontractuel.
Responsabilité contractuelle. Dans le premier cas -celui où la victime est liée par contrat avec l’exploitant et que le dommage survient à l’occasion de l’exécution de son obligation de sécurité- le régime de responsabilité applicable dépend du comportement de celle-ci. Ou bien elle a eu un rôle passif, n’intervenant pas dans l’exécution du contrat, tel le voyageur dans le contrat de transport. L’obligation du débiteur de l’obligation de sécurité est alors de résultat. Il est responsable, même en l’absence de faute de sa part. Ou bien, la victime a eu un rôle actif, comme c’est le cas des sportifs et l’obligation de sécurité n’est alors que de moyens. Dans ces conditions, il lui appartient de rapporter la preuve que cette obligation n’a pas été correctement remplie par l’exploitant. Par exemple, elle devra établir que le propriétaire d’un club de tennis ou de golf n’a pas normalement entretenu les terrains mis à disposition des joueurs ou, s’agissant d’un établissement de bains, que le sol était anormalement glissant. La responsabilité contractuelle, lorsque l’obligation de sécurité est de moyens, est donc peu favorable aux victimes dont l’action en réparation n’a aucune chance d’aboutir si les causes de l’accident demeurent indéterminées.
Responsabilité délictuelle. Lorsque la victime est un tiers ou un membre du club et que le dommage est étranger à l’exécution du contrat -par exemple l’accident s’est produit en dehors des heures d’ouverture de l’installation- le régime de responsabilité applicable est celui de la responsabilité délictuelle pour faute (articles 1382 et 1383) et sans faute (articles 1384 alinéa 1 et 1386 du Code civil). Il ne fait guère de doute que les victimes optent pour le régime le plus favorable, c’est-à-dire celui qui les allège de la charge de la preuve d’une faute. Ce n’est que dans l’hypothèse où la responsabilité de plein droit est inapplicable qu’elles devront se résoudre à actionner le propriétaire sur la base de la responsabilité pour faute, sauf si elles ont décidé d’agir sur ces deux fondements.
Non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. La prohibition du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne permet pas aux victimes de les mettre en œuvre concurremment. Par ailleurs, elles ne sont pas libres de leur choix. Le principe de primauté de la responsabilité contractuelle fait que ce régime doit s’appliquer obligatoirement chaque fois que ses conditions sont réunies. Toutefois, si le demandeur a actionné le défendeur sur le fondement de l’article 1147 en première instance, alors qu’il aurait pu agir sur le terrain délictuel, il lui est possible de faire état, en appel, des articles 1382 et suivants sans former de demandes nouvelles, ce qu’interdit l’article 564 du Code de procédure civile. C’est précisément ce qu’avait fait la victime dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Colmar. Celle-ci a admis ce choix en rappelant qu’en vertu de l’article 565 « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent » ce qui était précisément le cas dans cette affaire où l’objet de la demande -la réparation des blessures subies- demeurait le même, bien que le fondement de l’action fut différent.
Dans les trois espèces dont il est question ici, le litige avait été tranché sur le terrain délictuel. Dans la première, la responsabilité du club de tennis ne pouvait qu’être délictuelle puisque la victime s’était présentée sur les lieux en plein nuit et sans autorisation. La responsabilité contractuelle suppose, en effet, que le dommage survienne dans la phase d’exécution du contrat, ce qui n’était pas le cas puisque l’accident s’était produit en dehors des heures d’ouverture de l’installation. Dans la seconde espèce, la victime avait été invitée à une soirée chez des amis propriétaires d’une piscine. Nul contrat entre elle et le gardien de l’installation. Dans la troisième espèce, où elle chuta dans les escaliers après avoir fêté un tournoi, on peut supposer qu’elle n’était pas membre du club organisateur de l’épreuve.
Responsabilité du fait personnel. La responsabilité du fait personnel pour faute des articles 1382 et 1383 du Code civil constitue le droit commun de la responsabilité délictuelle. Mais elle contraint les victimes à rapporter la preuve d’une faute, en l’occurrence, d’une défectuosité des installations imputable à leur propriétaire. L’autre possibilité qui s’offre à elles, est d’agir sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1, relatif à la responsabilité du fait des choses. Ce régime offre l’avantage d’engager la responsabilité du gardien d’une chose pour les dommages qu’elle provoque même en l’absence de faute de sa part. Toutefois, rien ne s’opposait à ce que les victimes agissent concurremment sur le fondement des articles 1382 et 1383 et de l’article 1384 alinéa 1 pour le cas où la demande d’indemnité fondée sur ce texte n’aboutirait pas. Le cumul entre la responsabilité du fait personnel et la responsabilité du fait des choses est, en effet, admis par les tribunaux qui, dans le cas où ils rejettent la demande fondée sur l’un des deux textes, examinent si la responsabilité ne peut pas être engagée en application de l’autre. C’est précisément le choix qu’avait fait la victime dans l’affaire jugée par la Cour de Colmar reprochant à la fois au club la défectuosité de son installation « ni éclairée, ni signalée, ni bien protégée » sur le fondement de l’article 1382 et recherchant également sa responsabilité en qualité de gardien de l’équipement sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1.
Responsabilité du gardien d’une chose. La responsabilité du fait des choses s’applique à tous les dommages causés par des choses mobilières ou immobilières. Il est vrai que ceux imputables à un bâtiment relèvent de l’article 1386 quand ils ont été provoqués par sa ruine. En application de l’adage specialia generalibus derogant, ce texte spécifique, écarte l’application de l’article 1384 alinéa 1, texte de portée générale. L’inconvénient est qu’il est beaucoup moins favorable aux victimes contraintes d’établir la preuve que la ruine du bâtiment provient d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction. Cependant, il n’avait aucune raison de s’appliquer dans ces trois affaires, où il n’était nullement question de ruine des installations. De toute façon, la Cour de cassation a pratiquement neutralisé l’article 1386 puisqu’il ne recouvre guère aujourd’hui que l’effondrement de tout ou partie du bâtiment [1]. Autant dire que dans la plupart des cas d’accident imputables à des équipements sportifs, l’article 1384 alinéa 1 constitue désormais la solution de droit commun pour la victime. L’application de ce texte suppose d’identifier un gardien et de déterminer que la chose dont il a la garde a bien concouru au dommage.
Garde des locaux. L’identification du gardien est un sujet complexe qui a suscité une abondante jurisprudence. Sans vouloir entrer dans le détail de cette question, il faut simplement rappeler que depuis l’arrêt Franck, c’est le critère de la garde matérielle de la chose, caractérisé par un pouvoir de direction et de contrôle sur celle-ci au moment du dommage, qui permet de désigner le gardien [2]. Cela n’empêche pas les tribunaux de considérer que le propriétaire est présumé gardien, car il a par essence les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur la chose. A charge pour lui de démontrer qu’il en a transféré la garde à un tiers par contrat de prêt, de location ou de dépôt. Ainsi la Cour d’appel de Colmar relève-t-elle que l’association qui exploitait le complexe sportif à usage de tennis devait être considérée comme la gardienne des installations à la suite du contrat de bail que lui avait consenti la société immobilière propriétaire des locaux. Ce transfert de garde est d’ailleurs confirmé par une clause du bail stipulant que « la preneuse assumera la responsabilité civile de la bailleresse pour tous accidents pouvant arriver sur les lieux loués ».
Rôle des locaux dans la survenance du dommage. La question du rôle du bâtiment comme instrument du dommage constituait le principal sujet du différend dans chacune des trois espèces. Il faut rappeler ici, que la victime doit établir « le fait de la chose » c’est-à-dire sa contribution dans la survenance du dommage. Toutefois, si la chose a eu un rôle actif, par exemple une balustrade s’est abattue sur un piéton, son intervention causale est présumée ce qui dispense la victime de la charge de cette preuve. Au contraire, si la chose est inerte, comme c’était le cas dans les trois espèces commentées, la victime doit établir qu’elle a eu un rôle actif. En pratique, elle devra démontrer son anormalité. On peut considérer qu’est anormale toute chose dangereuse parce qu’elle n’est pas à l’endroit où elle devrait se trouver, ou parce qu’un vice de structure l’affecte. Subordonner la responsabilité du gardien à l’anormalité de la chose est logique. En effet, si la chose est normale, on ne voit guère que le fait (fautif ou non) de la victime qui soit la cause du dommage. Sans doute, la chose est bien intervenue dans l’accident puisque sans elle il ne se serait pas produit, mais son incidence est accessoire par rapport à l’action de la victime qui a été la cause déterminante du dommage. Pourtant, la Cour de cassation a paru abandonner, pendant un temps, la condition d’anormalité du dommage pour une chose inerte. Ainsi, elle avait admis qu’un plot délimitant un passage pour piéton sur une aire de stationnement était la cause des blessures de la victime qui l’avait heurté alors qu’il se trouvait dans une position parfaitement normale [3]. Mais, juste retour des choses, la Haute juridiction a rétabli cette condition [4]. Dans chacune des affaires commentées, la chose incriminée était inerte. Le débat portait donc sur son anormalité. Dans la première la victime faisait valoir que le linoléum dans lequel elle s’était pris les pieds et qui avait provoqué sa chute était mouillé, cloqué et déchiré en de multiples endroits. Le club prétendait au contraire que le sol était recouvert d’une moquette qui, même mouillée, ne pouvait être glissante. Ce moyen de défense n’a pas résisté longtemps à l’examen dès lors que les témoignages attestaient que la moquette avait été installée après l’accident. Le mauvais état du revêtement avait donc bien été l’instrument du dommage.
Dans la seconde espèce, la victime avait fait une chute dans une fosse d’environ 2 mètres de profondeur située à l’arrière du club house. Le club faisait valoir pour sa défense qu’il avait installé un grillage autour du trou et que sa localisation à l’écart d’éventuels passages ne justifiait pas de l’entourer d’un garde-corps. La cour d’appel relève, au contraire, que ce trou, non éclairé et dont la dangerosité n’était pas signalée, uniquement bordé d’un grillage bas ne protégeant pas des chutes, avait joué un rôle causal dans la réalisation du dommage.
Dans la troisième espèce, la victime qui avait glissé sur la margelle d’une piscine soutenait que les projections d’eau sur celle-ci, aussi normales soient-elles, étaient de nature à lui donner un caractère d’anormalité sans lequel l’accident ne serait pas survenu. Le moyen surprend. Si les projections d’eau sur une margelle sont normales comment expliquer qu’elles puissent la rendre anormale sauf à admettre qu’elle n’était pas conforme à l’usage qu’on pouvait en attendre. Or précisément, la Cour de cassation relève qu’elle était composée d’un matériau poreux lui permettant de remplir sa fonction antidérapante et de supporter les projections d’eau. Elle n’a donc pu être l’instrument du dommage, d’autant que rien ne prouve qu’elle était saturée d’eau et anormalement glissante. La prétendue dangerosité que lui attribuait la victime ne reposait donc sur aucun élément objectif sérieux comme un défaut de fabrication ou d’entretien. Même si la Cour de cassation ne le dit pas explicitement, puisqu’elle se borne seulement à relever que la margelle n’avait pas été l’instrument du dommage, la perte d’équilibre de la victime ne pouvait donc être imputée qu’à sa propre maladresse. Le propriétaire de la piscine n’avait donc pas besoin de soulever ce moyen, l’absence de causalité suffisant à elle seule pour faire barrage à l’application de l’article 1384 alinéa 1. En revanche, dans les deux autres espèces, où la causalité était affirmée, les clubs défendeurs n’ont pas manqué d’en faire état avec plus ou moins de réussite.
Faute de la victime. Lorsque la faute de la victime présente les caractères de la force majeure -extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité- elle exonère totalement le gardien de la chose ce qui n’était le cas dans aucune des deux espèces où il en est fait état. Dans celle jugée par la Cour de Colmar, l’imprudence de la victime ne constituait pas un cas de force majeure pour l’exploitant car il manquait la condition d’imprévisibilité. En effet, les installations, non closes, étant facilement accessibles, il était tout à fait prévisible qu’une personne puisse s’y aventurer comme le relève justement la cour qui a jugé que cette faute avait contribué pour moitié au dommage. Dans l’autre espèce, aucune faute n’a été retenue bien que le club prétendait que la victime avait gardé ses « chaussures de golf inadaptées » ou « aurait consommé au bar au point d’en arriver à chuter dans l’escalier ». La cour d’Orléans a, en effet, estimé qu’il s’agissait de « pures affirmations non étayées par de quelconques éléments de preuve » d’autant que l’affaire a été jugée plusieurs années après les faits.
Jean Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
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Atelier-débat ISBL CONSULTANTS du 24/09/2010 « Quel risque pénal pour les organisateurs sportifs ? » Intervenant : Jean-Pierre VIAL : Voir en ligne
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Notes:
[1] Dans une récente espèce où un véhicule avait été endommagé par la chute de pierres provenant de la voûte d’un bâtiment, la Cour de cassation a estimé que cet événement n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 1386. Civ 2, 16 oct. 2008, RTD civ. 2009, p 128, obs. P. Jourdain.
[2] Cass. ch. réunies, 2 déc. 1941, DC 1942.25, note G. Ripert, S. 1941.1.217, note H. Mazeaud, JCP 1942. II. 1766.
[3] Civ. 2e, 18 sept. 2003, RTD civ. 2004.108.
[4] Civ. 2e, 24 févr. 2005, pourvoi n° 03-18.135, FP-P+B+R+I et pourvoi n° 03-13.536, FP-P+B+R+I, D. 2005.1395, note N. Damas Resp. civ. et assur. 2005.comm.121, obs. H. Groutel. En l’occurrence, l’utilisateur d’un tremplin installé au bord d’un étang pour effectuer des sauts à vélo s’était blessé en plongeant. Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, avaient retenu que ce tremplin installé en limite du plan d’eau, pour permettre aux utilisateurs de prendre leur élan en roulant avec leur VTT, n’avait rien d’insolite et d’anormal dans un lieu d’animation sportive et qu’il ne présentait lui-même aucun caractère de dangerosité.