L’autorité de police administrative n’est pas toute puissante : elle agit sous le contrôle du juge administratif qui vérifie la légalité de ses décisions, comme le rappelle cet arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 5 juin 2012. Un arrêté préfectoral d’interdiction d’exercer pris contre un éducateur sportif est annulé pour un motif d’illégalité. En l’occurrence si le juge approuve le principe même de la mesure, il reproche au préfet une sanction excessive car disproportionnée par rapport au degré de gravité de la faute. C’est l’erreur manifeste d’appréciation redoutée par les autorités de police car l’exacte proportionnalité de la mesure à la faute est avant tout affaire de savant dosage.
1-A la suite de la noyade d’un usager d’un établissement sportif survenue lors d’une descente en hydrospeed de la Durance, le préfet interdit à l’éducateur qui encadrait la sortie d’exercer pendant une durée de cinq ans les fonctions d’enseignement, d’encadrement et d’animation d’une activité physique et sportive. Le Tribunal administratif de Strasbourg annule la mesure au motif que le maintien en activité de l’intéressé ne constituait pas un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. Le ministère des sports forme appel de ce jugement que confirme la cour administrative d’appel mais pour d’autres motifs que ceux retenus par les premiers juges.
2-Le litige portait sur l’appréciation de la légalité de la mesure de police. Celle-ci avait été prise dans le cadre des pouvoirs de police que le préfet tient de l’article L. 212-13 du code du sport en vertu duquel il peut interdire à un éducateur rémunéré d’exercer toute activité d’enseignement, d’animation ou d’entraînement. Ce pouvoir de police qui est susceptible de porter atteinte à une liberté individuelle comme celle du commerce et de l’industrie ne peut s’exercer arbitrairement. Aussi des dispositions sont-elles prévues pour garantir les droits de la défense. L’administration doit informer l’intéressé de l’ouverture d’une enquête, lui donner accès au dossier et le convoquer devant une commission départementale où il pourra venir s’expliquer. Si ces dispositions ne sont pas respectées, l’arrêté est entaché d’un vice de procédure. C’était justement un des moyens soulevés par l’éducateur pour qui la consultation de ce conseil était irrégulière car assurée par le directeur départemental de la jeunesse, des sports et de la vie associative alors qu’il aurait dû être présidé par le préfet. Il soutenait également que l’autorité administrative avait eu accès à des pièces du dossier pénal dont il n’avait jamais eu connaissance en violation des articles 6-1 et 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
3-La cour administrative d’appel n’a pas jugé utile d’examiner ces deux moyens d’illégalité estimant que l’illégalité interne qui affectait la mesure suffisait pour en prononcer l’annulation. Elle a rapidement écarté l’erreur de droit soulevée par le ministère des sports qui reprochait aux premiers juges d’avoir examiné la légalité de l’arrêté préfectoral au regard de dispositions qui ne lui étaient pas applicables. En effet, même s’ils avaient pris en considération des éléments de fait tirés du dossier d’enquête pénale, la cour a estimé que c’est bien en application des dispositions du code du sport auquel ils s’étaient explicitement référés que les juges ont apprécié la légalité de la mesure.
4-L’autre moyen portait sur la qualification juridique des faits. Le ministère considérait que le maintien en activité de l’éducateur sportif constituait un danger pour la santé et la sécurité physique des usagers, compte tenu des fautes qui lui étaient reprochées, de sorte que l’interdiction de 5 ans qui lui avait été notifiée était justifiée.
5-La cour exerce alors un double contrôle. Non seulement pour vérifier, au regard des circonstances de l’espèce, si cet éducateur était susceptible, à l’avenir, de mettre en péril les usagers, mais également, dans l’hypothèse où la mesure d’interdiction se justifierait dans son principe, pour s’assurer de sa proportionnalité à la faute commise. Autrement dit, la cour cherche à débusquer d’éventuelles erreurs sur la qualification juridique des faits ainsi que l’erreur manifeste d’appréciation dans le calcul de la durée de la mesure.
I- L’erreur sur la qualification juridique des faits
6-La légalité de la mesure d’interdiction d’exercer est subordonnée au fait que le maintien en activité de l’éducateur doit constituer un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants (C. sport, art L. 212-13). Il revient donc au juge administratif de vérifier, à la lumière des circonstances de l’espèce, si l’administration a fait une juste appréciation du comportement fautif de l’éducateur et s’il est raisonnable de penser qu’il pourrait se renouveler au point de mettre en danger les usagers dont il a la charge.
7-En l’espèce, l’administration lui reprochait d’avoir pris seul sous sa responsabilité un groupe dans des conditions manifestes de sous-encadrement et d’avoir mal géré le déroulement technique et pédagogique de la descente en se positionnant en tête du groupe à bord d’un canot raft.
8-Le terme de sous-encadrement peut désigner aussi bien le manque de qualification de l’encadrement que l’insuffisance du taux d’encadrement. Dans les établissements pratiquant de la nage en eau vive, l’article (A 322-46 du code du sport précise que « le nombre de pratiquants pour un cadre est déterminé en fonction du niveau des pratiquants, de la compétence de l’encadrement, des conditions du milieu et des caractéristiques de l’activité ».
Il est également indiqué qu’en rivière, à partir de la classe III, une réduction importante des effectifs s’impose. Dans ces conditions, la présence d’un seul cadre, de surcroît en cours de formation pour encadrer 9 mineurs sur 11 participants dans une descente de rivière pouvait déjà être considérée comme insuffisante. Toutefois, ce n’est pas le motif sur lequel se fonde le juge pour apprécier l’effectif d’encadrement mais bien plutôt sur celui de la qualification de l’intervenant.
9-A cet égard, les juges font une double constatation. D’une part, ils relèvent qu’aux termes de l’article R. 212-4 du code du sport l’exercice contre rémunération des fonctions prévues à l’article L. 212-1, est ouvert aux personnes en cours de formation à la double condition qu’elles soient placées sous l’autorité d’un tuteur et qu’elles aient satisfait aux exigences préalables à leur mise en situation pédagogique. D’autre part, ils observent que selon l’article L. 212-2 du code du sport seule la détention d’un diplôme permet l’exercice d’une activité d’encadrement contre rémunération lorsqu’elle s’exerce dans un environnement spécifique. Ils tirent de ces constatations deux conclusions qui méritent l’attention. D’abord, ils considèrent que les personnes en cours de formation ne peuvent enseigner, encadrer ou animer la pratique du canoë-kayak et des disciplines associées que dans les rivières de classe inférieure ou égale à trois. Autrement dit, la dérogation prévue à l’article L. 212-1 s’appliquerait à tous les sports à l’exception des disciplines qui s’exercent dans un environnement spécifique où « seule la détention d’un diplôme » permettrait d’encadrer l’activité (ce qui est le cas de la pratique du canoë kayak et de la nage en eau vive dans les rivières supérieures à la classe 3).
Ensuite, ils relèvent que la personne désignée comme tuteur sur le contrat d’apprentissage n’avait jamais exercé vis-à-vis de son stagiaire les missions attachées à cette fonction. Dès lors, en l’absence de tout encadrement tutorial l’élève ne pouvait enseigner, encadrer ou animer la pratique d’activités d’eaux vives quel que soit le nombre de participants et quelle que soit la classe de rivière. Cependant, les juges ne détaillent pas les missions du tuteur et en particulier n’indiquent pas s’il devait accompagner son élève à chaque fois que celui-ci encadre un groupe, question qui demeure d’ailleurs sans réponse.
10-De ces diverses constatations, il apparaît indiscutable que le groupe était sous-encadré. Fallait-il pour autant imputer ce manquement au moniteur stagiaire ? L’arrêt admet que l’employeur en sa qualité d’exploitant d’établissement d’activités physiques et sportives avait l’obligation « de déterminer (…) le nombre et la qualité des encadrants à mettre à la disposition des groupes sollicitant ses services pour les initier à la pratique d’activités d’eaux vives ». La cour administrative d’appel considère, toutefois, « qu’en acceptant de prendre sous sa responsabilité le groupe qui lui a été confié dans ces conditions manifestes de sous-encadrement (l’éducateur) avait mal apprécié le champ de ses responsabilités ». On ne peut guère que souscrire à cette analyse si on la sort de son contexte. En acceptant de prendre seul en charge un groupe inexpérimenté et composé en majorité de mineurs, l’éducateur stagiaire n’était pas en mesure d’assurer individuellement leur sécurité. En revanche, dans la situation où il se trouvait, c’est à dire en contrat d’apprentissage, pouvait-il refuser de prendre en charge ce groupe sans risque de représailles de l’employeur ? Fallait-il lui faire payer les manques de l’exploitant ? C’est là qu’intervient l’erreur d’appréciation commise par le préfet : ne pas avoir tenu compte de ces circonstances dans l’évaluation de la durée de l’interdiction.
II. L’erreur manifeste d’appréciation
11-Le contrôle du juge administratif ne s’exerce pas seulement sur la qualification des faits. Il porte également sur l’ampleur de la mesure de police dont il vérifie la proportionnalité avec la faute. En l’occurrence, la durée de l’interdiction fixée à 5 ans a été jugée excessive pour deux raisons.
12-D’abord, le contexte dans lequel opérait l’éducateur. Les juges rappellent à juste raison qu’il s’agissait d’un stagiaire encore en phase d’apprentissage et donc perfectible. Surtout, il était placé dans des conditions défavorables puisqu’il n’avait pu bénéficier des conseils d’un tuteur et qu’il devait supporter les « graves carences de son employeur dans les fonctions de directeur de la structure ».
13-Ensuite, l’absence de faute de sa part dans le déroulement de la descente. A cet égard, la cour ne partage pas le point de vue de l’administration faisant reproche à l’éducateur d’en avoir mal géré le déroulement technique et pédagogique. Les juges estiment, au contraire, qu’en se positionnant en tête du groupe, l’éducateur « se donnait la possibilité de reconnaître l’itinéraire à emprunter, de repêcher un participant emporté par le courant, de voir le groupe et d’en être vu ». En tout cas, et c’est sans doute la raison la plus probante, il est reproché à l’administration d’avoir retenu comme faute des modalités d’encadrement de la nage en eaux-vives alors que les experts ne sont pas parvenus à s’entendre sur ce point. Par ailleurs, la cour observe que l’organisation des secours a été irréprochable. Si l’éducateur ne s’est pas porté lui-même au secours du noyé, il a permis son repêchage plus rapide en attirant l’attention des passagers d’un raft mieux placés que lui et a profité d’un massage cardiaque et du bouche à bouche sur la victime qu’ils effectuaient pour intercepter un véhicule et alerter les secours.
L’interdiction d’une durée de 5 ans était donc excessive. Mais le juge ne la remet pas en question dans son principe. Tout est affaire de dosage. Quel était alors la bonne durée ? 1an, 2 ans ? Voilà le dilemme pour le préfet : trouver la juste mesure !
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Jean-Pierre VIAL, « Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur », Collec. PUS, septembre 2010
Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne