Un contrat de bail conclu entre une commune et une association est-il de droit civil ou administratif ? Le tribunal des conflits qui a en charge le règlement des conflits entre le juge judiciaire et le juge administratif constate, dans son arrêt du 13 octobre 2014, que le bailleur n’exerçait pas de contrôle sur l’activité du club concerné, ne lui imposait aucune obligation particulière et que le contrat litigieux ne comportait pas de clause incluant des prérogatives de puissance publique. Il en conclut que ce contrat n’était pas administratif et que le  juge judiciaire était seul compétent pour en évaluer le contenu.

 

1-Une commune et un club d’aviron concluent un bail d’une durée de 79 ans portant sur un ensemble immobilier dont la commune est propriétaire. Le bâtiment loué est détruit par un incendie. Après avoir indemnisé la commune son assureur, subrogé dans les droits de celle-ci, engage une action directe contre l’assureur du club devant le tribunal de grande instance de Créteil afin d’obtenir le remboursement des sommes avancées. Ce dernier soulève l’incompétence du juge judiciaire en faisant valoir que le contrat de bail étant à ses yeux un contrat administratif, le juge administratif était seul habilité pour apprécier les responsabilités découlant de son exécution. En appel, la cour de Paris lui donne raison. Elle se déclare compétente pour statuer sur l’action directe mais invite l’assureur de la commune à saisir le juge administratif pour « faire déterminer les responsabilités dans l’incendie ». Le pourvoi formé contre cet arrêt est rejeté par la Cour de cassation dans sonarrêt du 16 mai 2012. Celle-ci approuve la cour de Paris, considérant qu’en l’absence d’une réponse évidente quant à l’appréciation de la nature de la relation contractuelle existant entre la commune propriétaire et sa locataire, elle ne pouvait que renvoyer les parties devant la juridiction administrative pour trancher la question préjudicielle dont dépendait la solution du litige. Le tribunal administratif de Melun saisi à son tour considère que ce contrat n’est pas un contrat administratif et renvoi au tribunal des conflits le soin de décider sur la compétence.

2-On se trouvait alors dans le cas de figure du conflit négatif où le juge judiciaire et le juge administratif ont à tour de rôle décliné leur compétence. Un décret du 25 janvier 1960 prévoit que le tribunal saisi en second et qui s’estime également incompétent ne peut pas rendre un jugement d’incompétence mais doit, si le premier jugement est définitif comme c’était le cas, porter l’affaire devant le tribunal des conflits. C’est précisément ce qu’a fait le tribunal administratif de Melun.

3-L’enjeu n’était pas négligeable puisque de l’exacte qualification du contrat dépendait le régime de responsabilité applicable. En effet, si le contrat litigieux était regardé comme administratif, les dispositions de L. 2331-1 du CGPP détermine la compétence administrative. Il prétendait également, en application de l’article  L. 1311-2 du CGCT,  que le bail en question était bien un bail emphytéotique conclu en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence. Enfin, il estimait que les clauses exorbitantes du droit commun contenues dans ce bail lui conféraient le caractère d’un contrat administratif.

4-Pour décider de la qualification du bail dont dépendait le choix du juge, le tribunal des conflits avait donc à résoudre successivement  trois questions. Le contrat portait-il sur une dépendance du domaine public ? A défaut, s’agissait-il d’un bail emphytéotique? Enfin, s’il ne réunissait aucunes de ces conditions, comportait-il au moins des clauses exorbitantes du droit commun permettant de le considérer comme un contrat administratif ?

I- Appartenance du bâtiment loué au domaine public.

5- Le 1° de l’article L. 2331-1 du CGPP  précise que   « les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public sont portés devant la juridiction administrative ».

6-Un immeuble dont une personne publique est propriétaire est incorporé dans son domaine public à condition d’être affecté soit à l’usage direct du public, soit à un service public. En l’occurrence, le bâtiment loué au club n’était pas ouvert au public mais uniquement à ses membres. N’étant pas affecté à l’usage direct du public, il fallait qu’il le soit à l’accomplissement d’une mission de service public  pour qu’on se trouve dans les prévisions de l’article L 2331-1. Or ce point faisait précisément débat.

7-La détermination du service public s’effectue habituellement selon la méthode du faisceau d’indices. Le premier est celui de l’intérêt général. Il n’y a pas de service public sans accomplissement d’une activité d’intérêt général. Ce critère matériel est assurément rempli par les associations sportives. Les activités physiques et sportives qu’elles encadrent constituent pour le législateur « un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration et de la vie sociale » et « contribuent notamment à la lutte contre l’échec scolaire et à la réduction des inégalités sociales et culturelles, ainsi qu’à la santé »[1]. En l’espèce, le bâtiment loué était destiné à la pratique de l’aviron, laquelle constitue comme tout autre sport, une activité d’intérêt général. Cependant, cette condition ne suffit pas à caractériser l’existence d’un service public[2]. Il faut également s’attacher aux conditions concrètes d’exercice de cette activité. Plus précisément, il faut prendre en considération non seulement l’intérêt général attaché à l’activité de la personne privée, mais également les conditions de sa création, de son organisation, de son fonctionnement ainsi que les obligations qui lui sont imposées et les mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints[3]. A cet égard, le soutien financier que la collectivité publique peut apporter à la personne privée, comme c’était le cas du club d’aviron qui bénéficiait d’aides importantes de la part de la commune, peut être pris en compte à la condition que la personne publique exerce « un droit de regard sur l’organisation » de l’association[4]. Or l’examen des stipulations du contrat de bail révèle qu’elles ne conféraient à la commune aucun droit de regard sur l’organisation de l’association et sur la conduite de ses activités. Dès lors, le bail ne pouvait  être qualifié de contrat administratif par détermination de l’article  L. 2331-1 du CGPP. Il ne pouvait guère plus prétendre à la qualification de bail emphytéotique.

II- Qualification du contrat en bail emphytéotique

8-Pour être qualifié de bail emphytéotique le contrat aurait du être conclu « en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence » (art. L. 1311-2 du CGCT.)

9-Le bâtiment n’ayant pas été affecté à une mission de service public comme il vient d’être exposé,  le commissaire du gouvernement avait fait remarquer qu’à « moins de vider de son utilité la référence à l’accomplissement d’une mission de service public, on ne peut admettre que la réalisation d’une opération d’intérêt général puisse consister en la simple organisation d’une activité d’intérêt général, telle une activité sportive ».

10-Par ailleurs, interprétant l’article (19 novembre 2013), Or, dans le contrat litigieux « les investissements à réaliser étaient uniquement à la charge de la commune » comme le relève le tribunal des conflits. Dès lors,  n’ayant pour objet qu’une « mission de gestion courante » ce contrat ne pouvait être qualifié de bail emphytéotique.

III- Inclusion dans le bail de clauses exorbitantes du droit commun

11-A défaut d’entrer dans les prévisions de l’article Société des granits porphyroïdes des Vosges de 1912. Selon la définition du tribunal des conflits la clause exorbitante du droit commun est celle relative à des droits et obligations « étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales »[5]. La Cour de cassation emploie une formulation identique[6].

12-La cour de Paris avait jugé que la convention du 5 octobre 2005 comportait des clauses exorbitantes du droit commun, telles le libre accès et la libre jouissance par le bailleur pendant tout le cours du bail des locaux dépendant de la parcelle. Le tribunal administratif de Melun estima au contraire qu’elle n’avait d’autre objet que de permettre la réalisation, par la commune, de travaux de réhabilitation auxquels elle était tenue en vertu du contrat.

13-Le commissaire du gouvernement s’est interrogé sur ce concept insatisfaisant. Il fait remarquer que la clause litigieuse portant sur un élément constitutif du louage de chose, elle pouvait être indifféremment de droit public et de droit privé, si bien qu’elle ne suffirait pas pour déterminer s’il s’agissait d’un contrat de bail administratif ou d’un contrat de bail de droit privé. Par ailleurs en admettant qu’elle fut en contradiction avec l’article 1719 du code civil qui fait obligation au bailleur de délivrer au preneur la chose louée, elle ne l’était pas pour la raison qu’elle était exorbitante du droit privé, mais parce qu’elle était abusive[7]« Il n’y a pas de relation nécessaire entre l’anormalité d’une clause en droit privé et la qualification administrative du contrat » selon le mot du commissaire du gouvernement. Aussi, pour déterminer si le bail est ou non administratif, il suggère de rechercher s’il contient des clauses mettant en oeuvre des prérogatives de puissance publique. Sont concernées celles qui créent « un rapport fortement inégalitaire au profit de la personne publique » telles les clauses accordant à l’une des parties un pouvoir de direction, de contrôle ou de sanction. Par ailleurs, les clauses conférant un pouvoir de modification et de résiliation unilatérale ne peuvent être exercées que pour un motif d’intérêt général. Or celle autorisant la commune à utiliser discrétionnairement tout ou partie des installations litigieuses ne poursuivait pas un tel but. En conséquence, le contrat qu’elle avait passé avec le club ne pouvait être qualifié  de contrat administratif. Aussi le tribunal des conflits en est arrivé à la conclusion logique de la compétence du juge judiciaire pour déterminer laquelle des deux parties devait répondre de l’incendie.

 

 

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

En savoir plus :

 

 Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

 

Jean-Pierre Vial





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