Un jeu de ballon, une séance de Pilates ou encore la sortie d’une cabine de douche ne sont pas spécialement réputés pour être dangereux. Pourtant, il suffit parfois d’une perte d’équilibre ou d’un faux mouvement pour qu’une chute s’ensuive et que les victimes et leur club se retrouvent à la barre d’un tribunal. Le sportif accidenté est alors confronté à l’obstacle de la preuve d’un risque anormal. Si la difficulté à établir l’existence d’un manquement fautif du club a été allégée par un renforcement de l’obligation de sécurité pour les sports dangereux, elle subsiste dans les autres sports. Au surplus, le club ne manquera pas d’opposer à la victime sa connaissance des lieux et de l’activité si elle a manqué de vigilance, comme l’attestent trois récents arrêts de la 10ème chambre de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
1-Dans la première espèce (6 mars 2014), la membre d’un club de natation avait perdu l’équilibre et chuté à la sortie de la douche en glissant sur des lattes de bois. Elle est déboutée par les premiers juges mais obtient un partage de responsabilité en appel. Dans la seconde (20 mars 2014) elle avait glissé sur le parquet alors qu’elle prenait une leçon de « tables Pilates ». Dans la troisième, elle a été victime d’un choc de la tête sur le sol alors qu’ayant le ballon sous le dos elle avait basculé en arrière en soulevant les pieds (27 février 014). Déboutée en première instance dans ces deux espèces, elle succombera également en appel.
2-Lorsque les blessures proviennent de chutes sur des sols, il est tentant d’actionner le club sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1, ce que fit la première victime tout en visant également l’article 1147 du code civil (arrêt du 6 mars). En agissant concurremment sur le terrain délictuel et contractuel, elle enfreignait la règle du non cumul des responsabilités dont il faut préciser la signification car on pourrait croire à tort que le demandeur peut librement opter pour l’une ou l’autre. En réalité, il n’a pas le choix. Lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies, comme c’était le cas puisque la victime était adhérente d’un club de natation et qu’était en cause l’exécution de l’obligation de sécurité, c’est ce régime de responsabilité qui s’applique. La cour d’appel ne manque pas de le rappeler, écartant d’emblée du débat la responsabilité du fait des choses qui aurait permis à la victime de faire l’économie de la preuve d’une faute du club.
3-En revanche, sur le terrain de la responsabilité contractuelle la démonstration d’une faute est obligatoire, comme le précise le motif introductif de chacune des trois décisions : « il appartient au demandeur de prouver que le club n’a pas satisfait à l’obligation contractuelle de sécurité qui l’oblige à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour prévenir tout risque prévisible à la sécurité de ses adhérents ».
4-Le risque de glissade n’est pas négligeable dans les établissements de bains, en raison de la présence d’eau, spécialement à la sortie des cabines de douche. Aussi, l’article A322-21 du code du sport énonce-t-il que « l’ensemble des sols qui sont accessibles pieds nus (…)sont antidérapants ». Or, il ressort des témoignages rapportés à propos de la chute survenue à la sortie de la cabine de douche, qu’aucun tapis ne recouvrait le sol qui était en bois, matériau particulièrement glissant lorsqu’il est mouillé. La cour d’appel en conclut que « le club n’a donc pas mis en oeuvre tous les moyens susceptibles de limiter le risque de chute de ses adhérents ». En l’occurrence, la preuve de la négligence était facile à administrer dès lors que le club n’avait pas appliqué les prescriptions de sécurité requises dans les établissements de baignade d’accès payant. On notera au passage que la cour d’appel s’est assurée de « la matérialité de la chute » et de sa survenance « à la sortie de la douche ». En effet, il ne suffit pas d’établir l’existence d’un comportement fautif. Il faut encore démontrer que le dommage provient bien de cette négligence car le lien de causalité ferait défaut si la chute s’était produite dans d’autres circonstances.
5-Dans la seconde espèce, la victime reprochait à l’exploitant de l’avoir laissée entrer en chaussettes non antidérapantes sur un parquet glissant par définition et de ne pas avoir affiché le panneau invitant les clients à porter des chaussettes appropriées. D’après les affirmations d’un témoin, la cliente qui écoutait les explications du moniteur a reculé et chuté. Cette chute ne s’étant pas produite au moment où elle effectuait un exercice, il ne pouvait donc être reproché au moniteur de n’avoir pas prévu l’assistance d’une tierce personne à ce moment là. De surcroît, l’exploitant rapporte que la victime était cliente de l’établissement depuis 5 ans. Dans ces conditions, il importe peu que le jour des faits le panneau alertant les usagers sur le port de chaussettes adaptées n’ait pas été installé. La victime ne pouvait évidemment ignorer cette consigne depuis le temps qu’elle fréquentait l’établissement. Il y a donc lieu de considérer que sa faute est la cause exclusive de sa chute. Dans ces conditions, son action en réparation ne pouvait qu’être rejetée.
6-Les circonstances de l’accident survenu lors du cours de gymball sont également indéterminées. En tout état de cause, et c’est la conclusion à laquelle parviennent les juges, aucune faute ne peut être mise à la charge de l’entraineur. Le cours ne comportait que deux adultes. L’entraineur devait se trouver à proximité d’eux puisqu’il leur présentait l’exercice à exécuter. En outre, le fait de leur laisser le ballon à disposition avant le début des exercices ne peut s’analyser comme un comportement imprudent, d’autant que la victime, qui pratiquait cette activité depuis un an, avait déjà l’expérience du ballon et de ses risques.
7-Enfin, elle n’établit pas que si un tapis avait été placé au sol ses blessures eussent été moindres, comme elle le prétend. En effet, elle a basculé en arrière de tout son corps et sur la tête « au ralenti ». Son contact avec le sol n’a donc pas été violent. En admettant que l’absence de tapis ait été fautive, il manquerait le lien de causalité sans lequel il ne peut y avoir de responsabilité. En définitive, l’accident est à mettre au compte d’un faux mouvement de sa part. En rappelant dans son motif introductif que les pratiquants « restent tenus de veiller à leur propre sécurité » la cour d’appel laisse entendre que ses blessures proviennent de sa propre imprudence. L’accident ne serait pas arrivé si, au lieu d’exécuter un mouvement qui ne lui était pas demandé, elle avait été attentive aux explications de la monitrice.
8-Dans l’affaire de la glissade à la sortie de la douche, la cour d’appel estime que la victime n’a pas fait preuve d’une attention suffisante en sortant de sa cabine, alors qu’elle connaissait les lieux et avait déjà eu l’occasion d’en constater le caractère glissant, d’où sa décision d’un partage de responsabilité.
9-La connaissance du danger est le moyen habituellement invoqué pour neutraliser l’action de la victime, dès lors qu’il s’agit d’une habituée des lieux et de l’activité. Hormis les débutants, qui peuvent faire valoir leur ignorance du danger, les autres pratiquants ne sont pas à l’abri de ce moyen d’exonération, comme l’attestent ces trois espèces.
10-Lorsque la victime n’est pas parvenue à établir un manquement fautif du club, il lui reste la ressource de l’assura
nce individuelle accident, à condition de l’avoir souscrite. La question mérite d’être posée dans le cas des accidents survenus lors de la séance de Pilates et du cours de gymball. Rappelons à cet égard que le législateur a mis une obligation d’information à la charge des associations sportives sur l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance de personnes (art.L 321-4 C. sport). Toutefois ce texte doit être entendu au sens littéral. Il n’inclut pas tous les établissements sportifs comme en a jugé la Cour de Paris estimant qu’il excluait les groupements -sociétés commerciales notamment- qui n’ont pas le statut d’association et traitent avec « des clients » et non des « adhérents »[1] (lire notre commentaire). Or l’exploitant de l’activité Pilates avait le statut d’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée[2]. Il est donc peu probable que la victime aurait eu gain de cause en l’actionnant pour défaut d’information sur l’intérêt de souscrire une assurance individuelle accident. En revanche, l’organisatrice du cours de gymball était selon toute vraisemblance une association sportive. Son adhérente a peut-être perdu une occasion de mettre en jeu sa responsabilité, si elle avait été en mesure d’établir que son club avait manqué à son devoir d’information.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
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