Une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours « si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». Une cour d’appel a été censurée par un arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2014 pour n’avoir par recherché si une autre peine que celle d’emprisonnement ferme prononcée contre le directeur d’un établissement de plongée condamné pour homicide involontaire n’aurait pas été mieux adaptée au prévenu.
1-Sport dangereux[1], la plongée demande de la part des moniteurs qui encadrent des baptêmes une attention soutenue car la panique s’installe vite chez un débutant confronté à un milieu hostile. Le risque de perte de l’élève ou de remontée subite de celui-ci sans observation des paliers peut avoir des effets catastrophiques. C’est dans de telles circonstances qu’une jeune femme qui effectuait sa seconde plongée avec son fiancé encadré par un moniteur stagiaire sans qualification est retrouvée inconsciente et décède le lendemain d’un syndrome asphyxique. Des poursuites pour homicide involontaire sont engagées contre le directeur de la plongée, un moniteur qualifié qui avait accompagné le couple jusqu’au lieu d’immersion et le moniteur stagiaire ayant encadré la plongée mortelle.
2-L’enquête puis l’instruction ont clairement mis en évidence l’habitude prise pas son directeur de laisser les stagiaires procéder seuls, sans être accompagnés de personnels qualifiés, à des baptêmes de plongée vraisemblablement pour des raisons de rentabilité. De surcroit, le jour de l’accident les consignes de plongée n’apparaissent pas avoir été données par le prévenu avant l’embarquement, alors qu’elles auraient dû l’être en application des pratiques professionnelles. Enfin, l’expertise technique révèle que le matériel, dont les plongeurs débutants et l’encadrement étaient équipés, n’était pas conforme puisque la bouteille de l’encadrant ne présentait pas de double détenteur exigible et que le gilet de la victime présentait une fuite.
3-La cour d’appel en avait conclu « que l’absence délibérée de respect des règles a abouti au fait qu’une jeune stagiaire a pu, sans être équipée réglementairement, emmener en plongée deux débutants et que ce comportement est en lien certain avec l’accident ».
4-Sur ce point la Cour de cassation approuve l’arrêt en observant que le prévenu, en violant de façon manifestement délibérée les obligations de sécurité et de prudence prévues par l’arrêté du 22 juin 1998 alors applicable, a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage.
5-En revanche, la haute juridiction est en désaccord avec les juges du fond sur le choix de la sanction. Une peine de trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, ainsi qu’une peine complémentaire d’affichage et de diffusion de la décision ont été prononcées. Pour justifier cette peine la cour d’appel fait référence « au comportement du prévenu coupable d’une succession de violations des règles élémentaires de sécurité dans un sport à risque (…) ce qui amène à retenir un caractère de grande prévisibilité de ce type d’accident et à prononcer une peine à la mesure de la sanction de ces comportements ».
6-Ces motifs ne convainquent pas la chambre criminelle. Elle rappelle qu’en matière correctionnelle, l’article 132-19-1 du code pénal (aujourd’hui 132-19 alinéa 2 ) prévoit qu’une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours. Ce texte précise, en effet, que « si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». Or en « n’indiquant pas en quoi toute autre sanction serait manifestement inadéquate » la cour d’appel est censurée pour la partie de l’arrêt relatif à la peine.
7-Si on se rallie volontiers au rappel à l’ordre adressé par la haute juridiction aux juges du fond à propos du choix de la peine, en revanche, son approbation sans réserve de la condamnation du plongeur pour violation délibérée des obligations de sécurité et de prudence prévues par l’arrêté du 22 juin 1998 n’emporte pas l’adhésion.
1- La condamnation pour faute délibérée.
8-Deux motifs retenus par la cour d’appel posent question. D’abord, pour avoir affirmé que le directeur de plongée était « tenu à une obligation de résultat ». Il est de jurisprudence constante que les organisateurs d’activités sportives sont assujettis à une obligation de sécurité de moyens. Par ailleurs, s’agissant de sports qualifiés de dangereux, comme la plongée subaquatique, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation admet que cette obligation de moyens soit renforcée, d’où un alourdissement de son contenu, comme l’atteste l’obligation d’évaluer les capacités physiques et psychologiques des pratiquants. Elle va même, dans certain cas, jusqu’à présumer le manquement à l’obligation de sécurité[2]. Mais elle n’est pas allée au-delà et n’a encore jamais admis qu’une telle obligation puisse être qualifiée de résultat. En l’occurrence où il y avait eu une succession de fautes, on ne voit pas les raisons d’une telle qualification d’autant que celle d’homicide involontaire ne peut être retenue que sous couvert d’une faute.
9-Le deuxième motif selon lequel le moniteur aurait enfreint de « façon manifestement délibérée les obligations de sécurité et de prudence prévues par l’arrêté du 22 juin 1998 » est aussi discutable. La faute délibérée au sens de l’article 121-3 du code pénal suppose nécessairement la violation d’une loi ou d’un règlement. En l’occurrence, c’est l’arrêté du 22 juin 1998 alors en vigueur qui était visé. Fallait-il encore qu’il édicte une obligation particulière de sécurité. La cour d’appel relève « que les consignes de plongée n’apparaissent pas avoir été données par le directeur du centre » (…), « alors que découlant de la lecture et du sens de l’arrêté du 22 juin 1998 et des pratiques professionnelles, ces consignes auraient dû être explicitement dictées ». Cet attendu est critiquable à deux points de vue. L’obligation particulière de sécurité doit être clairement énoncée par la loi ou le règlement. Elle ne peut être déduite d’une interprétation du texte. Or c’est ce que fait l’arrêt en soutenant que les consignes de sécurité découlent « de la lecture et du sens de l’arrêté du 22 juin 1998 et des pratiques professionnelles ». Or ce texte ne fait aucune allusion explicite aux consignes de plongée avant l’embarquement. Par ailleurs les pratiques professionnelles ne peuvent être assimilées à une obligation réglementaire qui doit être explicitement édictées par un décret ou un arrêté. Par ailleurs, selon ce texte les baptêmes de plongée doivent nécessairement être effectués avec un seul élève. Curieusement la cour d’appel ne fait pas allusion au fait que le stagiaire encadrait deux élèves au lieu d’un seul. Le pourvoi qui relève cette omission soutient que la cour d’appel n’a pas établi que la seconde plongée au cours de laquelle est survenu l’accident devait encore être regardée comme un baptême. En effet, si on admet qu’un baptême correspond stricto sensu à une première plongée, l’accident ne serait pas survenu au cours d’un baptême. Pourtant, cette objection est passée sous silence par la chambre criminelle.
10-Il est acquis que le moniteur n’avait pas les qualifications minimum requises pour encadrer des débutants. Toutefois, en admettant que l’absence de qualification puisse être considérée comme la violation particulière d’une obligation de sécurité et de prudence, il fallait encore démontrer que le prévenu avait agi sciemment. Il ne suffisait pas d’établir qu’il ne pouvait ignorer les dispositions réglementant la plongée en qualité de professionnel. Il fallait encore prouver une réelle manifestation d’hostilité à la loi de sa part. Une mise en demeure de l’administration suite à une visite de contrôle de l’établissement en aurait rapporté indiscutablement la preuve. On peut penser que les juges ont déduit la mauvaise foi de l’intéressé de l’habitude qu’il avait prise de laisser des stagiaires sans compétence d’encadrement procéder seuls à des stages d’initiation pour des raisons liées à la rentabilité de l’établissement. Mais établir l’élément constitutif d’une infraction par déduction ou présomption n’est pas suffisant.
11-Il eut été préférable de retenir la faute caractérisée dont l’existence était facile à établir. Les tribunaux admettent qu’un manquement à une obligation professionnelle essentielle constitue une faute caractérisée, ce qui est certainement le cas de l’employeur qui fait encadrer des débutants par un moniteur inexpérimenté et que celui-ci omet de donner des consignes à ses élèves alors que la plongée est reconnue comme un sport dangereux se pratiquant dans un environnement habituellement hostile.
2 – La condamnation à une peine d’emprisonnement ferme
12-L\’article 132-24 du code pénal avant sa modification par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l\’individualisation des peines, définissait les principes devant guider la juridiction de jugement au stade du prononcé de la sanction. Il posait le principe de la personnalisation de la peine et du caractère subsidiaire de l’emprisonnement repris aujourd’hui par l’article 132-19 alinéa 2. Selon les dispositions de ce texte, la peine d’emprisonnement ferme est l’exception là où le sursis est la règle. En effet, pour la prononcer le juge doit d’abord établir qu’elle est nécessaire compte tenu de la gravité et de la personnalité de son auteur et démontrer l’inadéquation de toute autre sanction. Dans le cas contraire, la personne condamnée doit faire l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal.
13-Il est difficile de contester la gravité de la faute, au minimum caractérisée. Les juges ont raison d’estimer que la succession de violations par un professionnel des règles élémentaires de sécurité dans un sport où le risque d’accident présente « un caractère de grande prévisibilité » mérite « une peine à la mesure de la sanction de ces comportements prononcées ». En revanche, ils ont eu tort d’en rester à cette unique constatation pour évaluer le quantum de la peine sans rechercher si la personnalité et la situation du prévenu permettaient de l’aménager. Ne pas indiquer en quoi toute autre sanction (notamment le régime de semi-liberté ou le placement sous surveillance électronique) aurait été manifestement inadéquate c’était s’exposer à l’inévitable censure de la Cour de cassation.