Le décès accidentel d’un amateur de canyoning et d’une alpiniste, s’ils sont le prétexte à un examen de l’obligation de sécurité des professionnels de l’encadrement, offrent aussi l’occasion de mettre en évidence la force majeure et le défaut de causalité que les deux guides mis en cause ont fait valoir avec succès pour s’exonérer de leur responsabilité.
1-Le canyoning et l’alpinisme font partie des sports réputés pour leur dangerosité comme l’attestent les arrêts rendus par les Cours d’Appel de Paris (10 septembre 2013) et de Chambéry (28 novembre 2013). Dans la première espèce, un amateur de canyoning a été emporté par une vague d’eau provoquée par des pluies abondantes et s’est noyé. Dans la seconde, une alpiniste a fait une chute mortelle au retour d’une ascension. Leurs conjoints ont demandé réparation : le premier à la société qui employait l’éducateur et le second au guide qui encadrait la sortie, mais ont été déboutés par les premiers juges et en appel.
2-La société organisatrice de la descente du canyon avait été assignée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, ce qui allait de soi puisque l’accident s’était produit à l’occasion de l’exécution d’un contrat de service sportif et qu’il lui était reproché d’avoir manqué à son obligation de sécurité. En l’occurrence, il s’agissait d’un cas de responsabilité contractuelle du fait d’autrui puisque l’activité était encadrée par un éducateur salarié. La jurisprudence considère, en effet, que le débiteur (ici la société organisatrice de l’activité) doit répondre de toute personne (auxiliaire tel un salarié ou substitut comme un prestataire de service) qu’il fait intervenir dans l’exécution du contrat.
3-Dans la seconde espèce, le demandeur s’était prévalu de l’article 1382 et subsidiairement de l’article 1147 du code civil en violation du principe du non-cumul des responsabilités qui ne permet pas à la victime d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont remplies. Aussi, est-ce sans surprise que la cour de Chambéry écarte le débat sur le terrain délictuel (art 1382) rappelant à juste titre qu’il ne peut s’agir que d’un contentieux contractuel (art. 1147) dès lors que le litige porte sur l’exécution d’une prestation de service.
4-Il est également de jurisprudence constante que l’obligation contractuelle de sécurité de l’exploitant d’un établissement sportif est une obligation de moyens puisque ses clients participent activement à l’exécution du contrat passé avec le professionnel. Celui-ci n’a pas contracté d’obligation de résultat, par laquelle il se serait engagé à ce que ses clients terminent l’activité sains et saufs, mais a seulement promis de prendre toutes les mesures de précaution nécessaires pour les mettre à l’abri d’un accident.
5-Curieusement, la cour de Chambéry se borne à préciser qu’en « raison du danger inhérent à l’activité d’escalade en haute montagne, le guide est tenu d’une obligation de sécurité de moyen ». En somme, les juges laissent sous-entendre que l’obligation serait de résultat pour les sports réputés non dangereux alors que ce type d’obligation se caractérise par l’absence d’autonomie et de participation active du pratiquant, ce qui n’est certainement pas le cas des amateurs de sport. Ou alors, il faut revoir le critère de distinction des obligations de moyens et de résultat et admettre que l’obligation est de moyen chaque fois que le participant a accepté le risque d’accident (ce qui est le cas des sports dangereux) et de résultat dans le cas contraire.
L’obligation de sécurité du moniteur étant une obligation de moyens, il faut évaluer sa conduite en référence à celle qu’un professionnel avisé aurait eue en pareille circonstance.
6-Les tribunaux considèrent habituellement que dans les sports à risque, l’obligation du professionnel doit être appréciée avec plus de rigueur, compte tenu des dangers propres à l’activité, comme l’a affirmé à plusieurs reprises la Cour de cassation[1] et comme le rappelle à juste titre la Cour de Paris à propos de la pratique du canyoning. En pratique, cela revient soit à alourdir l’obligation de sécurité (par exemple, les juges retiendront la moindre faute de vigilance[2]) soit à l’étendre en imposant des devoirs spécifiques à l’organisateur (par exemple, ils reprocheront au professionnel de ne pas s’être informé auprès du pratiquant sur son état physique et psychologique[3]). Plus précisément, les tribunaux appliquent ce mode d’évaluation à la phase préparatoire de l’activité et à son déroulement comme l’attestent les deux décisions commentées ci après.
I- L’évaluation de la phase préparatoire
7-L’arrêt de la cour de Paris met en évidence l’importance que les juges attachent à la vérification des mesures de sécurité qui doivent avoir été prises dans la phase préalable, comme la qualification du guide et surtout les informations qu’il a dû communiquer aux participants sur la pratique de l’activité et notamment sur ses dangers. A cet égard, les juges n’y trouvent rien à redire. Le guide est, non seulement, en possession des diplômes requis pour encadrer la descente de canyon (brevet d’Etat d’éducateur sportif, option spéléologie et attestation de qualification et d’aptitude) mais possède également une expérience suffisante puisqu’il a exercé son activité d’éducateur sportif plusieurs mois en Martinique et pendant trois mois à la Réunion où s’est produit l’accident. De surcroît, les informations sur la pratique de l’activité paraissent bien avoir été données puisque l’une des participantes a « déclaré avoir assisté à une démonstration du matériel et avoir été « mise en confiance » avant de commencer le parcours ». En revanche, le conjoint de la victime lui reproche de n’avoir pas tenu compte des derniers bulletins météorologiques qui étaient inquiétants. Cette question a été précisément au centre des débats. Fallait-il maintenir ou annuler la sortie ?
8-Le risque de crue lié à des précipitations abondantes est bien connu des professionnels du canyoning. Pas plus que le risque d’avalanche celui de crue n’impose pas l’annulation de l’activité. Ainsi, les tribunaux considèrent-ils que l’annonce d’un risque d’avalanche ne constitue qu’une aide à la décision[4]. Ce qui est vrai pour le danger d’avalanche doit l’être pour tout autre péril comme celui d’une brusque montée des eaux. En somme, c’est aux professionnels d’apprécier à partir des autres éléments dont ils disposent, comme la géographie des lieux et la météorologie locale, s’il faut maintenir ou non la sortie. C’est précisément ce que fait la cour de Paris en observant que les bulletins météorologiques n’étaient pas suffisamment inquiétants pour empêcher la pratique du canyoning, puisque celui de la veille de l’accident annonçait pour le lendemain des orages dans le Nord-Ouest de l’Ile alors que le site où s’est produit l’accident est situé à l’Est. Par ailleurs, selon les juges, « les pluies annoncées le lendemain, même orageuses, n’étaient pas susceptibles de gêner la progression de participants à une activité de canyoning, cette activité se pratiquant en milieu aquatique, avec des combinaisons en néoprène qui protègent de l’humidité et du froid ». De surcroît, la cour relève que plusieurs groupes de sportifs encadrés par des professionnels se trouvaient sur le même site lorsque la vague a surgi. Il n’y a donc pas eu d’erreur d’appréciation du danger comme le prétendait le demandeur.
9-Les juges auraient pu s’en tenir à cette constatation. Toutefois ils croient utiles d’ajouter « de manière surabondante » que la survenance subite de la vague n’a pu être imputable qu’à la force majeure. Celle-ci suppose que l’évènement soit extérieur, imprévisible et irrésistible, conditions manifestement réunies en l’espèce. De toute évidence, l’arrivée de la vague n’était pas imputable au guide mais le résultat de l’action d’une force naturelle. De même, elle n’était pas raisonnablement prévisible pour des professionnels puisqu’aussi bien les bulletins météo n’avaient pas fait explicitement état de l’imminence de crues brutales, que d’autres moniteurs sportifs se trouvaient sur les lieux et que le procès-verbal de synthèse des gendarmes qualifie la vague « d’exceptionnelle et imprévisible ». Par ailleurs, sa hauteur évaluée à 3,50 mètres, suffit par elle-même à établir son irrésistibilité.
10-Les demandeurs faisaient encore valoir que le moniteur aurait dû doter les participants de chaussures polyvalentes nage/marche et d’un sifflet. Cette fois-ci, c’est le défaut de causalité qui vient au secours du professionnel. En admettant que les chaussures dont ils étaient équipés aient été inadaptées (ce qui n’est pas l’avis des juges pour qui elles présentaient l’avantage de protéger les pieds lors des progressions sur les rochers, sans entraver la nage), il n’est pas possible de démontrer qu’elles auraient empêché la victime de nager pour rejoindre la berge. En effet, même si celle-ci avait été équipée des chaussures recommandées par l’instruction ministérielle, elle aurait de tout façon été emportée par la violence de la vague. De même, l’absence d’un sifflet n’a pas plus de lien causal avec l’accident. En supposant que la victime en ait été pourvue, la violence de la vague qui l’a emportée ne lui aurait pas permis de s’en servir pour se faire repérer.
11-Dans cette affaire, le choix du canyon n’a pas été débattu, contrairement à l’autre espèce où le compagnon de la victime reprochait au guide d’avoir commis une imprudence en choisissant une course de cotation très difficile alors qu’il connaissait la piètre condition physique de ses deux clients. A ce stade deux questions se posent. D’abord, celle du moment de la course. A cet égard, les juges relèvent que le mois de juin était favorable pour l’entreprendre car les pentes herbeuses de l’accès étaient entièrement déneigées et qu’elle s’est déroulée par une belle journée, ensoleillée, chaude et sans vent. En outre, le terrain était ni trop gras ni trop sec malgré les précipitations des jours précédents. La deuxième question, tout aussi classique, est celle de l’adéquation entre le niveau du pratiquant et la difficulté de l’exercice qui prend tout son importance dans les sports à risque. S’il n’a pas pour client des pratiquants aguerris, le professionnel doit s’assurer qu’ils sont capables de surmonter les difficultés propres à sa discipline. L’évaluation de leur niveau et de leurs capacités physiques fait partie des obligations spécifiques à sa charge. Il faut y voir une application pratique de l’obligation de moyens renforcée. La moindre erreur d’appréciation sera donc retenue contre lui. Mais les juges ne trouvent aucun indice révélateur d’une surestimation du niveau des deux clients. Ils observent d’abord qu’ils effectuaient chaque année, depuis 2005, une semaine de course en haute montagne et avaient plusieurs grandes courses à leur actif. Les juges en concluent qu’ils « possédaient donc une expérience leur ayant permis de mieux apprécier les propositions de sorties qui leur étaient faites que ne l’auraient pu des néophytes ou « des touristes amateurs » ainsi que se qualifie inexactement » le demandeur. En somme, l’obligation du professionnel se trouve allégée lorsque ses clients sont assez expérimentés pour évaluer eux mêmes leurs capacités. Il lui appartient seulement de les renseigner sur les caractéristiques de la course pour qu’ils puissent prendre une décision en connaissance de cause, ce qui a été fait, puisque le demandeur reconnaît que le guide leur avait « exposé les difficultés de cette course et leur avaient donné un descriptif de l’itinéraire qui leur a permis de lire que l’approche était raide ». Comme le relève l’arrêt, ils étaient « à même de mesurer les risques auxquels ils s’exposaient ». En somme, les juges ne font qu’appliquer la théorie de l’acceptation des risques qui conserve toute sa valeur dans le domaine de la responsabilité du fait personnel. Face à des participants aguerris, le professionnel peut s’en tenir à son obligation d’information. A ses clients d’apprécier s’ils sont en état d’effectuer la course. Toutefois, dans la présente espèce, il a été averti par ceux-ci qu’ils n’avaient pas le même niveau que les années précédentes en raison notamment d’une blessure à la cheville de l’un deux. Dans ces conditions, il devait s’assurer que la course qu’il proposait, cotée TD (très difficile), était adaptée à leur condition physique actuelle. Or les juges éludent cette question. Sans doute en raison du moment de la chute. En effet, la malheureuse est tombée après avoir effectué la marche d’approche, l’escalade et la descente de l’aiguille rocheuse au pied de laquelle le trio s’était arrêté pour se restaurer et remettre ses chaussures de marche. Les deux difficultés du parcours de retour ont été effectuées sans dommage, l’une encordée et l’autre assurée par le guide. Aussi, en supposant que celui-ci ait surestimé le niveau du couple, cette erreur d’appréciation a été sans rapport avec l’accident. On mesure, là encore, l’importance du lien de causalité entre la faute et le dommage sans lequel il n’y a pas de responsabilité !
12-Si les juges n’ont pas identifié de faute de la part du guide dans la phase préparatoire de la course, en revanche, au stade de son déroulement, ils ont relevé des manquements dans les soins à apporter à la victime.
II- L’évaluation du déroulement de la course
13-Selon le demandeur, le guide aurait dû encorder ses clients et leur faire porter leurs crampons. Seuls les professionnels de l’art sont susceptibles de se prononcer sur cette question. Les juges s’en sont remis aux procès verbaux des gendarmes qui ont validé les choix effectués par le guide. Si l’encordement s’avérait indiscutable dans l’ascension de l’aiguille rocheuse et lors de la descente, en revanche, il ne se justifiait plus à l’endroit de l’accident. La chute s’est en effet produite dans une pente herbeuse à l’inclinaison moyenne de 15° qui n’était pas importante, comparée au reste de la descente. Par ailleurs, l’encordement n’élimine pas le risque que la chute d’une personne, conjuguée avec un effet de surprise, entraîne celle des autres. Dès lors, s’il n’est pas nécessaire, comme c’était le cas, en l’occurrence, il est préférable de s’en passer d’autant que les participants étaient assez aguerris pour effectuer cette partie de la descente en autonomie.
14-Le port de crampons sur un tel terrain constituait également un facteur de risque. Ce matériel est normalement utilisé pour permettre la progression sur neige et sur la glace sans glisser. En l’occurrence son port ne s’imposait pas puisque le groupe n’évoluait ni sur un glacier ni sur un névé. Au contraire, comme l’ont justement fait remarquer les gendarmes, « sur un tel terrain les crampons peuvent également être facteur de chute en s’accrochant aux herbes ou aux cailloux ». Dans ces conditions, il ne pouvait être reproché au guide de ne pas en avoir équipé ses clients. La chute dont a été victime la malheureuse fait donc partie des risques inhérents à l’alpinisme, comme en concluent à juste titre les juges. Un professionnel, même le plus averti, ne peut les éliminer. Il est donc logique qu’ils ne lui soient pas imputés.
15-En revanche, il doit être capable de dresser un bilan de l’état du blessé et d’effectuer les gestes de secourisme permettant une surveillance efficace des fonctions vitales de la victime. Or les juges constatent que le guide a été défaillant sur ce point et notamment qu’il ne l’a pas placé en position latérale de sécurité. Toutefois, ils considèrent que cette négligence est sans relation de causalité avec son décès où tout au moins que le lien de causalité est incertain dès lors que la cause exacte du décès demeure inconnue et que les gestes élémentaires de secourisme n’auraient pas suffit à sauver l’alpiniste en raison de la gravité de ses blessures. Le temps très court qui s’est écoulé entre la chute et le décès tend d’ailleurs à accréditer cette version. Là encore, l’exigence de causalité vient au secours du professionnel. On regrettera seulement que les juges en arrivent à cette conclusion sans s’appuyer sur les constations du médecin ayant dressé l’acte de décès. Il vaut mieux une certitude qu’une présomption, même sérieuse, d’absence de causalité.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Cours d’Appel de Paris, 10 septembre 2013
Cour d’Appel de Chambéry, 28 novembre 2013
Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 .
Documents joints:
CA PARIS 10 SEPT 2013
CHAMBÉRY 28 NOV 2013
Notes:
[1] Cass. 1re civ. 5 nov. 1996, n° 94-14975 Bull. civ. I, no 380 ; Civ. 1, 29 nov. 1994, n° 92-11332. Bull. civ. I, n° 351, Gaz. Pal. 1, panor. p. 86 ; 16 octobre 2001, n° 99-18221, Bull. civ. I, no 260 p. 164.
[2] Cass. 1re civ. 9 févr. 1994, n°91-17202, Bull. civ. I, no 61 p. 48. JCP 1994. II. 22313, note D. Veaux. Le moniteur de ski a omis d’appeler l’attention des skieurs qu’il encadrait sur la qualité de la neige et le danger créé sur le parcours par la présence d’une barre rocheuse non signalée.
[3] Cass. 1re civ. 5 nov. 1996, n° 94-14975 Ibid. Les moniteurs de parapente n’ont pas pris la précaution de s’enquérir, avant le premier saut, de l’état physique et psychologique de leur stagiaire.
[4] CA Chambéry, 11 juin 1977, n° 97/378 : « Le but des bulletins de neige avalanche n’est pas d’interdire ou d’autoriser la pratique de la montagne, mais de fournir à l’usager des éléments lui permettant d’adapter son itinéraire et son comportement aux conditions de neige et aux risques prévus »