Dans son discours de Nantes du 15 mars 2007, M. Sarkozy, dans un style qui lui est propre, affichait clairement un volontarisme à tous crins à l’égard des bénévoles associatifs : « Je veux transmettre la valeur de l’engagement et pour cela valoriser le bénévolat, un bénévolat régulier, qui n’est pas synonyme d’incompétence ou d’amateurisme. » Raisonnement spécieux lorsque l’on sait que paradoxalement les associations en voie de professionnalisation perdent, par un effet quasi-mécanique, de leur pouvoir attractif vis-à-vis des bénévoles, dès l’embauche de leurs premiers personnels salariés. En effet, au cours de la période 2001-2007, le rapport CNRS – Matisse de juin 2007 consacré aux associations (1) montre clairement que les associations employeurs accusent un déficit de bénévoles (-6%), alors même que le nombre moyen de bénévoles par association est globalement constant durant cette même période.
Promouvoir le bénévolat requiert donc au préalable, une connaissance approfondie des motivations profondes qui résonnent à l’intérieur de chacun de ses acteurs. « Bene velle » (loc. lat. « qui veut le bien ») suffit pour la plupart d’entre eux et, de ce point de vue, nous nous inscrivons dans la perspective développée par Mme D. Ferrand-Bechmann et reprenons à notre compte la définition qu’elle propose du bénévolat : est bénévole « toute action qui ne comporte pas de rétribution financière et s’exerce sans contrainte sociale ni sanction sur celui qui ne l’accomplit pas ; c’est une action dirigée vers autrui ou vers la communauté avec la volonté de faire le bien, d’avoir une action conforme à de nombreuses valeurs sociétales ici et maintenant » (2).
Le don de soi et le libre arbitre (3) constituent les deux piliers du bénévolat, l’un et l’autre étant essentiel à la survie de ce fragile édifice. Or, ces qualités intrinsèques (4) font, depuis peu, l’objet d’attaques régulières :
- La première en date procède de la loi n°2006-586 du 23 mai 2006 (art. 20) (5) dont les conditions d’application viennent récemment d’être explicitées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) (6) : l’article 20 de la loi du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif, précise que les associations, dont le budget annuel est supérieur à 150.000 euros et recevant une ou plusieurs subventions de l’État ou d’une collectivité territoriale dont le montant est supérieur à 50.000 euros, doivent publier chaque année dans leurs comptes financiers les rémunérations des trois plus hauts cadres dirigeants bénévoles et salariés ainsi que leurs avantages en nature. Cet article vise à la fois les cadres dirigeants au sens de l’article L.212-15-1 du Code du travail et les dirigeants de droit, que ces derniers soient salariés, bénévoles ou rémunérés en leur seule qualité de mandataire social. Dans l’attente d’une réponse du Ministre en charge de la Vie associative qui a été saisi de cette question par la CNCC, la mention d’une telle information apparaît en l’état actuel inacceptable et bien peu propice à l’engagement bénévole. En effet, on comprend mal pourquoi les dirigeants associatifs bénévoles devraient accepter de voir leurs rémunérations étalées sur la place publique…
- La seconde réside dans l’article 21 du projet de loi sur la maîtrise de l’immigration qui prévoyait d’exclure des centres d’hébergement d’urgence les personnes en situation irrégulière : les Restaurants du coeur (7) ainsi que d’autres centres d’hébergement dénonçaient aussitôt la tentative d’instrumentalisation dont elles étaient victimes. Pour ces structures associatives, si « [leurs] bénévoles […] étaient obligés d’effectuer des contrôles de titres de séjour, cela dévoierait l’esprit même de l’association » (8). Fort heureusement, sous la pression, cette disposition était invalidée in extremis par le Sénat et définitivement abandonnée par la Commission mixte paritaire le 16 octobre dernier (9). En effet, on peut aisément imaginer les conséquences qu’aurait pu avoir l’application d’un tel dispositif dans d’autres secteurs associatifs, tel que le sport par exemple. Les associations sportives auraient-elles été contraintes d’effectuer de tels contrôles au moment du renouvellement annuel des licences sportives ? Plus « cocasse » aurait été la mise en oeuvre de ce type de contrôle, dans la mesure où les fédérations sportives délégataires obligent ces clubs amateurs à intégrer dans leurs statuts « des dispositions destinées […] à prévoir l’absence de toute discrimination dans l’organisation et la vie de l’association » (Code du sport, art. R 121-3, 3°) …
Et que penser de la proposition de M. Sarkozy lorsque ce dernier déclare, le 15 octobre dernier (10), en prélude à la Journée mondiale de refus de la misère, « je veux que les années de bénévolat dans nos associations valident des années de cotisation de retraite » (11) ?
Là encore, il conviendrait d’éviter les effets d’annonces faites sans aucune concertation avec les instances représentatives du monde associatif, telles que la Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA).
Pour notre part, nous pensons qu’une telle mesure se distinguerait plutôt par ses impacts négatifs sur le bénévolat (qui, à notre sens, a moins besoin de statut que de soutien). Sans parler des difficultés techniques insurmontables résultant de la mise en oeuvre d’un tel projet (financement, modalités de reconstitution du parcours du bénévole, valorisation des trimestres, etc.).
Nul doute qu’à cette occasion, la tentation sera forte de solliciter une implication bénévole minimum, ce qui aurait pour conséquence de renvoyer cette forme d’engagement à sa seule dimension économique. Pire encore, un tel dispositif pourrait prévoir de ne réserver le bénéfice de cette mesure qu’aux seules associations « méritantes » – ce qui invariablement poserait la question du choix des critères d’éligibilité – risquant ainsi de provoquer une scission au sein même du secteur associatif.
Autant de questions qui a priori devraient motiver une vigilance accrue de la part de l’ensemble des acteurs du monde associatif.
Rédacteur en chef
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Notes:
[1] V. Tchernonog, « Les Associations : financement, emploi, travail bénévole, évolutions », CNRS-Matisse, juin 2007
[2] D.Ferrand Bechmann, « Bénévolat et solidarité », Paris, Syros Alternatives, 1992, p. 35.
[3] Toute restriction statutaire au droit de se retirer d’une association (suppression de la faculté de démissionner, conditions restrictives, etc.) est nulle (Loi 1er juill. 1901, art. 4)
[4] Selon le Conseil économique et social, dans un avis daté du 24 février 1993, « est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial »
[5] Loi n°2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif, JO du 25, p. 7730
[6] CNCC, bull. n°146, § 98, p. 327
[7] Communiqué de presse du 05 octobre 2007
[8] G. sousi, Les associations, Manuel Dalloz usuel, 1985 : « Le rôle du juriste sera, tout au long de sa réflexion et de son analyse, de témoigner de la perfection de la loi 1901 : quelques dispositions de plus, quelques dispositions de moins, et la perfection laisse la place à l’ap-peu-près, à l’interprétation, mais aussi à la contrainte et à l’immobilisme, pire, à l’arbitraire et à la répression. [...]. Un mot en plus, un mot en moins, par choix délibéré ou par inadvertance et c’est la liberté qui est raturée »
[9] Le Monde, 17 octobre 2007, « Pauvreté : invitées à l’Elysée, les associations restent perplexes », p. 9
[10] La Croix, « Personne ne doit être laissé au bord du chemin », 18 octobre 2007, p.6
[11] Dans son discours de Nantes du 15 mars 2007, M. Sarkozy apportait des précisions en affirmant « qu’une année de bénévolat dans une association ou dans un club donne droit à un stage de formation gratuit ; que 20 heures de bénévolat effectuées régulièrement chaque mois donne droit à 10% de points en plus aux examens ; que 10 ans de bénévolat donne droit à une année de cotisations de retraite »