Les applications de la discrimination ne manquent pas, comme l’atteste l’intéressant jugement du tribunal de grande instance d’Albertville du 21 février 2012. Il mérite particulièrement l’attention car il est peu question de discrimination par l’âge dans la jurisprudence sportive. En l’occurrence, le débat portait sur la demande d’annulation des statuts d’un syndicat local de moniteurs de skis en raison de dispositions discriminatoires pour les moniteurs de plus de 61 ans.

1-Cette décision est intéressante à un double titre. D’abord, car la discrimination par l’âge est inédite dans le contentieux sportif. Ensuite, parce que le jugement est solidement motivé. De quoi s’agissait-il ? Un syndicat local de moniteurs de ski avait voté en assemblée générale une motion imposant une période de débrayage aux seuls moniteurs âgés de plus de 61 ans. Plusieurs membres de ce syndicat l’avaient fait assigner dans le but d’obtenir la suppression de cette disposition jugée illicite. C’était également l’avis de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’égalité) et aujourd’hui Défenseur des Droits. Cette affaire aurait pu donner lieu à des poursuites pénales contre le syndicat en application des articles 121-2 et 225-2 du Code pénal. En effet, tous les groupements (à l’exception de l’Etat) sont pénalement responsables des infractions commises par leurs organes et représentants. En l’espèce, c’est l’assemblée générale du syndicat, organe du groupement, qui se trouvait être l’auteur du fait discriminatoire en ayant adopté la disposition contestée. Mais aucune des parties -ni le parquet, ni les moniteurs- n’a choisi la voie pénale.

2-Les moniteurs lésés réclamant l’annulation de la clause jugée discriminatoire, le litige ne pouvait se régler que sur le terrain civil, comme l’observe justement le tribunal qui écarte d’emblée l’article 225-2 du Code pénal.

3-C’est donc en application de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations que l’affaire a été jugée. Le jugement comporte deux parties bien distinctes. La première porte sur l’existence d’une discrimination (I) et la seconde sur celle d’un fait justificatif (II).

I-L’existence d’une discrimination

4-La discrimination suppose la réunion de deux conditions définies par l’article 1er de la loi de 2008. D’abord, une personne doit être traitée d’une manière moins favorable qu’une autre dans une situation comparable. Ensuite, il faut que le motif discriminatoire corresponde à l’un de ceux énumérés à l’article 1 de la loi.

5-La première condition supposant qu’une personne soit moins bien traitée qu’une autre dans une situation semblable paraît bien remplie. En effet, la motion votée par l’assemblée générale prévoyait que les moniteurs de 61 à 63 ans débrayent durant janvier et ceux de 63 à 65 ans durant les mois de janvier et mars. En revanche, les plus jeunes n’étaient pas affectés par cette mesure. Il y a donc bien eu une restriction de l’exercice de la profession des moniteurs de plus de 61 ans puisqu’ils n’avaient pas accès, pendant un à deux mois de l’année, à la clientèle mise à leur disposition par l’intermédiaire du syndicat. Ils étaient donc traités moins favorablement que leurs collègues plus jeunes. Le fait qu’ils conservaient la possibilité de recourir à une clientèle personnelle pendant cette période d’inactivité ne changeait rien à l’affaire comme le relève le tribunal.

6-En ce qui concerne la deuxième condition, l’âge figure bien dans la liste des faits discriminatoires qui peuvent faire l’objet d’une différence de traitement. En effet, l’article 2 de la loi de 2008 interdit toute discrimination directe ou indirecte fondée sur (…) l’âge (…) en matière d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, « y compris d’avantages procurés par elle ». En l’occurrence, l’âge des moniteurs conduisait à une différence de traitement entre eux caractérisée par le fait que les moins de 61 ans n’étaient pas affectés par des périodes de débrayage. Par ailleurs, la circonstance que les victimes étaient des travailleurs indépendants et non salariés ne porte pas à conséquence puisque l’article 2 vise indifféremment le travail indépendant ou salarié. Enfin, comme le relève le tribunal, le fait que les moniteurs avaient la possibilité de recourir à une clientèle personnelle lors de leurs périodes d’inactivité forcée est sans incidence sur la discrimination puisque celle par l’âge est interdite, y compris en matière de travail indépendant, ainsi qu’en dispose l’article 2.

II-L’absence de fait justificatif

7-L’article 2 de la loi de 2008 précise que le principe de l’interdiction ne fait pas obstacle à des différences de traitement «  lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». La motion contestée pour avoir créé une différence de traitement entre les moniteurs répondait-elle aux conditions fixées par ce texte ?

8-A l’analyse, aucune des justifications avancées par le syndicat ne résiste à l’examen. Il justifiait d’abord sa motion par le souci de favoriser l’accès à l’emploi des jeunes. Préoccupation louable en ces périodes de difficulté d’accès à l’emploi pour cette catégorie de la population, mais qui n’est pas propre au métier de moniteur de ski. Retenir cet argument reviendrait à admettre des discriminations par l’âge dans toutes les professions. Or le motif « d’exigence professionnelle essentielle et déterminante » doit être examiné par rapport aux caractéristiques spécifiques à une profession. Par ailleurs à supposer que ce motif soit considéré comme «  légitime », encore faut-il qu’il ait été réel. Or, c’est là que le bât blesse ! Les documents produits sur la répartition du travail entre les moniteurs révèlent qu’il s’effectuait selon un tour de rôle qui ne favorisait aucune classe d’âge par rapport aux autres. Dès lors les places libérées par les plus de 61 ans ne profitaient pas exclusivement aux jeunes moniteurs mais à tous ceux qui n’étaient pas frappés par la mesure de suspension. L’effet sur l’accès à l’emploi des jeunes moniteurs était donc « tout à fait marginal ». En réalité, le jugement révèle que les jeunes moniteurs réglaient une cotisation d’un montant nettement supérieure à celle des plus âgés (40%, contre 8% à partir de la 21ème année). Ainsi le syndicat local avait intérêt, lors des périodes creuses, à favoriser le travail de ses plus jeunes membres pour son propre bénéfice financier. La vraie raison de la mesure n’était donc pas de faciliter l’emploi des jeunes mais bien d’améliorer ses recettes comme le relève à juste titre le jugement.

9-Le tribunal fait également état d’un argument soulevé par le syndicat selon lequel les moniteurs âgés de plus de 61 ans ayant la possibilité de faire valoir leurs droits à la retraite ne subiraient pas de diminution de ressource. C’est oublier, comme le relèvent les juges, que ceux qui anticiperaient leur départ en retraite subiraient une décote du montant de leur pension et ceux qui continueraient leur activité, acquitteraient des cotisations en baisse, diminuant leurs droits futurs.

10-Il reste un dernier motif invoqué par le syndicat : celui de la sécurité et de la compétence. On évacuera d’emblée le motif d’incompétence, guère convaincant car avec l’âge un moniteur gagne en expérience et connaît mieux les risques de son métier qu’il a pu appréhender au cours de sa carrière. En revanche, avec l’âge il a pu perdre de la force physique et de la souplesse. Cependant, la diminution des ressources physiques, si elle peut affecter substantiellement la carrière sportive d’un compétiteur, n’a guère d’impact sur un moniteur de ski. Elle n’a pas d’incidence sur les cours qu’il donne ni sur sa capacité à accompagner un groupe en randonnée. Par ailleurs, si une discrimination par l’âge pouvait se justifier pour des raisons de sécurité, la loi n’aurait pas manqué de le prévoir. Or aucun article du Code du sport n’évoque de limite d’âge pour l’exercice de la profession d’éducateur sportif. La seule limite possible est celle de l’âge de départ à la retraite qui n’est pas concernée par le présent litige.

11-Cette décision est riche d’enseignement pour les dirigeants sportifs qui sont susceptibles de faire adopter, lors de leurs assemblées générales ou lors des réunions de conseil d’administration, des mesures à caractère discriminatoires. Il leur est donc vivement recommandé de se procurer le texte de la loi de 2008 et les articles du Code pénal réprimant la discrimination avant d’agir !

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

Tribunal de Grande Instance d’Albertville, 21 février 2012



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