Il n’y a pas d’apprentissage de l’équitation sans chute. C’est un risque qui ne peut être éliminé, même si la leçon est encadrée par un professionnel diplômé. L’obligation de moyens appliquée à l’exploitant de centre équestre s’explique par l’aléa de la prestation fournie. La victime doit établir une faute dans le choix de la monture ou dans le déroulement de la leçon, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises (cf nos commentaires du 29 octobre 2012 et du 26 avril 2011). Les Les cours d’appel d’Aix-en-Provence et de Paris en font ici une nouvelle application en font ici une nouvelle application.
1- Deux cavalières, une fillette et une adulte, se blessent en chutant lors d’une leçon d’équitation. Ni l’une ni l’autre ne parviennent à établir une faute du centre équestre. L’accident est survenu alors qu’elles débutaient l’équitation. Elles font valoir un manquement du centre équestre à son obligation de sécurité et prétendent que l’animal qui leur a été remis était anormalement nerveux le jour de la reprise. De surcroît, les parents de la jeune victime affirment que la monitrice en charge de la reprise aurait mal apprécié la capacité de leur fille à se maintenir sur le poney et reprochent au centre équestre une mauvaise gestion des suites de l’accident. Ils estiment également qu’il a manqué à son obligation d’information sur l’assurance individuelle accident.
2- Aucun des moyens soulevés au titre de l’obligation de sécurité n’est retenu et les demandes sont rejetées par arrêt du 16 septembre 2013 pour la cour de Paris et du 18 décembre 2013 pour celle d’Aix-en-Provence. Les deux décisions relèvent que les victimes se contredisent[1], que leurs déclarations ne sont pas confirmées par les attestations des moniteurs ou que les témoignages qu’elles produisent sont eux-mêmes sujets à caution[2]. En ce qui concerne l’obligation d’information, les juges faisant une application littérale des dispositions du code du sport, relèvent que celles-ci s’appliquent uniquement aux associations et fédérations sportives et non aux établissements commerciaux.
I-Le manquement à l’obligation de sécurité
3- Si l’obligation de sécurité avait été une obligation de résultat, la responsabilité du centre équestre aurait été établie du seul fait de la survenance du dommage, à charge pour l’exploitant de combattre cette présomption de responsabilité, sans pouvoir s’exonérer de ses propres fautes, mais uniquement par la voie d’une cause étrangère comme la force majeure ou la faute de la victime. Mais c’est bien d’une obligation de moyens dont il est question ici comme le rappellent sans surprise les deux arrêts. Elle n’offre pas les avantages de l’obligation de résultat. La seule survenance du dommage ne suffit pas pour mettre en jeu la responsabilité du centre équestre. La victime doit établir un manquement de sa part ou une faute du moniteur qui dirigeait la reprise. Aussi n’a-t-elle pas la possibilité d’engager la responsabilité du centre si elle ne parvient à en rapporter la preuve.
Ce fardeau peut, toutefois, être singulièrement allégé soit par une présomption de faute que les tribunaux appliquent au contrat de prise en pension d’un cheval[3] soit plus habituellement par le renforcement du contenu de l’obligation dont l’expansion varie en fonction de la dangerosité du sport pratiqué et du niveau des participants.
4- La Cour de cassation considère que l’obligation de moyens de l’organisateur d’activités sportives est « appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »[4]. Mais, elle est restée muette sur la définition de la dangerosité laissant les juges du fond libres de déterminer les sports pour lesquels il y a dilatation de l’obligation de moyens. Cette jurisprudence appliquée jusqu’ici aux sports aériens n’a pas, à notre connaissance été étendue aux sports équestres. Si la pratique de l’équitation dans l’enceinte d’un manège n’est pas dénuée de tout danger, l’impact d’une chute de cheval sur un sol assoupli n’est pas comparable à celui de l’amateur de deltaplane projeté contre le flanc d’une montagne sous l’effet d’un coup de vent, du parachutiste dont la voile ne s’ouvre pas ou s’entremêle avec celle de son parachute de secours, de l’amateur de canyoning noyé dans une vasque, ou encore de la cordée d’alpinistes qui dévisse sur plusieurs centaines de mètres.
5- Toutefois, le degré de dangerosité d’un sport n’est pas l’unique critère de renforcement de l’obligation de moyens de l’organisateur. Il faut compter aussi avec le niveau du pratiquant. S’il s’agit d’un élève aguerri comptant plusieurs dizaines de leçons à son actif, l’obligation de sécurité du moniteur est forcément allégée. En revanche, s’il s’adresse à un néophyte, elle va être logiquement renforcée. Dans les deux espèces commentées, les deux cavalières étaient débutantes puisque la première est tombée dès sa première leçon et la seconde au cours de la 4ème leçon. La cour d’Aix-en-Provence fait précisément référence à cette question en indiquant que la faute du moniteur « doit être appréciée au regard de l’autonomie plus ou moins grande qui peut être laissée aux cavaliers en fonction de leur niveau et de leur expérience ». L’autonomie d’un cavalier aguerri est importante, alors que celle d’un cavalier débutant est forcément limitée car il est incapable de maitriser un animal qui présente des signes de nervosité, botte, ou s’emballe. A la différence des sports qui se pratiquent à main nue, l’équitation se pratique avec un animal dont le caractère et le comportement habituel sont primordiaux dans le choix de la monture. On ne fait pas monter un débutant sur un pur sang ou sur un cheval réputé pour être craintif ou nerveux! Il lui faut un animal docile et facile à maitriser. En l’occurrence, les victimes ont bien tenté de faire valoir l’inadaptation de leurs montures mais sans pouvoir administrer la preuve de leur nervosité. C’est la rançon de l’obligation de moyens !
6- En supposant que l’animal fourni présente toutes les qualités requises pour être monté par des novices, le moniteur présent sur le manège n’en doit pas moins exercer une « attention spéciale »[5] quand il s’adresse à des débutants. S’il n’a pas la possibilité de contrôler tous les mouvements du cheval monté par l’élève, il doit veiller à ne pas le mettre en présence d’obstacles disproportionnés par rapport à son aptitude à les surmonter[6]. Si une fillette habituée aux cours d’équitation peut exécuter un exercice les yeux fermés[7], celle qui prend sa première leçon ne peut raisonnablement l’imiter. De même, on n’impose pas un galop sans étrier à une cavalière ayant seulement 18 heures de manège[8].
7- Il est donc primordial de savoir quel était l’exercice effectué au moment de la chute des deux cavalières. La cour de Paris relève qu’il était de ceux habituellement proposés aux jeunes débutants puisqu’il consistait à se tenir en selle, les animaux marchant au pas sur la piste en file indienne les uns derrière les autres. Rien à redire sur cet exercice puisqu’il était en cohérence avec le niveau de la victime. Il en eut été autrement s’il avait présenté un certain danger nécessitant « une surveillance rapprochée et le guidage de la monture par un moniteur expérimenté »[9].
8- Sans doute faut-il compter avec l’appréhension manifestée par des débutants, quand ils montent pour la première fois sur un cheval ou un poney. Mais, aux yeux des juges, cet exercice ne révèle aucune difficulté particulière qui justifierait la réaction du moniteur chaque fois que l’élève manifeste sa peur. D’ailleurs, la cour de Paris observe que les attestations produites par les parents de la jeune cavalière ne mentionnent aucune « manifestation de désarroi » de leur fille avant la chute. Il n’y a que les sports considérés comme dangereux où le moniteur doit s’enquérir de l’état physique et psychologique de son élève afin de s’assurer qu’il est en état d’effectuer l’exercice san
s danger[10].
9- En revanche, on ignore tout de celui exécuté par les participants dans l’autre espèce. Aussi, est-il difficile d’apprécier le degré de vigilance qui s’imposait au moniteur. S’il faisait exécuter un exercice délicat à la cavalière, il devait être en capacité d’intervenir à tout moment pour l’interrompre si l’animal manifestait des signes d’énervement[11]. Elle ne pouvait lui reprocher de s’être abstenu de réagir avant la chute si elle n’établissait pas la preuve d’une telle circonstance. La cour de Paris observe, au contraire, que la monitrice n’avait, ce jour là, que deux élèves à encadrer et en déduit que les conditions étaient réunies pour « une parfaite surveillance du cours ». Déduction logique mais qui aurait pu être contredite par les faits s’il avait été prouvé qu’au moment de l’accident elle bavardait avec un tiers où même s’était absentée quelques instants du manège.
10- Les parents de la jeune cavalière faisaient aussi état de déclarations de la monitrice qui aurait voulu que l’enfant remonte sur le poney alors qu’elle subissait une triple fracture au coude. Il est évident que dans de telles circonstances ces consignes sont parfaitement inappropriées. Cependant, si la chute avait été sans dommage, une telle directive n’aurait rien eu d’anormal. Si on veut qu’un cavalier débutant acquière une certaine autonomie, il faut pouvoir le remettre en selle après une première chute. En agissant dans ce sens, le moniteur d’équitation « ne fait que respecter une pratique selon laquelle un sportif pour effectuer des progrès, ne doit jamais se laisser intimider par un échec »[12]. Le moniteur doit aider les débutants à surmonter leur peur. S’il ne peut pas mettre ses élèves « en présence d’obstacles disproportionnés par rapport à leur aptitude à les surmonter »[13], en revanche, il ne peut pas les soustraire à toute embûche.
11- L’imprudence de la monitrice, en la supposant établie, ne pouvait être retenue contre elle qu’à la condition d’avoir été le fait générateur d’un préjudice. En effet, le lien de causalité implique nécessairement que la faute soit antérieure au dommage. Or la demande de remise en selle ayant été tenue après la chute, elle ne pouvait être la cause des blessures provoquées par celle-ci. Il aurait donc fallu, comme l’observe à juste titre la cour d’appel, établir l’existence d’un préjudice (qui aurait pu être un trouble psychique) qui soit la conséquence directe de ces propos, alors que les parents se sont bornés à demander réparation des conséquences de la chute.
12- On relèvera encore la référence faite à l’aléa dans l’arrêt rendu par la cour d’Aix-en-Provence. Comme l’indiquent les juges, le risque de chute est « inhérent à la pratique de l’équitation, même dans le cadre d’un cours dirigé par un moniteur diplômé ». C’est une façon élégante de dire qu’il n’existe pas de risque zéro dans la pratique de l’équitation. A la différence de celui qui vient uniquement pour le plaisir d’une promenade à dos de cheval, l’élève qui prend une leçon d’équitation ne peut espérer apprendre à monter à cheval sans risquer de tomber[14] ! La chute fait partie des incidents que même le moniteur le plus vigilant ne peut pas empêcher si l’élève veut apprendre à maitriser un cheval. C’est cet aléa qui sert ici de fondement à l’obligation de moyens.
13-Pour limiter les conséquences d’un régime de responsabilité qui laisse les victimes sans indemnisation si elles ne parviennent pas à franchir l’obstacle de la preuve, le législateur a mis une obligation d’information, à la charge des clubs et fédérations sportives, sur l’intérêt pour les pratiquants de souscrire des assurances individuelle accident. Les parents de la fillette reprochaient précisément au centre équestre de s’y être soustrait.
II-Le manquement à l’obligation d’information
14- Les assurances de personne garantissent les pratiquants contre les dommages qu’ils subissent dans l’exercice de leur sport. En l’occurrence, une telle garantie, si elle avait été souscrite par les parents de la victime, aurait été très utile puisqu’ils n’étaient pas parvenus à engager la responsabilité du centre équestre.
15- Les arrêtés du 5 mai et du 6 juillet 1962 avaient institué des obligations d’assurance en responsabilité civile et en individuelle accident à la charge des associations sportives affiliées à des fédérations délégataires pour la participation de leurs licenciés aux compétitions organisées par ces fédérations. La loi du 16 juillet 1984 rendit l’assurance de personnes facultative et imposa en contrepartie une obligation de renseignement à la charge des groupements sportifs sur les avantages de la souscription de telles polices.
16- Une difficulté n’allait pas tarder à naître du fait de l’imprécision du terme de groupement sportif. Deux définitions sont, en effet, possibles. L’une fonctionnelle consiste à qualifier de groupement sportif toute institution, quels que soient son statut juridique et son objet social, dès lors qu’elle est organisatrice même occasionnellement d’une activité physique ou sportive. La Cour de cassation a appliqué cette définition au comité d’établissement de la société des avions Marcel Dassault qui avait organisé un match de football sans informer les joueurs de l’absence de toute assurance contre les accidents n’engageant pas sa responsabilité personnelle[15]. La définition organique est beaucoup plus restrictive puisqu’elle limite le concept de groupement sportif aux seules institutions visées par le code du sport et à qui s’appliquent ses dispositions : associations sportives, sociétés sportives, fédérations sportives, ligues professionnelles et établissements où sont pratiquées des activités physiques ou sportives. Opérant un revirement de sa jurisprudence, la Cour de cassation a adopté cette seconde définition. A deux reprises, elle a estimé qu’un comité d’entreprise d’une caisse régionale du crédit agricole[16] et que la société de courses France Galop[17] ne pouvaient être tenus de l’obligation édictée par l’article 38 car ils ne constituaient pas un groupement sportif au sens de la loi du 16 juillet 1984.
17- Entre temps, à l’occasion de la codification de la loi sur le sport, les termes de groupement sportif ont été remplacés par ceux « d’associations sportives et de fédérations sportives » dans Art. L 111-1 et suivants).
19- Si l’action en réparation ne peut avoir pour fondement l’article L 321-4 du code du sport, pourquoi ne pas songer au principe de loyauté dont les juges pourraient se réclamer pour estimer qu’en pareil circonstance il n’a pas été respecté ? Par ailleurs, puisqu’un nouveau chantier législatif est en préparation, le législateur pourrait profiter de l’occasion d’une énième réforme de la loi sur le sport pour corriger cette maladresse du codificateur en remplaçant les termes « d’associations sportives » par ceux « d’établissements où sont pratiquées des activités physiques et sportives ».
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Cour d’Appel d’Aix en Provence, 18 décembre 2013
Cour d’Appel de Paris, 16 septembre 2013
Nouvelle session de la Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS du vendredi 11 avril 2014, animée par Jean-Pierre VIAL : « Réforme des rythmes scolaires: quelles responsabilités pour les opérateurs municipaux et associatifs?« .
Notes:
[1] Dans la lettre qu’une des victimes a adressée à son assureur le lendemain de l’accident, il n’est pas fait mention de la remise d’un cheval dangereux en raison de son énervement.
[2] Ainsi, un témoin atteste que le cheval « s’est emballé, a botté et a désarçonné la cavalière qui est tombée » sans faire mention du comportement de l’animal avant le début de la reprise.
[3] Le contrat est présumé inexécuté par la seule survenance d’un dommage à l’animal. C’est à l’éleveur supposé n’avoir pas correctement entretenu l’animal, de rapporter la preuve qu’il a pris toutes les précautions d’usage pour le prémunir d’un dommage. Civ. 1, 10 janv. 1990, Bull. Civ. I , n° 6, p. 5.
[4] Civ.1 ,16 octobre 2001, n° 99-18221. Bull. Civ. 2001. n° 260 p. 164.
[5] Civ.1, 30 avril 1965, n° 63-13613. Bull. civ.1, n° 282.
[10] Civ. 1, 5 nov. 1996, n° 94-14975. Bull. civ. I, no 380, p. 266 pour un vol en parapente. Civ. 1, 29 nov. 1994, n° 92-11332. Bull. civ. I, n° 351, Gaz. Pal. 1, panor. p. 86, pour un vol en ULM.
[14] « La volonté de monter sur un cheval est indissociable de l’acceptation du risque de la chute » Toulouse, 3ème ch. 25 janv. 1993, RG n° 650/90.
[15] Cass. 1ère civ. 25 oct. 1989, JCP 1990. II. 21458, note J. Hauser.
[16] Cass. 2ème civ. 19 mars 1997, no 93-10.132, Bull. civ. I, no 89, D. 1998, somm. 50 , obs. H. Groutel , D. 1999, somm. 87 , obs. J. Mouly.
[17] Cass. 1ère civ. 25 févr. 2003, Bull. civ. I, no 58, JCP 2003. II. 10149, note C. Chabert. L’arrêt considère que la société France Galop qui ne relevait pas du ministère de la jeunesse et des sports mais de la tutelle de celui de l’agriculture ne pouvait pas être considérée comme un groupement sportif au sens de la loi de 1984.