Les collisions entre coureurs cyclistes et automobilistes figurent parmi les accidents les plus graves en compétition. Les coureurs ou leurs ayant droits peuvent obtenir assez facilement une indemnisation, grâce à la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, y compris si la collision a été évitée mais que le véhicule est néanmoins impliqué dans la chute du coureur, comme l’atteste l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er juin 2011. D’ordinaire, le conducteur et son assureur en responsabilité cherchent à faire supporter le poids définitif de la réparation par l’organisateur. Mais c’est à condition d’établir une faute de sa part ainsi que le rappelle la Cour d’appel de Nîmes dans son arrêt du 10 janvier 2012.
1-Dans la première espèce qui faisait l’objet du pourvoi devant la 2ème chambre civile, un couple qui participait sur un tandem à une compétition de vélo tout terrain (VTT), avait fait une chute alors qu’il dépassait un camion de pompier portant secours à un concurrent accidenté. Les victimes actionnèrent en réparation le service départemental d’incendie et de secours sur. Leur demande fut rejetée par les juges du fond au motif d’absence d’implication du véhicule de secours dans l’accident. En revanche, leur pourvoi en cassation a été couronné de succès.
2-Dans la seconde espèce, un coureur qui roulait à gauche de la route avait été fauché par un automobiliste. L’automobiliste condamné à indemniser la victime avait exercé une action récursoire contre le club organisateur de la course pour lui faire supporter le poids de la réparation mais sans succès.
3-Dans ces deux espèces, l’action contre le propriétaire du véhicule avait été engagée sur le fondement de la loi de 1985 (I). Dans la seconde, l’automobiliste et son assureur recherchaient la responsabilité de l’organisateur sur celui de l’inexécution de son obligation de moyens (II).
I- L’action contre le propriétaire du véhicule
4-La loi du 5 juillet 1985 est d’un grand secours pour les victimes d’accident de la circulation. Elle met en œuvre un régime spécifique d’indemnisation qui leur est particulièrement favorable puisqu’il s’agit d’une responsabilité sans faute. La responsabilité du conducteur est, en effet, engagée du seul fait de la survenance du dommage. Non seulement, la victime n’a pas à établir la faute du conducteur, mais celui-ci ne peut lui opposer les moyens habituels d’exonération des régimes de responsabilité de plein droit comme la force majeure et le fait d’un tiers.
5-La jurisprudence facilite la tâche de la victime par une conception très lâche de l’implication du véhicule dans la survenance de l’accident (A). Elle a, également, une appréciation très restrictive de sa faute qui doit être inexcusable et la cause unique du dommage ce qui limite considérablement la portée de ce moyen d’exonération comme l’illustrent les décisions rendues par la Cour de cassation le 1er juin 2011 et la cour d’appel de Nîmes le 10 janvier 2012 (B).
A-L’implication du véhicule
6-La loi de 1985 s’applique « aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur » (Article 1). La mise en jeu de la responsabilité du conducteur est donc subordonnée à la preuve de l’implication du véhicule dans l’accident. L’implication ne doit pas être confondue avec la faute comme le rappelle justement la cour de Nîmes. Elle « existe en raison du heurt du véhicule avec le cycliste même si le conducteur a eu un comportement exempt d’anormalité ». Il s’agit bien d’un régime de responsabilité sans faute.
7-Lorsqu’il y a collision frontale, comme c’était le cas entre le coureur et l’automobiliste, la preuve de l’implication est facilement rapportée, la jurisprudence considérant que l’implication se déduit nécessairement d’un contact [1]. En revanche, dans la seconde espèce, il n’y avait eu aucun contact entre le tandem et le camion.
8-Transposant les solutions acquises pour l’article 1384 alinéa 1, la jurisprudence a admis que la condition d’implication du véhicule puisse être remplie en l’absence de contact. Encore faut-il établir, à la lumière des faits de l’espèce, qu’il a eu un rôle perturbateur. La seule présence du véhicule ne suffit pas à établir son implication. La Cour d’appel de Nancy avait conclu à l’absence d’implication du camion de pompier pour une double raison. Elle considérait, d’une part, que c’est l’interpellation du chauffeur, invitant les deux coureurs à la prudence au moment où ils tentaient de le dépasser, qui les avait désorientés et fait perdre le contrôle de leur VTT. D’autre part, elle estimait qu’ils auraient dû éviter d’entreprendre un dépassement manifestement dangereux. La Cour de cassation les rappelle à l’ordre en considérant, au contraire, que le véhicule avait joué un rôle dans l’accident du fait de l’interpellation du conducteur. A la différence de l’article 1384 alinéa 1, la loi de 1985 n’impose pas d’établir un comportement anormal du véhicule. Ainsi, il a été admis que celui conduit par un chronométreur officiel était impliqué dans l’accident mortel survenu à un coureur cycliste qui, descendant un col à vive allure, s’était déporté pour l’éviter et avait dérapé à la suite d’un brusque freinage dans un virage « en épingle à cheveux » [2]. Il a été également jugé que le véhicule du club auquel un jeune cycliste s’était accroché, avec l’accord de son moniteur était impliqué dans la chute du malheureux [3].
9-Dans l’espèce commentée, la 2ème chambre civile observe que c’est le dépassement du camion et l’interpellation du chauffeur qui les ont désorientés et fait perdre le contrôle de leur VTT. C’est donc, à nouveau, une conception plutôt lâche de l’implication qui s’impose comme dans les précédentes décisions. Bien que le véhicule n’ait pas provoqué la chute, il est réputé impliqué dans l’accident par le seul fait des mises en garde de son chauffeur au moment précis du dépassement. Par ailleurs, les juges du fond ne pouvaient pas sans se contredire relever que les victimes avaient entrepris un dépassement dangereux et en même temps nier l’implication du véhicule, car l’accident ne serait pas survenu si le tandem n’avait pas entrepris le dépassement. La faute des deux cyclistes ne pouvait être prise en considération qu’au titre des moyens d’exonération.
B-La faute de la victime
10-La Cour de cassation a imposé aux juges du fond, dont certains ont opté pour une appréhension large de la faute inexcusable, une définition particulièrement restrictive dont elle ne s’est pas départie malgré quelques flottements. Par une série d’arrêts de sa deuxième chambre civile, elle énonce que « seule est inexcusable…la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » [4]. Elle a maintenu ce cap y compris pour les accidents survenus lors d’épreuves cyclistes ou motocyclistes se déroulant sur la voie publique.
11-Dans un arrêt du 8 novembre 1993 elle reproche aux juges du fond d’avoir qualifié de faute inexcusable celle d’un coureur cycliste ayant coupé un virage dans une descente [5]. D’autres tribunaux ont repris cette solution à leur compte. Ainsi, la Cour d’appel de Basse Terre a estimé que le fait pour un coureur, de rouler sur la partie gauche de la chaussée, ne constituait pas une faute inexcusable [6]. La Cour d’Aix-en-Provence a abouti à la même conclusion à la suite d’une collision entre un ensemble routier et un coureur qui avait perdu sa trajectoire en doublant deux autres concurrents qui roulaient de face [7]. Mieux encore, la Cour de cassation a estimé que ne constituait pas « une faute d’une exceptionnelle gravité » le fait pour un sportif de haut niveau de pratiquer de nuit le ski à roulette sur une route départementale très fréquentée, sans porter de vêtements fluorescents [8] . Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que la Cour d’appel de Nîmes ait refusé la qualification
de faute inexcusable à la victime qui roulait sur la partie gauche de la route pour s’échapper. Il faut approuver sans réserve cette jurisprudence qui s’explique par « le légitime souhait pour le coureur cycliste d’atteindre au plus vite la tête du peloton ». Les coureurs sont forcément amenés à prendre des risques qui sont de l’essence même de la compétition. Il est habituel pour un coureur qui tente de s’extraire du peloton de partir du côté opposé à celui-ci en produisant une forte accélération. Il le fait au moment qu’il juge le plus opportun en fonction des circonstances du terrain et de la course. Il est bien évident qu’à cet instant précis de l’épreuve, il n’a guère le loisir d’observer le code de la route ! La Cour de Nîmes a donc raison de relever que le rappel de ces dispositions aux coureurs avant le départ n’a pas d’incidence sur le degré de gravité de la faute. D’ailleurs, est-il normal de brider l’action des coureurs au prétexte du respect du code de la route ? N’est-ce pas plutôt à l’organisateur d’avoir à répondre des accidents dont ils sont victimes par imprévoyance de sa part ? C’est précisément l’analyse que faisaient l’automobiliste et l’assureur dans l’action récursoire exercée contre l’organisateur.
II- L’action récursoire contre l’organisateur
12-L’organisateur de l’épreuve, au cours de laquelle un coureur avait été fauché par une automobile, avait été actionné par l’automobiliste en responsabilité contractuelle sur le fondement de l’article 1147 du Code civil. Rien à redire sur le bien fondé de ce recours (A). En revanche, il semble que la cour d’appel de Nîmes ait eu peu hâtivement conclu à l’absence de faute de l’organisateur (B).
A-L’obligation de sécurité de moyens
13-Les concurrents passent un contrat avec l’organisateur, en vertu duquel ils s’obligent à régler leur frais d’inscription à l’épreuve et à en respecter le règlement. En contrepartie, l’organisateur prend l’engagement de les faire participer à la course. Cette obligation principale s’accompagne d’une obligation accessoire de sécurité par laquelle il garantit leur sécurité. Toutefois cette obligation de sécurité n’est pas de résultat mais de moyens. L’organisateur ne promet pas aux concurrents d’être sains et saufs à l’arrivée. Il s’engage seulement à mettre en oeuvre toutes les mesures de sécurité nécessaires pour les mettre à l’abri d’un accident. Par voie de conséquence, la victime doit établir qu’il n’a pas tenu sa promesse, ce qui revient à prouver une défaillance de sa part dans l’exécution de son obligation de sécurité. La charge de la preuve d’une telle obligation dépend de son intensité. L’obligation de sécurité d’un organisateur de concentration cyclotouriste n’est pas comparable à celle de l’organisateur d’une compétition. Les participants n’ont pas à prendre de risques comme le font les coureurs qui ne peuvent disputer une course dans des conditions normales, s’ils ont à craindre à tout instant la survenance inopinée d’un piéton ou d’un véhicule sur le parcours. Par ailleurs, les mesures de sécurité à mettre en œuvre sont plus contraignantes lorsque l’épreuve se déroule sur un circuit ouvert à la circulation publique. La circulation n’étant pas interrompue pendant l’épreuve, l’organisateur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des automobilistes et des coureurs sur l’ensemble de l’itinéraire. En ce sens, il est possible de parler d’une obligation de moyens renforcée à sa charge car la moindre défaillance de sa part dans la sécurité de la manifestation suffira pour engager sa responsabilité. Elle suppose une analyse détaillée des mesures prises.
B- l’absence de faute
14-Il ressort des procès-verbaux d’enquête de gendarmerie et des auditions effectuées que les cyclistes étaient précédés par une voiture ouvreuse équipée sur toute la largeur du toit d’une rampe lumineuse orange en action pendant la course et d’une banderole plastifiée placée sur la calandre portant en rouge et en gros caractères l’inscription « attention course cycliste ». Par ailleurs, les coureurs étaient suivis par des voitures d’assistance et 4 panneaux de signalisation avaient été installés à chaque carrefour important du circuit et des signaleurs postés aux points stratégiques pour informer les usagers de la route. Enfin, le conducteur du véhicule ouvreur qui précédait tous les coureurs avait fait un appel de phares à l’automobiliste et des signes avec le bras gauche à l’extérieur de la vitre baissée pour le faire ralentir.
15-Les juges en concluent un peu vite à l’absence de faute de l’organisateur. En effet, au lieu du croisement par lequel est arrivé l’automobiliste, ils notent la présence d’un signaleur équipé d’un brassard jaune portant en noir l’inscription « sécurité » et d’un gilet jaune fluorescent, mais ils ne s’interrogent pas sur les conditions dans lesquelles l’automobiliste a pu pénétrer sur le parcours. Le signaleur s’est-il suffisamment manifesté pour alerter l’automobiliste ? Etait-il équipé d’un panneau signalant l’interdiction d’accès au parcours ? L’automobiliste a-t-il forcé le barrage malgré les avertissements ? Autant de questions laissées sans réponse…
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
Documents joints:
Cour d’appel de Nîmes, 10 janvier 2012
Notes:
[1] Cette solution est celle retenue, quelle que soit la position du véhicule : en circulation ou en stationnement. En ce qui concerne les véhicules en stationnement, la Cour de cassation, pendant un temps, a exigé la preuve « d’une perturbation de la circulation » comme condition de l’implication (Civ. 2, 21 juill. 1986 Bull. civ. II n° 113). Elle considéra ainsi que ne perturbait pas la circulation la « voiture-balai » heurtée par un coureur cycliste alors qu’elle était en stationnement et débordait légèrement sur la chaussée (Civ. 2, 21 févr. 1990 Juris-Data n° 001359). Cette jurisprudence a été abandonnée. Désormais tout véhicule heurté, qu’il soit immobile ou en mouvement, est réputé nécessairement impliqué (Civ. 2, 23 mars 1994. JCP 1994, I, 3773, n° 14 obs. G. Viney).
[2] Civ. 2, 15 mai 1992, Bull. civ. II, n° 139 p. 69.
[3] Les juges d’appel n’ont pas retenu le moyen soulevé par l’assureur qui faisait valoir qu’au moment de sa chute, la jeune victime s’était déjà décrochée du véhicule. Le commentateur de l’arrêt suggérait pourtant que l’énergie cinétique communiquée par le véhicule au cycliste n’était pas étrangère à la survenance de l’accident. Nîmes 1er juin 1994. Rev. jur. et écon. du sport n° 35 juin 1995 note J. Mouly.
[4] 20 juill. 1987, Bull. civ. II, n° 160 et 161, Gaz. Pal. 1988, 1, p. 26, obs. F. Chabas.
[5] Civ. 2, 8 nov. 1993, Juris-Data n° 002231, Bull. civ. II, 1993, n° 315, p. 175.
[6] CA Basse Terre, 11 sept. 1995.
[7] CA Aix-en-Provence, 21 nov. 2001.
[8] Civ, 2, 22 janvier 1992. N° de pourvoi : 90-19140. Bull. civ. 1992 II, n° 22 p. 11