Une association organisatrice d’un festival de musique a assigné devant le Tribunal de grande instance de Grenoble un fournisseur en raison de manquements contractuels. Ce fournisseur, la SARL Y, a tenté de se dédouaner en invoquant l’incompétence de ce tribunal aux motifs que l’association aurait la qualité de commerçant en raison de l’organisation de plusieurs représentations artistiques par an. La Cour d’appel de Grenoble a non seulement rejeté l’exception d’incompétence mais également rappelé qu’une association Loi 1901 ne peut pas être assimilée à un commerçant.


1. Le litige qui oppose l’Association organisatrice de festival à son fournisseur ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce

En l’espèce, l’Association PMI avait pour objet social de « réunir différentes associations de musique et autres membres intéressés pour mener à bien une réflexion et promouvoir l’expression musicale par différents moyens. Exemple : la mise en place d’un festival. »

A la suite d’un différend avec l’un de ses fournisseurs, la Société Y en charge de fournir deux groupes musicaux dans le cadre d’un festival organisé par l’association PMI, cette dernière lui a fait délivrer une assignation pour manquements devant le Tribunal de grande instance de Grenoble aux fins d’obtenir sa condamnation à un remboursement d’acomptes d’ores et déjà versés et des dommages-intérêts.

La Société Y soutient, de son côté, que le TGI de Grenoble est doublement incompétent, tant sur le plan territorial que sur l’attribution, et invoque à l’appui de sa demande d’exception d’incompétence la clause du contrat (art. 18) qui attribue compétence aux « tribunaux compétents de Strasbourg. » Pour elle, seule le Tribunal de commerce de Strasbourg était en droit de se saisir de ce contentieux.

Le 13 juin 2017, la Cour d’appel de Grenoble a confirmé le rejet de l’exception d’incompétence prononcée par le juge de la mise en état dans une ordonnance rendue le 27 août 2014.

En application de l’article 48 du Code de procédure civile, le juge de la mise en état avait en effet considéré que cette clause du contrat signé entre les deux parties était réputée non écrite en raison du fait que la Société Y n’avait pas démontré que l’Association PMI avait la qualité de commerçant.

2. L’organisation d’un (ou plusieurs) festival(s) de musique par une association ne suffit pas à lui conférer la qualité de commerçant

En l’espèce, la Société Y avait cependant relevé que l’association organisait plusieurs représentations artistiques par an, détenait des licences d’entrepreneur de spectacles et que ses principales ressources provenaient de la billetterie et de l’activité d’achat revente de spectacles.

Que pouvait-elle bien démontrer de plus pour parvenir à ses fins ?

L’article L. 110-1, 6° du code de commerce répute acte de commerce toute entreprise de spectacles publics.

Or, précisément, la Société Y avait fait valoir qu’une association pouvait accomplir des actes de commerce, avoir la qualité de commerçant et que l’activité d’entrepreneur de spectacles vivants est une activité commerciale.

Pour la Cour d’appel, la Société Y « ne démontre aucunement que l’association exerçait une activité commerciale d’entrepreneurs de spectacles ».

La juridiction de second degré retient pourtant, de son côté, que le groupement associatif organise un festival annuel de musiques actuelles dénommé « Rocktambule », qu’elle procède à cette occasion à l’emploi d’artistes et de salariés, qu’elle détient effectivement des licences d’entrepreneurs de spectacles, qu’elle vend des billets, et procède à la promotion de ce festival.

Mais, comme le précise la Cour d’appel, cela ne suffit pas.

Pour réfuter la qualité de commerçant à cette association, la Cour rappelle :

  • Qu’« il n’est pas établi [par les pièces versées aux débats] qu’elle organise, de façon habituelle et répétée, dans un but lucratif et en concurrence avec les entreprises commerciales, une activité usuelle d’organisation évènementielle ;
  • Que ses recettes sont constituées à 75% de subventions publiques ;
  • Qu’elle ne distribue pas de bénéfice, les excédents éventuels étant réaffectés dans la réalisation de l’objet social ; 
  • Qu’enfin, la qualité de commerçant de l’Association PMI a été écartée par le TGI de Grenoble qui a ouvert une procédure collective à son encontre. »

 

3. L’exception d’incompétence soulevée par la Société Y était vouée à l’échec : quelle que soit l’activité exercé, le statut d’association Loi 1901 est incompatible avec la qualité de commerçant !

Une association peut-elle être qualifiée de commerçant ?[1]

A notre sens, la Cour d’appel de Grenoble répond clairement non et c’est précisément tout l’intérêt de cet arrêt qui vient renforcer la jurisprudence constante sur cette question[2].

En effet, si une association peut réaliser des actes de commerce de façon habituelle[3], et se voit donc appliquer le droit commercial (compétence des tribunaux de commerce[4], le principe de la liberté de la preuve[5] ou encore les conditions de publicité pour la mise en location-gérance du fonds de commerce associatif[6]), la qualité de commerçant demeure incompatible avec le statut associatif[7].

A ce jour, aucune jurisprudence n’a franchi ce pas, ce qui confère à l’association exerçant des actes de commerce à titre habituel, le rang d’une entreprise à part[8].

Pour s’en persuader, il suffit de constater que pour rejeter l’exception d’incompétence la Cour d’appel de Grenoble n’a pas relevé que l’Association PMI avait réalisé des actes de commerces occasionnels et accessoires à son activité principale non commerciale, lesdits actes auraient ainsi pu être requalifiés en actes civils par l’application de la théorie dite de l’accessoire[9].

La Cour d’appel de Grenoble n’a pas cru bon se saisir de cette opportunité.

Au contraire, pour justifier sa décision, la juridiction d’appel a fait valoir un critère incompatible avec la notion d’association loi 1901, la distribution de bénéfices ou l’absence de réinvestissement des excédents dans la réalisation de son objet social.

En définitive, seule une association qui contreviendrait à l’interdiction de distribution de ses bénéfices (entre ses membres) pourrait se voir appliquer un régime de commercialité-sanction[10], par sa requalification en société créée de fait[11].

En dehors de cette hypothèse, il semble en définitive que pour la jurisprudence constante, une association ne peut jamais être assimilée à un commerçant[12]. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle dans la mesure où toute assimilation constituerait un risque mortel pour le secteur associatif intervenant dans le champ économique : ce que l’on nomme depuis la loi du 31 juillet 2014[13], Economie sociale et solidaire !

Il n’empêche qu’aujourd’hui, ces associations se voient appliquer la rigueur du droit commercial, sans pouvoir bénéficier, en contrepartie, de la sécurité offerte par ce même droit, comme le statut des baux commerciaux et son droit à renouvellement, ou encore la location-gérance…

Colas AMBLARD, Avocat, Cabinet NPS CONSULTING

En savoir plus : 

Juris-associations n° 555 du 15 mars 2017 : cliquez ici
Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS le jeudi 15 mars 2018 animée par Colas AMBLARD à LYON intitulée : « Optimiser l’organisation de votre festival de musique ».

Formation Atelier-Débat ISBL CONSULTANTS le 14 décembre 2017 animée par Colas AMBLARD à LYON intitulée : « Comment mettre en place une stratégie de mécénat? ».
 




Documents joints:

CA Grenoble 1ère Ch. 13 juin 2017, n°14 05081



Notes:

[1] C. com. art. 1 : « Sont commerçants, ceux qui exercent des actes de commerce et qui en font leur profession »
[2] C. Amblard, Associations et activités économiques : contribution à la théorie du Tiers-Secteur, Thèse de droit, Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 4 juin 1998, v. notamm. n°138 à 168
[3] Cass. com. 17 mars 1981, Institut Musulman de la Mosquée de Paris, D. 1983, 23, note R. Plaisant ; Rev. Soc. 1982, 124, note G. Sousi
[4] Cass. com. 8 juill. 1969, JCP 1970, II, 16155 bis, note J.A. ; Dijon 4 nov. 1987, Rev. Soc. 1988. 291
[5] Cass. com. 18 janv. 1988, Foyer Léo Lagrange, JCP éd. N., I, n°43-44, p. 335 et s.
[6] Cass. com. 9 déc. 1965, Bull. civ. III, n°635, p. 571 ; v. égal. Cour de cassation Ch. commerciale 06/02/07, pourvoi n°2003-20.463 – Jurisdata n°224158
[7] Cass.com. 19 janv. 1988, Bull. civ. IV, n°33, p. 23 ; voir égal. RTD com. 1988, 420, obs. E. Alphandari et M. Jeantin ; v. égal. CA Paris, 13 fév. 1992, Bull. Joly 1992, p. 437, note Jeantin
[8] CA Versailles 22 septembre 2011 n° 10/05329, le ch., Association loi 1901 Fédération française du rugby c/ SARL AP Consultant ; voir égal. C. Amblard, Activités économiques et commerciales des associations, Lamy associations, Etude 246
[9] Cass. com. 19 janv. 1988, préc.
[10] Y. Guyon, JCP 1981, II, n°19496 : l’auteur préfère parler de « commercialité imparfaite »
[11] C. civ. art. 1873
[12] Cass. com. 12 fév. 1985, Bull. civ. 1985, n°59 ; D. 1985, inf. rap. P. 473 ; RTD com. 1985, p. 777, n°19, comm. E. Alphandari et M. Jeantin ; RTD com. 1986, n°1, p. 67, comm. J. derrupé : selon la Cour de cassation, « l’exercice d’actes de commerce même à titre habituel ne saurait conférer, à lui seul, la qualité de commerçant à l’association. »
[13] L. 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’Economie sociale et solidaire (JO 1er août)

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