Le tacle, geste bien connu des footballeurs, n’est pas interdit et seule la preuve matérielle d’une prise anormale de risque ou de brutalités volontaires est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur. Sa faute ne peut se déduire ni de l’ampleur du dommage ni d’une appréciation vague de l’arbitre sur la feuille de match. Il faut établir des faits précis et circonstanciés comme le rappellent la cour d’appel de Lyon (arrêt du 26 février 2015) et la Cour de cassation (arrêt du 20 novembre 2014). 

1-Les blessures provoquées par un tacle sont monnaie courante (lire notre commentaire). Voici deux espèces où il a fait de nouvelles victimes. Dans l’une, un attaquant est fauché par le gardien de but de l’équipe adverse qui s’est précipité à sa rencontre (civ 2, 20 novembre 2014 n°13-23759). Dans l’autre, un joueur a subi la même attaque sur la jambe droite alors qu’il participait à un match qualificatif pour la Coupe de France (Lyon 26 février 2015 R.G : 12/08876). Les deux joueurs sont sérieusement blessés : l’un est victime d’une fracture du tibia et du péroné, l’autre d’une rupture des ligaments du genou. Leur demande d’indemnisation est néanmoins rejetée pour absence de faute caractérisée de l’auteur du dommage. Ces deux décisions de rejet ont le mérite de rappeler, après d’autres, que la théorie de l’acceptation des risques règle toujours le sort des collisions entre joueurs sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Cette théorie, dont fait allusion la cour d’appel de Caen, admet le relèvement du seuil de la faute dans les sports de compétition, écartant celles ordinaires pour ne retenir que les fautes d’un certain degré de gravité. Ce rehaussement des fautes, s’impose en raison des nécessités de la compétition qui serait faussée si les compétiteurs ne prenaient plus aucun risque par peur d’une condamnation. Elle implique la constatation préalable d’une faute de jeu ce qui va de soi car l’acceptation des risques repose sur l’idée que les sportifs admettent la possibilité de blessures à condition qu’elles ne soient pas la conséquence d’un manquement aux règles du jeu.
2-Le lecteur non averti pourrait penser à tort que toute faute de jeu est constitutive d’une faute civile d’autant que l’expression de « faute caractérisée par une violation de la règle de jeu » apparaît dans les deux décisions commentées. Cette expression ambiguë, que la Cour de cassation emploie de manière systématique quand il s’agit d’examiner la responsabilité du club de l’auteur du dommage, est source d’erreur si on l’interprète littéralement. En effet, elle ne vise pas les règlements ayant pour unique objet la régulation du jeu et dont l’unique sanction est un avantage donné à l’équipe adverse. Aussi les auteurs ont-ils pris l’habitude de distinguer « la faute de jeu » spécifique à l’ordre juridique sportif de « la faute contre le jeu » seule prise en compte par les tribunaux. Le footballeur qui touche le ballon de la main commet une faute de jeu mais pas de faute contre le jeu. Il en ira de même de celui qui blesse son adversaire en levant le pied pour mieux s’assurer de la prise du ballon alors que tous deux se sont précipités à sa conquête. En l’occurrence, cette faute sanctionnée par un penalty mais sans expulsion du joueur n’a pas été retenue comme faute civile, le coup porté n’ayant révélé ni acte de déloyauté ni prise anormale de risque[1]. Il ne s’agissait au fond que d’un incident de jeu faisant partie des risques acceptés par les joueurs. C’est le cas également de tous les gestes techniques autorisés par le règlement. Leur exécution normale exonère leur auteur de toute responsabilité quelque soit l’ampleur du dommage causé. Ainsi en est-il du tacle qui « n’est pas en soi une action interdite » comme le relève la cour d’appel de Lyon. Même sévère, mais correctement exécuté, il fait partie des gestes techniques habituels du football. S’il peut constituer une faute sportive pour n’avoir pas été exécuté dans les règles de l’art, il n’est une faute civile qu’à la condition que son auteur ait agi avec « violence, brutalité ou déloyauté » ou encore avec une « force disproportionnée ou superflue » selon l’expression de la Cour de cassation. Celle-ci a d’ailleurs estimé par le passé, qu’un tacle pouvait être rude sans engager la responsabilité de son auteur dès lors qu’il était régulier[2].
3-La difficulté est de prouver son anormalité lorsqu’il a été commis dans le feu de l’action. Il faut alors établir des circonstances matérielles assez précises seules susceptibles d’établir l’existence d’une faute de jeu caractérisée.
4- L’arrêt de la cour d’appel de Lyon en offre une intéressante illustration : il eut fallut, selon les termes de l’arrêt, que la victime établisse que son adversaire s’était « comporté à cet instant précis d’une manière téméraire en décollant le pied de terre ou en utilisant une force excessive » ou « s’il a réalisé un tacle glissé abordé par l’arrière ou avec les deux jambes tendues, s’il a fait ou pas barrage à (son adversaire) lançant ou pas sa jambe en avant » ou encore « si (la victime) était en train de courir ou pas au moment du tacle… ». De même, dans son arrêt du 20 novembre la Cour de cassation observe « que les éléments versés aux débats ne permettent pas de retenir que M. Y… a voulu bloquer M. X… à tout prix parce qu’il s’approchait dangereusement du but ».
5-Le seul fait de ne pas effectuer le tacle selon les règles de l’art et d’atteindre les jambes de l’adversaire par maladresse ne suffit pas pour commettre une faute civile. Comme l’observe une cour d’appel « Toucher, au terme de ce geste, potentiellement dangereux, le joueur au lieu du ballon constitue certes une faute technique mais pas nécessairement un acte générateur d’un risque anormal »[3] . C’est une faute de jeu mais pas une faute contre le jeu. Le manque de réussite du joueur peut être imputé à diverses circonstances, comme l’état boueux du terrain, la vitesse de déplacement de son adversaire, une feinte de corps, une accélération de sa course ou un mouvement de protection de sa part[4].
6-Dans le doute le juge pourrait être tenté de déterminer la faute en considération de l’ampleur du dommage. Mais, la Cour de cassation ne l’y autorise pas. Elle rappelle dans son arrêt du 20 novembre que « la violence, la brutalité ou la déloyauté de son geste, sa force disproportionnée ou superflue, ne peuvent être déduites de la seule gravité de ses blessures ». Celles-ci constituent un élément d’appréciation parmi d’autres insuffisant à lui seul pour retenir la responsabilité de l’auteur du dommage. La cour d’appel de Lyon fait le même raisonnement en relevant que la violation des règles du jeu « ne saurait être trouvée dans les certificats médicaux communiqués rapportant la sévérité des blessures, la gravité de celles-ci ne suffisant pas à (en) établir de facto l’existence ».
Solution logique. Une simple maladresse peut avoir des conséquences graves dont il serait injuste de tenir rigueur à son auteur dès lors que les joueurs admettent que le manque de réussite de leurs adversaires est à mettre au compte de l’acceptation des risques.
7-L’arbitre, qui offre des garanties d’impartialité, est normalement celui qui éclaire le juge sur l’appréciation de la faute en lui indiquant si le manquement au règlement sportif est bien constitutif d’une faute contre le jeu ce que signifie le carton rouge qui sanctionne le joueur par son exclusion du terrain.
8-Si le juge s’en remet habituellement aux constatations de l’arbitre il ne se considère pas cependant lié par ces décisions. Il est acquis « qu’il n’y a pas d’autorité de la chose arbitrée » et comme le rappelle la cour d’appel de Lyon s’alignant sur la jurisprudence de la Cour de cassation[5] «  le juge civil n’est pas privé de sa liberté d’apprécier si le comportement du joueur en cause a constitué une faute caractérisée par une violation des règles du jeu de nature à engager sa responsabilité ». Le fait que l’arbitre n’ait pas délivré de carton rouge ou jaune ne signifie pas forcément l’absence de faute s’il n’a pas vu l’agression dont la preuve pourra être rapportée par une autre source. A l’inverse, le fait que son rapport signale « un comportement anti sportif » comme le rapporte l’arrêt de la haute juridiction du 20 novembre ne veut pas nécessairement dire qu’il y a eu faute contre le jeu. Ce type d’appréciation « large et ambiguë » selon son expression, révèle une attitude générale peu conforme au modèle du bon sportif, mais n’établit nullement un fait précis se rapportant à « un comportement brutal fautif » seul susceptible d’engager la responsabilité civile du joueur. C’est affirmer clairement que le juge ne s’estime pas lié ni par un rapport d’arbitrage ni par la sanction ou l’absence de sanction arbitrale[6].
9-Au demeurant, comme l’observe la cour de Lyon « cette mention ne peut pas être rattachée expressément et de manière certaine à la blessure occasionnée (…) en l’absence de toute précision sur la nature de ce comportement et sur la victime éventuelle de celui-ci ». En l’occurrence, aucun des témoignages des joueurs des deux camps ne donnent d’indications précises sur les circonstances matérielles de l’agression. Ils se bornent à des jugements de valeur comme « un geste pas tolérable sur un terrain de football » ; « une charge très sévère » ; « un geste d’une rare brutalité ». Rien qui permette aux juges d’apprécier si les blessures causées sont la conséquence d’une maladresse ou le résultat d’une prise anormale de risque.
10-Le débat sur la qualification de la faute est de la plus haute importance car il a pour enjeu, une fois la faute du joueur établie, la mise en jeu de la responsabilité du groupement dont il est membre. Sans doute le club a-t-il l’obligation d’assurer ses joueurs et la victime a ainsi la garantie d’être indemnisée. Mais si les coups sont volontaires, l’assureur ne pourra intervenir pour couvrir les violences volontaires de son assuré (L121-2 C. Assur.). On comprend donc pourquoi l’une des victimes avait assigné la ligue de football, comptant tirer parti des fameux arrêts du 22 mai 1995[7], pour le cas où les juges auraient retenu l’existence d’une faute intentionnelle. Ce double échec judiciaire qui fait barrage à la réparation de dommages dont les conséquences peuvent être dramatiques pour la vie professionnelle et quotidienne des victimes montre à quel point la nécessité de rendre obligatoire la souscription d’une assurance individuelle accident par les joueurs se fait pressante. C’est une des pistes du rapport du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) qui doit être prochainement présenté au parlement en application de l’article 2 de la loi du 12 mars 2012.
 
 
 
 
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
 
 Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012
Jean-Pierre Vial





Notes:

[3] CA Bastia, 27 mars 2013 R.G : 11/00977 R-PL.
[4] Rouen, 10 févr. 2003, Juris-Data n° 226981.
[6] Un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence prend le contre-pied de cette jurisprudence en jugeant « qu’un avertissement donné par l’arbitre à un des joueurs est nécessairement la sanction d’une faute caractérisée par la violation de la règle du jeu ». CA Aix en Provence, 13 novembre 2014, n° 2014/813
[7] « Attendu que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion »

 
 

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