Quelques mois seulement après l’assassinat de Samuel Paty, reconnu comme un acte terroriste, le gouvernement Macron répliquait avec la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République[1]https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778Extrêmement controversé dès sa promulgation, ce dispositif législatif censé « permettre à la République d’agir contre ceux qui veulent la déstabiliser afin de renforcer la cohésion nationale » tourne au fiasco judiciaire. La faute de son ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, dont l’usage essentiellement politique de cette loi s’apparente de plus en plus à une véritable « chasse aux sorcières » pour le monde associatif.

 

 

Un texte de loi controversé depuis son origine

A l’issue du conseil des ministres du 09 décembre 2020[2]https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2020-12-09#respect-des-principes-de-la-republique, le ministre de l’Intérieur publiait un communiqué de presse à propos du projet de loi confortant le respect des principes de la République : « Ce texte vise à l’émancipation individuelle contre le repli identitaire. (…) Il vise d’abord à garantir le respect des lois et principes de la République dans tous les domaines exposés à des risques d’emprise séparatiste : (…) dans le monde associatif en conditionnant l’attribution de subventions à la souscription préalable d’un contrat d’engagement républicain dont la méconnaissance entraîne notamment le remboursement de la subvention, en renforçant les moyens juridiques pour agir contre des associations qui présentent une menace grave pour l’ordre public et en donnant à l’administration fiscale davantage de leviers pour s’assurer que seules les associations qui remplissent les conditions prévues par la loi puissent bénéficier de la générosité du public et délivrer des reçus fiscaux. » Cependant, dans son rapport du 2 décembre 2020 concernant le projet de loi[3]https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/avis_du_haut_conseil_a_la_vie_associative_concernant_le_projet_de_loi_confortant_les_principes_republicains.pdf, le Haut Conseil de la Vie Associative (HCVA) indiquait déjà que « les pouvoirs publics disposaient déjà de tous les leviers juridiques nécessaires au contrôle, à la sanction et à la dissolution des associations. » Outre, son caractère superfétatoire[4]C. Amblard, Fonctionnement associatif : valoriser la nature contractuelle, Juris associations, 15 juin 2022, n°661, p. 37-39 : selon le C. civ. art. 1102 « Chacun est libre de contracter ou de … Continue reading, des critiques étaient par ailleurs plus spécifiquement émises à l’encontre de plusieurs mesures édictées par la loi du 24 août 2021[5]https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000043968715/2021-08-26/:

  • L’article 8 qui étend les possibilités de dissolution des associations sur décision préfectorale en allongeant la liste des motifs de dissolution, qui se concentrait auparavant sur les manifestations armées, le racisme et le terrorisme ; désormais, « provoquer à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » pourra suffire pour dissoudre une association ;
  • L’article 12 qui conditionne les subventions publiques à la signature par les associations d’un contrat d’engagement républicain[6]https://www.vie-publique.fr/en-bref/283224-loi-separatisme-entree-en-vigueur-des-premieres-dispositions et ainsi à l’engagement de « respecter les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, ainsi que la dignité de la personne humaine et l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République» (art. 12) ;
  • Enfin, l’article 16 porte sur la possibilité d’imputer directement aux associations la responsabilité de certains agissements de ses membres pour prononcer leur dissolution par simple décret en Conseil des ministres. Très controversée, cette nouvelle mesure (CSI, art. 212-1-1) permet de faire peser sur les associations les conséquences de propos tenus par des tierces personnes, même si celles-ci ne sont pas membres de l’organisation. Autrement dit, une association est désormais responsable, non pas seulement de ses propres actions et des prises de positions publiques de ses représentants, mais aussi de celles d’anciens dirigeants, de celles de ses membres, anciens membres et même des personnes qui commentent ses publications électroniques, y compris lorsqu’ils s’expriment à titre personnel.

De leur côté, face à un texte de loi qu’elles jugent en grande partie attentatoire à la liberté d’association, de nombreuses ONG parmi lesquelles Amnesty International[7]https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/nos-preoccupations-concernant-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique ont d’ores et déjà fait part de leurs préoccupations. Dès novembre 2021, une cinquantaine d’associations dont la Ligue des Droits de l’Homme n’avaient également pas manqué de souligner, dans un « Manifeste pour le droit des associations de choisir librement les causes qu’elles défendent »[8]https://www.ldh-france.org/manifeste-pour-le-droit-des-associations-de-choisir-librement-les-causes-quelles-defendent/, l’étrange logique des accusations portées par le gouvernement : « des associations sont dissoutes par le gouvernement au motif absurde que dénoncer une injustice, ce serait justifier rétrospectivement – ou se rendre complice par avance – des actes violents, voire des actes de terrorisme, que d’autres ont commis ou commettront peut-être un jour en invoquant cette même injustice ». Le Mouvement associatif[9]https://lemouvementassociatif.org/contrat-dengagement-republicain-de-quoi-sagit-il/ lui-même se dit mobilisé pour accompagner les associations et rendre compte des difficultés rencontrées dans la mise en application de ce dispositif, tout en indiquant qu’il se fera fort de rappeler, dans le cadre des prochaines échéances électorales, la nécessité de construire avec les associations une relation de confiance et non de défiance pour faire vivre la démocratie.

Certains éléments de la loi, il est vrai, posent question parmi lesquels le motif de respect de l’ordre public encore mal défini en droit. « Est-ce qu’une association environnementale qui, pour protester contre le nucléaire, s’enchaînerait aux grilles d’une centrale contreviendrait aux principes républicains ? », s’interrogeait ainsi le député socialiste Boris Vallaud dans un article de La Vie datant de février 2021. Pour le Collectif des Associations Citoyennes[10]http://www.associations-citoyennes.net/?cat=192, dénonçant une véritable chasse aux sorcières, le nouveau texte de loi initialement appelé « contre les séparatismes » a en réalité « ouvert un boulevard aux pouvoirs publics désireux d’écarter celles et ceux qui entendent participer au débat démocratique par l’interpellation citoyenne et de faire taire les voix dissidentes, ou simplement critiques ». Enfin, pour Claire Toury, Présidente du Mouvement Associatif rassemblant plus de 700 000 associations, soit plus d’une association sur deux en France, ce texte « manque donc totalement sa cible mais crée en revanche une forme de défiance à l’égard des acteurs associatifs qui se sentent stigmatisés »[11]https://www.lavie.fr/actualite/solidarite/contrat-dengagement-republicain-pour-les-associations-ce-texte-manque-totalement-sa-cible-80267.php.

Malgré les critiques, le Conseil d’État ainsi que le Conseil constitutionnel se sont néanmoins successivement prononcés – dans un avis rendu le 09 décembre 2020[12]https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-confortant-le-respect-par-tous-des-principes-de-la-republique et par une décision en date du 13 août 2021[13]https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2021-823-dc-du-13-aout-2021-communique-de-presse – en faveur de l’application de la loi du 24 août 2021 comme de ses décrets d’application[14]D. n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique ; D. n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique. Mais, prenant probablement en compte les nombreuses critiques formulées à l’encontre de ce texte législatif controversé dès son origine, les plus hautes juridictions de l’ordre administratif et civil ont toutefois tenus à rappeler combien il était important que ce nouveau dispositif soit appliqué de façon « proportionnée » et avec « discernement. »

Peine perdue.

Depuis plusieurs mois, les dissolutions administratives d’associations se succèdent à un rythme rarement connu sous la Ve République et les premières applications de la loi du 24 août 2021 tournent au fiasco judiciaire pour le gouvernement actuel.

 

Ses premières applications judiciaires : une chasse aux sorcières à l’encontre des associations ?

Après le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la Coordination contre le racisme et l’antisémitisme (CRI), les associations Palestine Vaincra et le Comité Action Palestine ont fait l’objet de procédure de dissolution administrative, de même que plus récemment encore le Groupe Antifasciste Lyon et Environs (GALE).

Cependant, le 29 avril 2022, le juge des référés du Conseil d’État[15]https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-conseil-d-etat-suspend-en-refere-la-dissolution-de-deux-associations-pro-palestiniennes a suspendu la dissolution prise en Conseil des ministres à l’encontre de ces deux associations propalestiniennes. Selon le décret de dissolution, les campagnes « appelant au boycott des fruits et légumes made in Israël » sont assimilées à un « appel à la discrimination et à la haine envers Israël et les Israéliens ». Accusées d’incitation à la haine, à la discrimination et à la violence contre Israël ainsi que de soutien à des organisations terroristes (en référence au Hamas) et d’incitation à commettre des actes terroristes, il leur est reproché « de cultiver le sentiment d’oppression des peuples musulmans et ce dans l’objectif de diffuser l’idée d’une islamophobie à l’échelle internationale ». En 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme[16]https://www.la-croix.com/France/France-condamnee-CEDH-avoir-sanctionne-appel-boycott-2020-06-11-1201099243 avait pourtant reconnu que l’appel au boycott relevait de la liberté d’expression. Pour le Conseil d’État, le décret de dissolution doit ainsi être suspendu car « ni l’instruction, ni l’audience n’ont permis d’établir que les prises de position de ces associations, bien que tranchées voire virulentes, constituaient un appel à la discrimination, à la haine ou à la violence ou des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme. »

Le 16 mai 2022, le Conseil d’État a de nouveau suspendu la dissolution du Groupe Antifasciste Lyon et Environs (GALE) prononcée par le Gouvernement le 30 mars dernier au motif que « des sympathisants du GALE ont pris part à des manifestations contre le passe sanitaire, lesquelles se sont accompagnées de provocations et de jets de projectiles à l’encontre des forces de l’ordre. » Dans l’acte de dissolution, sont également visées des actions d’affichage dans les rues, ou de partage de visuels sur les réseaux sociaux, ainsi que des propos tenus par des artistes lors d’un festival. À la lecture des décrets de dissolution, on découvre que les investigations et les propos retenus à charge portent sur des périodes largement antérieures à l’adoption de loi en août 2021, en violation manifeste du principe de non-rétroactivité des lois. Pour les juges des référés,  les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur « ne permettent pas de démontrer que la GALE a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l’ordre public. »

Dans ces trois affaires récentes, les procédures administratives de dissolution[17]https://institut-isbl.fr/dissolution-administrative-une-exception-au-principe-de-liberte-dassociation/ont été suspendues en raison des nombreuses irrégularités constatées par le juge administratif : accusations sans preuves, reproches concernant des intentions supposées, complicités de fait non établies, mises en cause pour des actes non imputables aux structures visées… In fine, c’est l’Etat français qui a été condamné  à verser des dommages-intérêts à ces associations ce qui, pour le gouvernement actuel, représente un véritable camouflet et démontre que l’arbitraire administratif et politique joue désormais à plein à l’encontre de mouvements, de groupes et d’associations qui ont le malheur de déplaire au pouvoir en place.

 

En définitive, présentés comme un moyen destiné à lutter contre le terrorisme, ces nouveaux moyens de dissolution administrative inquiètent plus qu’ils ne rassurent : non seulement parce qu’ils constituent désormais une véritable « épée de Damoclès » suspendue au-dessus de l’ensemble des associations et les organisations du mouvement social, condamnant ainsi leurs membres à une autocensure dommageable à la cause défendue ; mais surtout parce qu’en réalité, c’est à une lente réduction du champ d’expression démocratique auquel nous assistons et une telle dérive du pouvoir risque d’affecter durablement les libertés d’expression, d’opinion, de réunion et de manifestation pourtant garanties par nos principes constitutionnels et les textes internationaux.

 

 

 

Colas Amblard, président de l’Institut ISBL

 

En savoir plus :

Subventions et obligation de souscription du contrat d’engagement républicain, Institut ISBL, 17 janvier 2022

« Une nouvelle chasse aux sorcières » contre les associations : l’enquête de l’Observatoire des libertés associatives, Institut ISBL 15 février 2022

Dissolution administrative : une exception au principe de liberté d’association !, Colas AMBLARD, Institut ISBL 26 février 2022

Liberté d’association : 2021, une année sous haute surveillance ? Colas AMBLARD, Institut ISBL, 28 janv. 2021

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References

References
1 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778
2 https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2020-12-09#respect-des-principes-de-la-republique
3 https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/avis_du_haut_conseil_a_la_vie_associative_concernant_le_projet_de_loi_confortant_les_principes_republicains.pdf
4 C. Amblard, Fonctionnement associatif : valoriser la nature contractuelle, Juris associations, 15 juin 2022, n°661, p. 37-39 : selon le C. civ. art. 1102 « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »
5 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000043968715/2021-08-26/
6 https://www.vie-publique.fr/en-bref/283224-loi-separatisme-entree-en-vigueur-des-premieres-dispositions
7 https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/nos-preoccupations-concernant-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique
8 https://www.ldh-france.org/manifeste-pour-le-droit-des-associations-de-choisir-librement-les-causes-quelles-defendent/
9 https://lemouvementassociatif.org/contrat-dengagement-republicain-de-quoi-sagit-il/
10 http://www.associations-citoyennes.net/?cat=192
11 https://www.lavie.fr/actualite/solidarite/contrat-dengagement-republicain-pour-les-associations-ce-texte-manque-totalement-sa-cible-80267.php
12 https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-confortant-le-respect-par-tous-des-principes-de-la-republique
13 https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2021-823-dc-du-13-aout-2021-communique-de-presse
14 D. n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique ; D. n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique
15 https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-conseil-d-etat-suspend-en-refere-la-dissolution-de-deux-associations-pro-palestiniennes
16 https://www.la-croix.com/France/France-condamnee-CEDH-avoir-sanctionne-appel-boycott-2020-06-11-1201099243
17 https://institut-isbl.fr/dissolution-administrative-une-exception-au-principe-de-liberte-dassociation/





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