Un joueur professionnel blessé alors qu’il était à l’essai dans un club peut-il reprocher à celui-ci de ne pas l’avoir avisé qu’il n’avait pas souscrit d’assurance de personne[1]pour son compte pendant cette période ? A cette question la cour d’appel de Paris répond qu’il existe une obligation extracontractuelle d’information à laquelle le club était tenu et que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’ancien article 1383 du code civil pour ne pas s’en être acquitté.
1-Un footballeur professionnel sur le point de quitter son club est victime d’une blessure au genou lors d’un match amical alors qu’il était à l’essai dans un autre club en vue de son recrutement. Ce dernier décide de ne pas donner suite à l’essai effectué. Engagé auprès d’un autre club, l’intéressé subi une nouvelle blessure au ménisque entraînant une seconde intervention chirurgicale jusqu’au moment où son genou cède à nouveau le contraignant à mettre fin à sa carrière professionnelle.
2-Considérant que sa blessure initiale avait été occasionnée par un contact particulièrement violent avec un autre joueur, le footballeur assigne l’auteur du coup pour faute de jeu et son employeur. Par ailleurs, il reproche au club où il effectuait son essai de ne pas avoir souscrit d’assurance individuelle accident en sa faveur, ou tout au moins de ne pas avoir vérifié s’il en avait une.
3-Il est débouté de toutes ses demandes par le tribunal de grande instance de Paris. Les juges estiment que la preuve d’une violation d’une règle de jeu constitutive de faute civile n’est pas établie. En effet, les tribunaux ne prennent en compte que les fautes caractérisées par une violation déloyale des règles de jeu comme des brutalités volontaires ou une prise anormale de risque. Il faut donc en déduire qu’un contact même violent entre deux joueurs à la conquête du ballon ne suffit pas à caractériser une faute civile s’il n’est pas démontré, comme c’était le cas, que l’auteur du coup était animé d’une volonté de nuire ou qu’il avait pris un risque anormal au regard des circonstances du jeu. Par ailleurs, l’absence de responsabilité du joueur entrainait de facto celle de son club puisque la responsabilité du groupement ne peut-être engagée sans preuve d’une faute de son préposé[2].
4-La demande de réparation formée contre l’autre club n’a pas eu plus de succès. Le tribunal a estimé qu’il n’était pas tenu par l’obligation de vérifier si le joueur professionnel qu’il avait pris à l’essai avait bien souscrit une assurance de responsabilité civile pour son compte. L’intéressé conteste en appel ce rejet. La cour de Paris confirme l’absence d’obligation légale d’information à la charge du club mais considère qu’il a commis une faute sur le fondement de l’ancien l’article 1383 du code civil en n’attirant pas son attention sur le fait qu’il ne bénéficiait pas de facto et par son intermédiaire d’un contrat d’assurance individuelle accident. Toutefois, si elle conclut à sa responsabilité délictuelle, elle n’en confirme pas moins le rejet de la demande d’indemnisation au motif que l’appelant n’établissait pas qu’il subissait un dommage actuel et certain dès lors qu’un courrier adressé par son avocat au club à la suite de son accident révèle qu’il était susceptible d’être garanti par un autre assureur.
5-Dans cette affaire, la cour d’appel a rapidement écarté le débat sur la question de l’étendue de l’obligation légale d’information prévue par l’article L.321-4 du code du sport. L’appelant soutenait vainement que le législateur ayant voulu protéger tous les sportifs, ce texte devait s’appliquer aussi bien aux pratiquants amateurs que professionnels. Mais ce raisonnement se heurte à un double argument de texte. D’une part, l’article L.321-4 ne mentionne que les associations et fédérations sportives à la différence de l’article L.321-1 du code du sport relatif à l’obligation de souscrire des garanties d’assurance en responsabilité civile qui vise explicitement les sociétés constituées par les associations sportives pour l’organisation des manifestations sportives payantes (art. L 122-1C. sport). D’autre part, interprété à la lettre l’article L.321-4 ne vise que les adhérents du groupement. Or un joueur à l’essai n’a pas cette qualité. Il était facile d’en déduire que l’application de l’article L.321-4 était sans objet.
6-A défaut d’être astreint à une obligation légale, le club ne l’était-il pas par une obligation contractuelle d’information et de mise en garde ? On peut admettre qu’un accord avait été conclu entre les deux parties pour convenir d’une période d’essai, que cet accord impliquait une obligation d’information à la charge du club et que l’accident était survenu en cours d’exécution du contrat c’est-à-dire lors du match amical où le joueur portait les couleurs du groupement.
7-La question d’une éventuelle obligation contractuelle d’information n’ayant pas été soulevée, les juges ont conclu à la responsabilité délictuelle du club tirée de l’existence de devoirs extra-contractuels d’agir qui ne sont visés par aucune disposition écrite. Ce n’est pas une première. La jurisprudence a déjà admis, par analogie avec l’obligation contractuelle « d’information et de mise en garde » la responsabilité de celui qui néglige d’informer le tiers des dangers qu’il lui fait courir par l’exercice de son activité. Ainsi, la Cour de cassation a reproché à une cour d’appel de ne pas avoir recherché si un club ayant recruté des joueurs dans la rue par haut-parleur pour participer à un match de football n’avait pas commis une faute en omettant d’attirer leur attention sur le fait que l’assurance ne les couvrait que contre leur propre responsabilité délictuelle[3].
8-Ce devoir extracontractuel d’information est fondé sur le risque, pour un sportif pratiquant un sport dangereux, de ne pouvoir être indemnisé en cas de dommage corporel. Encore faut-il que ce risque soit réel et que le joueur ait pu légitimement l’ignorer.
9-La cour de Paris considère que ces deux conditions sont réunies. D’une part, le risque de l’absence de couverture était sérieux puisque le joueur était à la fin de son engagement auprès d’un club grec. En outre, il était peu probable qu’il ait été assuré pour une activité sportive exercée en France sans lien avec son activité au sein du club grec. D’autre part,la cour estime que la qualité de joueur professionnel ne donne pas des compétences particulières en matière de couverture juridique. Surtout, elle cite la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 qui impose aux fédérations sportives délégataires, dans son article 12, de souscrire des contrats d’assurance de personnes au bénéfice de leurs licenciés inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau, couvrant les dommages corporels auxquels leur pratique sportive de haut niveau peut les exposer (art. L. 321-4-1 C. sport). Cette loi fait suite à une abondante jurisprudence ayant retenu à plusieurs reprises la responsabilité de fédérations sportives ayant manqué à leur obligation d’information à l’égard de sportifs de haut niveau ayant faussement cru être couvert à un niveau suffisant par l’assurance individuelle de la fédération[4]. En mettant en évidence les défaillances au devoir d’information les tribunaux ont prouvé que nos champions ne prenaient pas la précaution de se renseigner sur l’étendue des garanties et que ce n’est qu’après coup qu’ils découvraient qu’elles étaient insuffisantes. Il y avait donc de bonnes raisons de penser que notre footballeur ne s’était pas inquiété de sa couverture juridique d’autant, si on en croit ses dires, qu’il est d’usage de demander au sportif qui vient jouer à l’essai de signer une décharge lorsque l’assurance du club ne prend pas en charge les joueurs non salariés. Aucune décharge ne lui ayant été notifiée, il a pu légitimement croire qu’il était couvert par l’assurance du club.
10-Ce type de contentieux devrait se raréfier à l’avenir avec l’obligation de souscription d’assurances de personnes qui pèse désormais sur les fédérations délégataires, d’autant que le législateur a amélioré sa copie qui présentait l’inconvénient de leur laisser toute liberté pour fixer le montant des garanties (notre commentaire). L’article 25 de la loi n° 2017-261 du 1ermars 2017 prévoit, en effet, qu’un décret doit en déterminer le montant minimal.
11-Pour autant, la réforme ne profitera pas à tous les sportifs professionnels puisque ce nouveau dispositif ne concerne que ceux inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau. Pour les autres sportifs, l’arrêt de la cour de Paris, s’il fait jurisprudence, devrait améliorer leur protection en élargissant le champ de l’obligation d’information aux situations précontractuelles comme une période d’essai.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.
En savoir plus :
Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL
.
.
Documents joints:
CA Paris 5 janvier 2017 FOOTBALL
Notes:
[1]Elle a pour objet de garantir à l’assuré ou au bénéficiaire désigné, en cas de survenance d’un événement accidentel défini au contrat, le paiement de sommes d’argent prévues en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité (totale ou partielle) permanente ou temporaire.Il est du plus grand intérêt pour les pratiquants de souscrire de telles garanties, les accidents sportifs ne donnant pas forcément lieu à responsabilité civile de la part de leurs auteurs.
[2]En ce sens civ. 2, n° 03-11653, 8 avr. 2004. La Cour de cassation reproche aux juges du fond d’avoir retenu la responsabilité de la société OM sans rechercher si le tacle ayant provoqué les blessures commises par son joueur avait constitué « une faute caractérisée par une violation des règles du jeu ».
[3]Alors qu’ils pouvaient penser qu’ils bénéficiaient d’une assurance contre leurs dommages corporels puisque le club organisateur du match avait souscris une assurance spéciale à cette occasion. Civ 2, 13 juillet 1982, n° 81-13493. Bull. civ. 1 N. 264.
[4]Fédération française des sports de glace: Civ. 1, 16 juill. 1986, n° 84-16903. Bull. civ. I, n° 209, p. 200. RJE sport, 1987, n° 2, p. 101, obs. G. Durry. RGDA, 1986, p. 453, note J. Bigot. Fédération française handball ; Civ. 1, 4 févr. 1997, Bull. civ. II, n° 89. D. 1998, somm. p. 50, note H. Groutel, Resp. civ. et assur. Délégation nationale des sports équestres. Cass. civ. 1ère13 févr. 1996, n° 94-11726et 94-12440. Bull. civ. I, n° 84, D. 1997, somm. 181, obs. J. Mouly.